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D'un apologue que j'ai lu?

Dans je ne sais quelle contrée,
Au temps du monde encor païen,
Un peuple (le nom n'y fait rien),
Voyant diminuer son bien
Par une disgrace ignorée,
D'un dieu de la voûte azurée
Un jour réclama le soutien.
En vain l'active Vigilance,
Tous les Travaux et tous les Arts
Avoient tout fait d'intelligence
Pour ramener de toutes parts
Et le Commerce et l'Abondance;
L'or disparoissoit tous les jours,
Et dépouillé de ce secours,
Le nerf et l'ame de la vie,
L'oisif artisan languissoit;
L'indigente et triste patrie
Ne pouvant gager l'Industrie,
Tout commerce s'affoiblissoit;
L'état épuisé périssoit.

Le dieu, touché de leur misere,
Et voulant du commun repos
Ecarter les secrets fléaux,
Descend du ciel à leur priere:
Il s'ouvre les secrets chemins
D'une caverne souterraine
Echappée aux yeux des humains,
Et dont la profondeur le mene,
Par mille détours ambigus,
Au centre du vaste domaine
Des enfants de Sabasius (1);
Là, grace à d'antiques ténebres,

(1) Le pere des gnomes.

Des gnomes en lambeaux funebres
Sont couchés sur des monceaux d'or,
Occupés, enivrés sans cesse

Du sot aspect d'un vain trésor,
Puissants et fiers dans leur bassesse,
Et, par un stupide plaisir,

Privant l'homme de la richesse
Dont leur opaque et vile espece
Est incapable de jouir.

Le dieu parle ; à sa voix puissante. Subalternes divinités,

Les gnomes, frappés d'épouvante,
Au sein de la terre tremblante
Se sont déja précipités.

Cet or, que leurs mains meurtrieres
Ne prétendoient qu'accumuler,
Versé dans les sources premieres,
Recommença de circuler;
Le Travail eut sa récompense,
Les Arts reprirent leur vigueur;
Ranimés par la jouissance
Et relevés de leur langueur,
Les Talents au sein de l'aisance
Renouvelerent leur splendeur;
Et, fort de toute sa substance,
L'état vit avec l'abondance
Renaître l'ordre et le bonheur.
Puisse un jour la main triomphante

Et pacifique et bienfaisante

D'un roi sensible et généreux
Consacrer son empire heureux
En réformant l'abus antique
Du brigandage monachique,
Et tout ce peuple infructueux
A ses provinces onéreux!
Qu'il renouvelle dans sa gloire,

Pour la félicité des siens,
Le spectacle que la victoire
Vient d'offrir aux bords indiens!

Tous les ans aux champs de Golgonde
Le plus riche des potentats

Rassembloit de tous les climats
Les trésors que transporte l'onde;
Par un tribut toujours nouveau
Toutes les richesses du monde
Aboutissoient dans ce tombeau.
Thamas paroît : le destin change.
Au nouveau Gengis-khan du Gange
Ces vastes trésors sont ouverts;
Son bras vainqueur leur rend la vie,
Et tout l'or qu'enterroit l'Asie
Va circuler dans l'univers.

XII. A M. DE BOULONGNE,

CONTRÔLEUR-GÉNÉRA L.

MINISTR
INISTRE aimable, heureux génie,
Que le bonheur de la patrie
Appelle aux travaux de Colbert,
Dans cette cour qui de concert
Vous félicite et vous implore,
Pouvez-vous reconnoître encore
Une voix qui vient du désert?
Depuis l'instant où la puissance
Du plus chéri des souverains
A remis dans vos sages mains
L'urne heureuse de l'abondance
Pour la splendeur de nos destins,

Des importuns de toute espece,
Des ennuyeux de tous les rangs
Des gens joyeux avec tristesse,
Des machines à compliments,
Vous auront excédé sans cesse
De fadeurs, de propos charmants,
Déployant avec gentillesse
L'ennui dans tous ses agréments:
Vous avez essuyé sans doute
Le poids des discours arrangés;
Les protecteurs, les protégés,
Tout s'est courbé sur votre route.
Les grands entourent la faveur;
La foule vole à l'espérance;
Tout environne, tout encense
Le temple brillant du bonheur:
Vous aurez vu toute la France.

Moi qui, séparé des vivants,
Dans ma profonde solitude,
Ignore le jargon des grands
Et celui de la multitude,

Je ne viens point d'un vain encens
Surcharger votre lassitude

De gloire et d'applaudissements;
Je déplorerois au contraire
Les travaux toujours renaissants,
Et le joug où le ministere

Vient attacher tous vos moments,
Si je n'aimois trop ma patrie
Pour plaindre les brillants liens
Dont elle enchaîne votre vie.
Elle parle, il faut que j'oublie
Tous vos intérêts pour les siens.
Pardonnez ce brusque langage
Aux mœurs franches de mon séjour;
C'est le compliment d'un sauvage,

Qui, loin de la langue du jour,
Loin des souplesses de l'usage,
Et trouvant pour vous son hommage
Gravé dans un cœur sans détour,
N'en veut pas savoir davantage.
Si je mêle si tard ma voix
A l'alégresse générale,
L'ignorance provinciale
N'excuse pas ses tristes droits.
Réduit, pour toute nourriture,
A m'instruire, à m'orner l'esprit,
Dans la Gazette ou le Mercure,
Sur ce qui se fait et se dit
Je ne sais rien qu'à l'aventure;
Je parle quand il n'est plus temps,
Et les nouvelles ont mille ans
Quand l'imprimeur ne les assure.
Ce n'est que dans ces lieux brillants
Qu'enrichit la Seine féconde

Des heureux tributs de son onde
Que l'on sait tout, que l'on sait bien ;
Ailleurs on n'est plus de ce monde,
On sait trop tard, on ne sait rien.
O province, que ta lumiere
Languit sous des brouillards épais!
Et sur les plus simples objets
Quelle stupidité pléniere !
Un seul trait parmi les journaux
De l'imbécillité profonde
De nous autres provinciaux
Montre combien dans nos propos
Nous sommes au fait de ce monde,
Et présente dans tout leur jour
Notre force et nos connoissances
Sur les nouvelles et la cour,
Sur l'usage et ses dépendances.

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