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Si vous êtes souvent ensemble:
Dans ce pays triste et perdu,
Vous trouvez et vous pouvez rendre
La douceur de causer, d'entendre,
Et le plaisir d'être entendu :
Parmi les ennuis de la gloire,
L'air grivois et le mauvais ton
De ce peuple à cravate noire,
Qui n'a de conversation
Que pour diner avec Grégoire
Ou pour souper avec Fanchon:
Dans cette troupe non lettrée
De petits messieurs si parfaits,
Si ridicules, si ginguets,
Dans la populace dorée

De jeunes et vieux freluquets,
L'un de l'autre ressource heureuse,
Vous vous dédommagez tous deux
De tant de milliers d'ennuyeux
Qui bordent la Dyle et la Meuse;
Et, sous les tonnerres de Mars
Philosophes libres et calmes,
Des muses et de tous les arts
Vous joindrez les fleurs à ces palmes
Qui couronnent vos étendards:
Ainsi sous le ciel atlantique,
Et près du tombeau de Didon,
Lelius avec Scipion

Retrouvoit Rome dans l'Afrique ;
Dans cette pompe et ce fracas
De faisceaux, d'aigles, de combats,
Aux champs du barbare Gétule,
Tous deux se rendoient les loisirs,
Les arts, la langue, les plaisirs
Et de Tibur et de Tuscule.

Faits, comme eux, pour les agréments

De l'heureuse philosophie,

Vous adorez les arts charmants
De l'Attique et de l'Ausonie.

Et ce n'est point la flatterie

Qui vous joint à ces noms brillants
Dans le temple de Polymnie;
Détestant le fade jargon
De la basse cajolerie,

Je ne chante que la raison,
La vertu, l'ame, le génie ;
Et je ne donne rien au nom
A qui la foule sacrifie.

Oui, si vous n'aviez à mes yeux
Que les rangs, les titres nombreux
Des ducs, des pairs, des connétables,
Mes hommages indépendants
N'inscriroient pas vos noms durables
Dans les fastes vainqueurs des temps:
Des esprits vrais et raisonnables,
Pensant par eux, invariables,
Malgré les phosphores divers
Et tous les pompons méprisables
Qui coiffent ce plat univers;

Des grands, sans bassesse et sans airs,
Instruits sans cesser d'être aimables;
Des cœurs toujours irréprochables
Dans un séjour faux et pervers :
Voilà les héros véritables

Et de mon ame et de mes vers.

E ben sa Roma che l'onor primiero
Di nostre muse è lo splendor del vero.

GUIDI.

XVI. A M. DE TOURNEHEM

Directeur et ordonnateur-général des bâtiments du roi, sur la colonne de l'hotel de Soissons.

Vous à qui les enfants d'Apelle,

Ve Phidias, de Praxitele,
Dont devoir des progrès nouveaux,
Rendez à d'antiques travaux
Une gloire toute nouvelle ;
Sauvez-les du sein des tombeaux,
Et qu'ils consacrent votre zele.
Dans les ruines d'un palais
Dont l'architecture grossiere
Ne pouvoit laisser de regrets,
En retombant dans la poussiere,
Vaste enceinte, informe carriere,
Qui n'offre plus que les débris
Des murs qu'éleva Médicis ;
Il est un ouvrage durable,
Que deux siecles ont respecté,
Et dont notre âge est redevable
Aux yeux de la postérité :
Cependant à son jour suprême
Ce monument semble arrivé,
Et peut-être en cet instant même
Le fer destructeur est levé.
Aux yeux d'un adjudicataire
Qui calcule et ne pense pas,
Cet ouvrage, peu nécessaire,
N'est que du fer et qu'un amas
De pierres qu'il vend à l'enchere:

Souffriroit-on ce trait honteu
D'une gothique barbarie

Dans les jours les plus lumineux
Des talents et de l'industrie?
Déja cette ville chérie,
Cette souveraine des arts
Et des agréments de la vie,
Qui les verse de toutes parts
Sur l'univers, qui l'étudie
Et tient sur elle ses regards;
Paris, le temple du génie,
Offre trop peu de monuments
Où Rome, Athene, Alexandrie,
Consacroient les faits éclatants,
La puissance de la patrie,
Et le témoignage des temps.
Privés d'une magnificence
Si commune aux peuples divers
Qui régnerent avant la France
Sur les arts et sur l'univers,
Verrions-nous dans notre indigence
Le vil intérêt, l'ignorance,
Prévenir les efforts des ans,
Et de nos embellissements
Précipiter la décadence

Dans ces mêmes jours si brillants
Où l'heureuse Paix, l'Abondance,
Et tous les Plaisirs renaissants
Vont ranimer d'intelligence
Tous les arts et tous les talents?
Tandis qu'il en est temps encore,
Détournez d'odieuses mains,
Vous que l'architecture implore
Contre leurs efforts inhumains;
Qu'échappée aux premiers outrages
Qui menacent ses fondements,

Cette colonne à tous les âges
Transmette d'illustres images
De la splendeur de notre temps,
de plus heureux usages
Reçoive d'autres ornements:

Et

pour

Car, dans mes craintes pour sa gloire,
Je ne regrette point ici
L'astrologique observatoire
Que Médicis avoit bâti
Pour le chimérique grimoire
De Gauric et de Ruggéri;
Non, c'est déja trop de l'histoire
Pour ces faits dignes de l'oubli,
Sans que le ciseau doive aussi
En éterniser la mémoire.
Qu'illustré, changé, rajeuni,
Ce monument soit enrichi
Des attributs de la victoire,
Et que Lawfelt ou Fontenoi
Y gravent l'immortelle gloire
Et les travaux du plus grand roi.
La colonne qu'Apollodore
Jadis érigea ponr Trajan

De celle qui nous reste encore
Nous dicte l'usage et le plan;
Rivale du culte héroïque
Dont Rome honora les vertus,
Que la COLONNE LODOÏQUE
Offre d'aussi justes tributs.
Trop étranger dans l'apanage
Et du Bramante et du Bernin,
Oserai-je de cet ouvrage
Ebaucher un foible dessin ?
C'est peut-être une rêverie
Que ma muse crayonnera;
Mais c'est rêver pour la patrie,

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