L'homme est ingrat dès le berceau ; Jeune, sait-il aimer ses maîtres? Leurs bienfaits lui sont un fardeau; Homme fait, il s'adore, il s'aime, Il rapporte tout à lui-même, Présomptueux dans tout état; Vieux enfin, rendez-lui service, Selon lui c'est une justice: Il vit superbe, il meurt ingrat.
Parmi l'énorme multitude
Des vices qu'on aime et qu'on suit, Pourquoi garder l'ingratitude, Vice sans douceur et sans fruit? Reconnoissance officieuse, Pour garder ta loi précieuse, En coûte-t-il tant à nos cœurs? Es-tu de ces vertus séveres Qui par des regles trop austeres Tyrannisent leurs sectateurs?
Sans doute il est une autre cause De ce lâche oubli des bienfaits: L'Amour-propre en secret s'oppose A de reconnoissants effets; Par un ambitieux délire Croyant lui-même se suffire, Voulant ne rien devoir qu'à lui, Il craint dans la reconnoissance Un témoin de son impuissance, Et du besoin qu'il eut d'autrui.
Paré d'une ardeur complaisante, Pour vous ouvrir à la pitié L'ingrat à vos yeux se présente Sous le manteau de l'amitié ;
Il rampe, adulateur servile: Vous pensez, à ses vœux facile, Que vous allez faire un ami. Triste retour d'un noble zele! Vous n'avez fait qu'un infidele, Peut-être même un ennemi.
Déja son œil fuit votre approche, Votre présence est son bourreau ; Pour s'affranchir de ce reproche Il voudroit voir votre tombeau. Monstre des bois, race farouche, On peut vous gagner, on vous touche, Vous sentez le bien qu'on vous fait; Seul, des monstres le plus sauvage, L'ingrat trouve un sujet de rage Dans le souvenir d'un bienfait.
Mais n'est-ce point une chimere, Un fantôme que je combats? Fut-il jamais un caractere
Marqué par des crimes si bas?
O ciel! que n'est-ce une imposture! A la honte de la nature
Je vois que je n'ai rien outré ;
Je connois des cœurs que j'abhorre, Dont la noirceur surpasse encore Ce que ces traits en ont montré.
Pour prévenir ces ames viles Faudra-t-il, mortels bienfaisants, Que vos mains, désormais stériles, Ne répandent plus leurs présents? Non, leur dureté la plus noire N'enleve rien à votre gloire : Il vaut mieux d'un soin généreux
Servir une foule coupable,
Que manquer un seul misérable
Dont vous pouvez faire un heureux.
Des dieux imitez les exemples Dans vos dons désintéressés;
Aucun n'est exclus de leurs temples, Leurs bienfaits sur tous sont versés. Le soleil qui, dans sa carriere, Prête aux vertueux sa lumiere, Luit aussi pour le scélérat: Le ciel cesseroit de répandre
Les dons que l'homme en doit attendre, S'il en excluoit l'homme ingrat.
Juste Thémis, contre un tel crime N'as-tu plus ni glaive ni voix ? Que l'ingrat n'est-il ta victime Ainsi qu'il le fut autrefois!
Que ne reprends-tu, dans notre âge, De ton antique aréopage L'équitable sévérité!
L'ingratitude étoit flétrie,
Et souffroit loin de la patrie Un ostracisme mérité.
Mais pourquoi te vanté-je, Athenes, Sur la justice de tes lois,
Quand, par des rigueurs inhumaines, Ta république en rompt les droits? Que de proscriptions ingrates! Tes Miltiades, tes Socrates, Sont livrés au plus triste sort; La méconnoissance et l'envie Leur font de leur illustre vie Un crime digne de la mort.
Ainsi parloit, fuyant sa ville, Thémistocle aux Athéniens:
« Tel qu'un palmier qui sert d'asile, J'en sers à mes concitoyens :
<< Pendant le tonnerre et l'orage Sons mon impénétrable ombrage « La peur des foudres les conduit; L'orage cesse, on m'abandonne, Et long-temps avant mon automne << La foule ingrate abat mon fruit.
D'un cœur né droit, noble, et sensible, Rien n'enflamme tant le courroux
Que l'ingratitude inflexible
D'un traître qui se doit à nous.
Sous vingt poignards (fin trop fatale!)
Le triomphateur de Pharsale
Voit ses jours vainqueurs abattus; Mais de tant de coups le plus rude Fut celui que l'ingratitude Porta par la main de Brutus.
Mortels ingrats, ames sordides, Que mes sons puissent vous fléchir ! Ou, si de vos retours perfides L'homme ne peut vous affranchir, Que les animaux soient vos maitres! O honte! ces stupides êtres
Savent-ils mienx l'art d'être humain? Oui. Que Séneque (1) vous apprenne Ce qu'il admira dans l'arene De l'amphithéâtre romain.
Un lion s'élance, on l'anime
(1) Lib. 2 Benef. ch. 19.
Contre un esclave condamné; Mais à l'aspect de sa victime Il recule, il tombe étonné; Sa cruauté se change en joie : On lance sur la même proie D'autres lions plus en courroux; Le premier, d'un cœur indomtable, Se range au parti du coupable, Et seul le défend contre tous.
Autrefois du rivage more Cet esclave avoit fui les fers; Trouvant ce lion jeune encore Abandonné dans les déserts, Il avoit nourri sa jeunesse : L'animal, ému de tendresse, Reconnoit son cher bienfaiteur; Un instinct de reconnoissance Arme, couronne sa défense; Il sauve son libérateur.
FRIVOLE ivresse, vain délire, Remplirez-vous toujours nos chants? Sans vos écarts, l'aimable lyre N'a-t-elle point d'accords tophants? Fuyez; mais vous, guidez mes traces. Sœurs des Amours, naïves Graces; Que le Goût marche sur vos pas. N'approuvez point ces sons stériles, Ni ces fougues trop puériles Que la raison n'approuve pas.
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