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« m'a paru aussi théâtral que hardi. Je suis peut-être « en partie cause que l'auteur donne aujourd'hui dans un genre si opposé au génie qui l'a si heu« reusement distingué. Je lui ai si fort prêché la « nécessité de sortir de son anacréontisme, et des répétitions où ce style l'engageoit, que j'ai peur que « mon sermon n'ait fait trop d'impression sur lui, << et ne l'ait fait passer d'une extrémité à l'autre. »>

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On doit cependant observer qu'après les chefsd'œuvre de Racine et de Voltaire, cette piece est une des mieux écrites que l'on connoisse, et qu'elle renferme de grandes beautés. Malgré quelques succès dans sa nouveauté, elle n'a point resté au théâtre.

Gresset s'essaya dans un genre où La Chaussée s'est fait une grande réputation; il donna Sidnei en 1745. D'Alembert regarde cette piece comme un drame éloquent, touchant et moral, contre le suicide, où il y a plus d'intérêt que de comique.

Le Méchant parut quelque temps après Sidnei, et mit le sceau à la réputation de Gresset. Cette comédie, où le ton du grand monde est le mieux soutenu, et où l'élégance du style est portée à la perfection, est un modele de dialogue; la plupart des vers ont mérité de passer en proverbes : on a fort bien dit que Gresset, auteur d'une seule comédie, étoit le poëte comique dont on retenoit le plus de

vers.

Le succès du Méchant ouvrit les portes de l'académie à son anteur : il y fut reçu aux acclamations du public et des gens de lettres. Peu de temps après sa réception, rappelé à Amiens par une tendre sœur, et peut-être aussi dégoûté d'un monde qu'il avoit si bien peint dans sa comédie, il se retira dans le sein de sa famille.

Gresset s'était marié à Amiens: il fut bon époux,

:

bon ami il recevait chez lui la meilleure compagnie, et il en faisoit les délices par l'enjouement de son esprit.

J.-J. Rousseau passa par cette ville; Gresset lui demanda quelques explications sur ses opinions. Le Genevois lui répondit: « Vous avez eu l'art de faire parler un perroquet, mais vous ne pourrez faire parler un ours. »>

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A la sollicitation de l'évêque d'Amiens, homme d'esprit, mais d'une piété plus que sévere, Gresset écrivit sa Lettre sur la comédie, en 1759; ce qui fit dire à Gentil-Bernard, dans son épître à madame de Pompadour :

Plus de La Fare, encor moins de Chaulieu ;
Piron s'endort, Gresset est tout en Dieu.

Cette lettre valut encore à Gresset une épigramme de Piron, dans laquelle on voit percer son dépit contre le succès du Méchant, et une autre de Voltaire.

En renonçant à la carriere du théâtre, Gresset sacrifia, par esprit de dévotion, plusieurs comédies. Il avoit fait aussi deux poëmes, intitulés le Gazetin, et le Parrain magnifique: il paroit que ces ouvrages ont subi le sort des deux chants qu'il avoit ajoutés à Ver- Vert, les Pensionnaires, et l'Ouvroir. Gresset récita ce dernier, en 1753, à une séance publique de l'académie d'Amiens, et à la cour, en 1775, lorsqu'en qualité de directeur de l'académie française il complimenta Louis XVI sur sonènement au trône. Voici le début de l'Ouvroir:

Temple secret des petites sciences,
Il est un lieu tapissé de sentences,
D'emblêmes saints, de mystiques vertus,
D'anges vainqueurs, et de démons vaincus.

On se rappelle encore ces vers sur les occupations des religieuses :

L'une découpe un agnus en losange,

Ou met du rouge à quelque bienheureux;
L'autre bichonne une vierge aux yeux bleus,
Ou passe au fer le toupet d'un archange;
Tandis qu'ailleurs la mere Saint-Bruno
Tout bonnement ourloit un lavabo.

On a retenu aussi quelques vers des Pension

naires :

Les petits no.ns sont nés dans les couvents....
Un jour du monde efface un an de cloître....
Le cœur s'éveille avec l'impatience;
Le desir naît de l'inexpérience....

On ne sait rien, on cherche à deviner....
Car, comme on sait, qui dit religieuse,
Dit femme prude, et sur-tout curieuse....

Dans un morceau sur l'éducation, le poëte s'écrie:

O jour heureux du cœur et du bon sens,
Où chaque mere, élevant ses enfants,
Ne laissoit point remplir à l'aventure
Ge devoir saint qu'impose la nature.

Ces fragments font regretter plus vivement la perte des pieces auxquelles ils appartenoient, et que Gresset a brùlées lui-même, avec plusieurs autres, quelque temps avant sa mort, arrivée en 1777.

On en a recueilli quelques unes qui ont échappé aux flamines, telles sont l'Abbaye, le Chartreux, l'épitre sur l'Egalité, la Requéte au roi: on retrouve dans chacune de ces pieces l'aimable facilité, l'abondance fleurie et naturelle, la douce philosophie, qui sont le cachet de l'auteur.

Gresset respire par-tout le malin enjouement

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NOTICE SUR GRESSET.

d'Horace: il a néanmoins montré une fois une causticité que l'on a comparée à l'indignation de Juvénal; c'est dans l'Abbaye. Cette piece, qui est de 1741, s'est retrouvée par les soins de M. François de Neufchâteau.

Voltaire, dans ses pieces fugitives, tient le même rang que La Fontaine dans ses fables; il s'y est mis hors de toute comparaison. Où trouver en effet une alliance plus heureuse de la langue poétique et de la langue familiere, un sentiment plus délicat des convenances, une philosophie plus profonde, dans des vers plus aimables? c'est la pompe du génie sous le négligé de la grace. Gresset doit être placé après Voltaire comme lui il compose de premier mouvement, et la philosophie guide elle-même son pinceau; mais sa versification a un autre caractere : nul n'a possédé comme Gresset la mollesse élégante et l'abondance animée du style poétique. Voltaire peint toujours à grands traits, il choisit le point saillant de son idée; Gresset semble se complaire dans la sienne, et on le voit ramener les mêmes images dans ses périodes nombreuses, comme un ruisseau revient sur lui-même en multipliant ses détours. L'auteur de Gertrude joint l'esprit à l'enjouement; celui de la Chartreuse respire une douce mélancolie: en un mot, Voltaire fait penser son lecteur, et Gresset le fait rêver.

DE GRESSET.

VER-VERT.

A MADAME L'ABBESSE D***.

CHANT PREMIER.

Vous, près de qui les graces solitaires Brillent sans fard et regnent sans fierté; Vous, dont l'esprit, né pour la vérité, Sait allier à des vertus austeres Le goût, les ris, l'aimable liberté; Puisqu'à vos yeux vous voulez que je trace D'un noble oiseau la touchante disgrace, Soyez ma muse, échauffez mes accents, Et prêtez-moi ces sons intéressants, Ces tendres sons que forma votre lyre Lorsque Sultane, au printemps de ses jours, Fut enlevée à vos tristes amours

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Et descendit au ténébreux empire.
De mon héros les illustres malheurs
Peuvent aussi se promettre vos pleurs.
Sur sa vertu par le sort traversée,
Sur son voyage et ses longues erreurs,

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