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Pour F. de Martens (1), il n'est pas contraire aux lois de la guerre de se servir d'espions; c'est à chaque puissance à se prémunir contre ce danger reconnu. Est espion celui qui dissimule sa vraie qualité. Nous trouverons très généralement admise cette dernière pensée, et nous devons entièrement y souscrire. C'est déjà une excellente délimitation à la qualité d'espion.

Aux termes de l'art. 19 de la déclaration de Bruxelles, (Conférence internationale de 1874) « est espion l'individu qui agissant clandestinement et sous de faux prétextes, recueille ou cherche à recueillir des informations dans les localités occupées, par l'ennemi et avec l'intention de les communiquer à la partie adverse ». Nous trouvons là quatre conditions exigées pour que l'on soit en présence d'un espion : «< a) Qu'il agisse clandestinement ou sous de faux prétextes. Cela est absolument juste. Sans cela on se trouve en présence d'un messager ou d'un officier en reconnaissance. Jamais on n'a songé à traiter en espion l'officier en tenue qui s'en va reconnaître une position ennemie.

B) Qu'il recueille ou cherche à recueillir des informations. Cela est une condition évidemment nécessaire; mais ce qu'il faut entendre par cette phrase, inutile si on s'en tenait à ces termes stricts, c'est que peu importe la nature des informations dont il s'agit. Point n'est nécessaire, que l'espion quitte son gouvernement muni d'instructions très

(1) T. II, § 274.

serrées sur ce qu'il devra étudier il suffit que, même parti sans mission officielle, il recueille des informations ou cherche à les recueillir. Cherche à les recueillir l'intention a la valeur de l'action. Nous verrons toutefois, si elle est toujours punie aussi sévèrement que celle-ci.

7) Que les investigations portent sur le territoire occupé par l'ennemi. La déclaration de Bruxelles ne vise en effet que l'espionnage en temps de guerre.

*) Avec l'intention de les communiquer à la partie ad

verse.

Pour Pinheiro Ferreira, l'emploi des espions est immoral et dangereux. -Nous reviendrons sur ce genre d'opinion trop peu utilitaire.

dit

Pour M. Morin (1) « décrié dans un certain milieu M. Pillet, l'espionnage est blâmable, parce que le plus souvent il est concerté d'avance et non spontané. Cet écrivain ne distingue pas l'espionnage de la trahison. Il blâme aussi l'espionnage parce que souvent il est rémunéré. Il admet toutefois qu'il peut être parfois licite, mais qu'il doit être exempt de perfidie, et réservé pour les cas de nécessité absolue. - Voilà des principes bien souples; quand y aurat-il nécessité absolue? Cela rappelle un peu la phrase traditionnelle du M. Prud'homme d'Henry Monnier : « Ce sabre est le plus beau jour de ma vie; il me servira à défendre les institutions de mon pays et au besoin à les combattre ». — Il exige également la clandestinité. Il déclare, avec l'art. 14

(1) Lois relatives à la guerre, t. I, pp. 237 et suiv.

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des Instructions américaines (1) et avec M. Bluntschli (2) que l'espion n'est puni de la peine de l'espionnage que s'il est pris sur le fait. S'il n'est pris que plus tard il ne peut qu'être traité en prisonnier de guerre.-M. Morin prétend que, n'est point espion l'aéronaute militaire poussé par les vents sur le territoire ennemi; cela pour deux raisons : il n'y vient pas volontairement, et il n'y a pas clandestinité, car le ballon est très visible. M. Morin déclare que, hors les cas d'impérieuse nécessité, l'espion ne doit pas être condamné sans jugement. Ces mots « hors les cas d'impérieuse nécessité » sont simplement effrayants. Il suffira qu'un commandant de corps, que le chef de la plus petite fraction isolée, s'emparent d'un homme accusé d'espionnage, considèrent qu'il y a une impérieuse nécessité à le fusiller sans jugement, pour que cette exécution rapide ait lieu. Je ne veux pas m'étendre sur cette facilité monstrueuse, susceptible d'utilisations trop fréquentes en raison de l'affolement qui se produit infailliblement en pareils cas. Il suffit d'une seule accusation d'espionnage jetée à la légère, pour surexciter une population, qu'il est ensuite très difficile de ramener à la vérité. Sous peine de retomber dans les usages des temps barbares, on ne peut laisser cette porte ouverte aux abus inévitables. Plus loin voyons le même auteur confondre l'espionnage avec la trahison, lorsqu'il dit que le Code de justice militaire pour l'armée de terre et celui

(1) Instructions of the government of armies of the U. S. in the field, 24 april 1863.

(2) N° 633.

pour l'armée de mer, ont le tort de n'envisager que le cas d'espionnage par un militaire français, puisqu'ils appliquent comme peine la mort avec dégradation militaire. Sont réputés traîtres, dit-il, tous ceux qui favorisent l'ennemi de leur pays.

Le Code pénal, ajoute-t-il, est général, et s'applique même aux militaires, malgré l'existence des deux Codes de justice militaire, quand il n'y a pas d'hypothèse spécialement prévue. Mais il a l'air ensuite de considérer que la trahison n'est régie dans notre Code pénal que par les art. 77 et 78, alors qu'elle l'est par toute la section première du livre troisième. Plus loin, il remarque avec beaucoup de raison que

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c'est à tort que l'on a trop étendu le sens des Instructions américaines, en disant que l'occupation d'un territoire ennemi fera réputer traîtres envers le pays de l'armée d'occupation, les habitants du pays occupé, lorsqu'ils font à leurs compatriotes quelques communications interdites. Nous commenterons plus loin cette idée que reproduit Bluntschli, et dont ont un peu abusé les compatriotes de celui-ci pendant le siège de Paris.

Le Manuel de droit international à l'usage des officiers de l'armée de terre (1) traite aussi de l'espionnage et de la trahi

son.

Il nous dit à ce sujet ce que nous avons déjà exposé et ajoute qu'il y a présomption d'espionnage pour tout individu trouvé déguisé dans nos lignes (art. 207 du Code de justice militaire

(1) Anonyme (M. Billot).

pour l'armée de terre), que la tentative est égale à l'exécution au point de vue de la culpabilité, que la peine de mort n'est plus applicable qu'aux militaires (nous savons que l'espionnage a été considéré comme un crime politique, qu'en matière politique la peine de mort a été abolie et que même pour les militaires on peut admettre des circonstances. atténuantes).

Le Manuel traite ensuite de la trahison, mais en donnant à ce mot le sens bien trop dérivé que lui appliquent les Instructions américaines. Elle existe, d'après cet auteur, dès qu'un non combattant, habitant du territoire occupé, seconde son ancien gouvernement. La peine sera la mort avec possibilité d'admettre des circonstances atténuantes. D'ordinaire, l'occupant prévient la population, des actes interdits, en sanctionnant ses défenses par des pénalités : art. 63, 198, 204, 286 du Code de justice militaire. La loi nationale de l'occupant sera le plus souvent en vigueur, à moins que, par esprit de conciliation intéressé, on ne laisse substituer la législation du pays.

L'usage des espions est, dit M. Pradier-Fodéré, très légitime. Il trouve la peine de mort appliquée à l'espionnage, hors de proportion, avec la gravité de l'acte, d'autant qu'il est illogique de punir de mort les espions et d'en employer pour son propre compte. Il entrevoit un peu notre distinction entre l'espionnage et la trahison, lorsqu'il soutient que si l'espion est un national, il est passible de la peine de la trahison; mais il ne s'y attache pas assez ferme

ment.

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