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d'une jolie fortune et faire un bon mariage. Dès lors, lui escroquer les soixante mille écus et mademoiselle Isabelle devient sa grande et unique affaire. Il sera servi dans l'exécution de ce plan par son valet, mais surtout par la ressemblance que la nature lui a donnée avec son frère.

Il se présente le premier chez le notaire et prend les soixante mille écus. De là, il court chez mademoiselle Isabelle, où il se fait agréer de la jeune personne et du père. Les deux fripons, le maître et le valet, dupent le pauvre Ménechme de toutes les façons; il y a, entre autres, une scène où le valet abuse de la simplicité du bonhomme jusqu'à lui faire payer les dettes de son maître.

A la fin quand la reconnaissance a lieu, le chevalier, avec des larmes de crocodile, se jette au cou de Ménechme en s'écriant:

Mon frère, est-ce bien vous? Quelle heureuse rencontre !
Se peut-il qu'à mes yeux la fortune vous montre ?

Et Ménechme, ahuri, répond à cet embrassement :

Mon frère, en vérité... je m'en réjouis fort...
Mais j'avais cependant compté sur votre mort.

VIII

Troilus et Cressida.

ANALYSE DE LA PIÈCE.

De tous les souvenirs de l'antiquité classique, si fréquents dans les œuvres de Shakespeare, surtout dans celles de sa jeunesse, ceux qui se rapportent à la guerre de Troie sont de beaucoup les plus nombreux. Dans le poème de Lucrèce, nous avons vu la femme déshonorée de Collatin contempler, avec un triste retour sur sa propre destinée, un tableau de la destruction de Troie. Dans Henry VI, le messager qui raconte la mort du duc d'York à ses jeunes fils le compare à Hector tenant tête aux Grecs; et Henry VI lui-même dit à Clarence: « Adieu, mon Hector, solide espoir de mon Ilion. La même pièce mentionne encore Hélène et Ménélas, Priam, Nestor, Ulysse et Sinon. Dans Beaucoup de bruit pour rien, il est dit d'un des personnages qu'il est « vaillant comme Hector », et dans Comme il vous plaira, on lit quelque part: « Cache ta tête, Achille; voici venir Hector en armes. »

Les dernières compositions de Shakespeare peuvent nous fournir ici des exemples, comme les premières: dans Antoine et Cléopâtre, le héros de la tragédie, félicitant ses compagnons d'armes après la bataille, leur dit : « Vous vous êtes tous montrés des Hectors. » Dans Coriolan, Virgilie se trouble à la pensée que son mari, parti contre les Volsques, a pu être blessé, et Volumnie, mère du héros, gronde sa bru en ces termes : « Taisez-vous, folle ! Le sang sied mieux à un homme que l'or au trophée. Le sein d'Hécube allaitant Hector n'était pas plus aimable que le front d'Hector crachant le sang sous le coup des épées grecques. » Et plus loin Aufidius, dans la mêlée, jette à Coriolan ce défi : « Quand tu serais Hector, le héros dont se targue votre race, tu ne m'échapperais pas ! » Mais il est inutile de multiplier les citations. La seule chose importante et significative qui soit à remarquer, c'est que partout Shakespeare se montre défavorable aux Grecs, sympathique aux Troyens.

Ce sentiment très catégorique s'exprime avec une vivacité particulièrement amusante, se développe et se joue tout à son aise, dans la parodie héroï-comique de Troïlus et Cressida. Il y a de plus belles œuvres dans le théâtre de Shakespeare: il n'y en a point de plus curieuse; il n'y en a point qui puisse servir de matière à plus de réflexions et de commentaires de toutes sortes, tant d'esthétique que d'érudition et d'histoire. La légende des deux amants; les

origines historiques de la sympathie du poète pour les Troyens et pour Hector, de sa malveillance à l'égard d'Achille et des Grecs; ses sources immédiates pour la composition de sa pièce; enfin la valeur littéraire de cette caricature héroïque, au sujet de laquelle les jugements les plus contradictoires ont été émis, où les uns ont vu la moins bonne des productions de Shakespeare, pendant que les autres y admiraient un de ses plus éclatants chefs-d'œuvre: autant de sujets d'étude que nous aborderons l'un après l'autre. - Commençons par prendre connaissance de l'ouvrage lui-même.

Les personnages de la comédie sont ceux que tous les récits de la guerre de Troie nous ont appris à connaître : Priam, Hector, Pâris, Énée, Anténor, Calchas, Agamemnon, Ménélas, Achille, Ulysse, Nestor, Ajax, Diomède, Patrocle, Thersite, Hélène, Andromaque, Cassandre, etc. Ce sont, en outre, deux personnes qui n'ont dans Homère qu'une ombre d'existence: Troïlts, fils de Priam, et Cressida, fille de Calchas. Tout ce qu'Homère nous apprend de Troilus, c'est qu'il combattait monté sur un char » ; beaucoup de ses héros sont dans le même cas. Voici en quels termes Priam se lamente sur la mort de ce fils au vingt-quatrième chant de l'Iliade: « Malheureux que je suis d'avoir engendré dans Troie la grande des fils vaillants dont pas un ne m'est resté! Mestor égal aux dieux, et Troilus qui combattait monté sur un char, et Hector qui

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était un dieu parmi les hommes, Mars me les a enlevés!» Ainsi, la mention de sa mort et une épithète insignifiante accolée à son nom, voilà tout ce qu'Homère nous a laissé de renseignements sur Troïlus. Quant à Cressida, fille de Calchas, qui s'appelle Chryseyde dans Chaucer et Brisaïda dans Boccace, on peut chercher les origines homériques de ce nom, soit dans Chryséis, fille du prêtre d'Apollon, Chrysés, soit dans Briséis, la captive et la maîtresse d'Achille; mais il n'y a d'ailleurs rien de commun entre la légende de Cressida et celle de Briséis ou de Chryséis. Calchas, personnage très peu conforme à celui d'Homère, est un prêtre troyen qui a pris parti pour les Grecs. Il est dans le camp grec pendant que sa fille est à Troie. Mais à Troie, celle-ci a un oncle, le fameux oncle Pandarus (1), qui joue un grand rôle dans la pièce.

La scène est tantôt à Troie, tantôt dans le camp des Grecs. Un court prologue (il est douteux qu'il soit de Shakespeare) rappelle le sujet de la guerre de Troie, et annonce l'intention du poète de placer son drame non au point de départ, mais au milieu du cours des événements.

Acte I, scène 1. Nous sommes à Troie dans le palais de Priam. Entrent sur la scène Troïlus armé et Pandarus. « Je veux me désarmer, dit Troïlus. Pourquoi irais-je me battre

(1) Il y a deux personnages du nom de Pandarus dans Homère, et un dans Virgile; mais ils n'ont que cela de commun avec celui de Shakespeare.

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