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viandes d'Egypte. Ainsi il y a des pénitents qui quittent le péché, et qui néanmoins n'en déposent pas l'affection. Ils se proposent de ne plus pécher, mais c'est avec une certaine répugnance à se priver et à s'abstenir des malheureuses délectations du péché. Leur cœur renonce au péché et s'en éloigne; mais il ne laisse pas pour cela de se retourner souvent de ce côté-là, comme fit la femme de Loth du côté de Sodome. Ils s'abstiennent du péché, comme les malades des melons. Ces malades, il est vrai, ne mangent pas de melons, parce que le médecin les menace de mort s'ils en mangent: mais ils se tourmentent de devoir s'en abstenir, ils en parlent et marchandent pour en pouvoir goûter, ils les veulent au moins sentir, et estiment bienheureux ceux qui peuvent en manger. De même ces faibles et lâches pénitents s'abstiennent pour quelque temps du péché; mais c'est à regret ils voudraient bien pouvoir pécher sans être damnés. Ils parlent du péché avec plaisir et avec goût; et estiment heureux ceux qui s'y livrent. Un homme, résolu de se venger, changera de volonté en confession; mais bientôt après on le trouvera parmi ses amis prenant plaisir à parler de sa querelle, disant que, si ce n'eût été la crainte de Dieu, il eût fait ceci et cela; et que la loi divine et l'obligation de pardonner est difficile; que plût à Dieu qu'il fût permis de se venger. Ah! qui

ne voit que, bien que ce pauvre homme soit hors du péché, il est néanmoins tout embarrassé de l'affection du péché; et qu'étant hors d'Egypte en effet, il y est encore en appétit, désirant les aulx et les oignons qu'il avait coutume d'y manger. Hélas que de telles gens sont en grand péril!

O Philothée, puisque vous voulez entreprendre la vie dévote, il ne vous faut pas seulement quitter le péché; mais il faut tout à fait émonder votre cœur des affections qui dépendent du péché; car, outre le danger qu'il y aurait de faire rechute, ces misérables affections affaibliraient perpétuellement votre esprit et l'appesantiraient en telle sorte, qu'il ne pourrait pas faire les bonnes œuvres promptement, diligemment et fréquemment, en quoi consiste néanmoins la vraie essence de la dévotion. Les âmes, qui, sorties de l'état du péché, ont encore ces affections et langueurs, ressemblent à mon avis, aux personnes qui ont le teint pâle et décoloré : elles ne sont pas malades, mais toutes leurs actions sont malades; elles mangent sans goût, dorment sans repos, rient sans joie, et se traînent plutôt que de cheminer. De même ces âmes font le bien avec des lassitudes spirituelles si grandes, qu'elles ôtent toute la grâce à leurs bons exercices, qui sont du reste peu nombreux et de peu de valeur.

CHAPITRE VIII.

Du moyen de

faire cette seconde purgation.

R, le premier moyen pour parvenir à cette seconde purgation, c'est de concevoir une vive et forte appréhension du grand mal que le péché nous apporte, et d'entrer ainsi dans les sentiments d'une profonde et véhémente contrition. Car de même que la contrition, si petite qu'elle soit, pourvu qu'elle soit vraie, nous purifie du péché, surtout lorsqu'elle est jointe à la vertu des sacrements; de même, quand elle est grande et véhémente, elle nous délivre de toutes les affections qui dépendent du péché. Une haine ou rancune faible et débile nous donne de l'aversion pour celui que nous haïssons, et nous fait fuir sa compagnie; mais, si c'est une haine mortelle et violente, non seulement nous fuyons et abhorrons celui à qui nous la portons, mais nous prenons en dégoût et trouvons insupportable la conversation de ses parents, alliés et amis; nous ne pouvons même souffrir son portrait, ni rien qui lui appartienne. Ainsi, quand le pénitent ne hait le péché que par une légère, quoique vraie contrition, il se résout uniquement à ne plus pécher; mais, quand il le hait d'une contrition puissante et vigoureuse, non seulement il déteste le péché, mais encore

toutes les affections, dépendances et occasions du péché. Il faut donc, Philothée, agrandir tant qu'il nous sera possible notre contrition et repentance, afin qu'elle s'étende jusqu'aux moindres appartenances du péché. Ainsi Madeleine en sa conversion perdit tellement le goût des péchés et des plaisirs qu'elle y avait pris, que jamais plus elle n'y pensa; et David protestait de haïr non seulement le péché, mais aussi toutes les voies et sentiers qui y mènent. C'est en cela que consiste le rajeunissement de l'âme, que ce même prophète compare au renouvellement de l'aigle.

Or, pour parvenir à cette détestation et contrition, il faut que vous vous exerciez soigneusement aux méditations suivantes, lesquelles, étant bien pratiquées, déracineront de votre cœur, moyennant la grâce de Dieu, le péché et les principales affections du péché; aussi les ai-je composées expressément à cette fin. Vous les ferez l'une après l'autre, selon que je les ai marquées, n'en prenant qu'une pour chaque jour; vous la ferez autant que possible le matin, parce que c'est le temps le plus propre pour toutes les actions de l'esprit, et vous la ruminerez le reste de la journée. Que si vous n'êtes pas encore habituée à faire la méditation, voyez ce qui est dit à cet égard dans la seconde partie.

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CHAPITRE IX.

De la Création.

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MEDITATION I.

Préparation.

Mettez-vous en la présence de Dieu.
Suppliez-le qu'il vous inspire.

Considérations.

¡onsidérez qu'il y a tant d'années, vous n'étiez point au monde, que votre être alors était un vrai rien. Où étions-nous, ô mon âme, en ce temps-là? le monde avait déjà tant duré, et de nous il n'était nulle nouvelle.

Dieu vous a fait éclore de ce rien, pour vous rendre ce que vous êtes, sans qu'il eût besoin de vous, mais par sa seule bonté. Considérez l'être que Dieu vous a donné, car de tous les êtres de ce monde visible, c'est le plus parfait, le seul qui soit capable de vivre éternellement, et de s'unir parfaitement à sa divine Majesté.

H

Affections et résolutions.
Umiliez-vous

profondément

devant Dieu, disant de coeur avec le Psalmiste O Seigneur! je suis devant vous comme un vrai rien, et comment eûtes-vous mémoire de moi pour me créer? Hélas! mon âme, tu étais abîmée dans cet ancien néant,

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