Images de page
PDF
ePub

lui montre comme elle s'en doit démêler et passer outre. Et finalement, en la cinquième partie, je la fais un peu rentrer en elle-même; pour se rafraîchir, reprendre haleine et réparer ses forces, afin qu'elle puisse par après plus heureusement gagner pays, et s'avancer en la vie dévote.

Cet âge est fort bizarre, et je prévois bien que plusieurs diront qu'il n'appartient qu'aux religieux et gens de dévotion de donner ainsi des règles particulières à la piété, qu'elles requièrent plus de loisir que n'en peut avoir un évêque chargé d'un diocèse aussi pesant que le mien, que cela distrait trop l'entendement qui doit être employé à choses importantes.

Mais moi, mon cher lecteur, je te dis avec le grand saint Denis, qu'il appartient principalement aux évêques de perfectionner les âmes; d'autant que leur ordre est le suprême entre les hommes, comme celui des séraphins entre les anges, si bien que leur loisir ne peut être mieux destiné qu'à cela. Les anciens évêques et pères de l'Eglise étaient pour le moins aussi affectionnés à leurs charges que nous, et ne laissaient pourtant

1

pas d'avoir soin de la conduite particulière de plusieurs âmes qui recouraient à leur assistance, comme on le voit par leurs épîtres; imitant en cela les apôtres, qui, dans la moisson générale de l'univers, recueillaient certains épis plus remarquables, avec une spéciale et particulière affection. Qui ne sait que Timothée, Tite, Philémon, Onésime, sainte Thècle, Appia, étaient les chers enfants du grand saint Paul, comme saint Marc et sainte Pétronille de saint Pierre; sainte Pétronille, dis-je, laquelle, ainsi que le prouvent savamment Baronius et Galonius, ne fut pas fille selon la chair, mais seulement fille spirituelle de saint Pierre? Et saint Jean n'écrit-il pas une de ses épîtres canoniques à la dévote dame Electa?

C'est une peine, je le confesse, de conduire les âmes en particulier; mais une peine qui soulage, pareille à celle des moissonneurs et vendangeurs, qui ne sont jamais plus contents que d'être fort occupés et chargés. C'est un travail qui délasse et avive le cœur par la suavité qui en revient à ceux qui l'entreprennent, comme fait le cinnamome pour ceux qui le portent dans l'Arabie Heureuse. On

dit que lorsque la tigresse a retrouvé l'un de ses petits que le chasseur lui laisse sur le chemin pour l'amuser, tandis qu'il emporte le reste de la litée, elle s'en charge aussitôt, quelque gros qu'il soit, et n'en est point pour cela plus pesante, mais plus légère à la course qu'elle fait pour le sauver dans sa tanière, l'amour naturel l'allégeant par ce fardeau. Combien plus un cœur paternel prendra-t-il volontiers en charge une âme qu'il aura rencontrée au désir de la sainte perfection, la portant en son sein, comme une mère porte son petit enfant, | sans se ressentir de ce fardeau bienaimé !

Mais il faut sans doute que ce soit un cœur paternel; et c'est pourquoi les apôtres et hommes apostoliques appellent leurs disciples, non seulement leurs enfants, mais encore plus tendrement leurs petits enfants.

Au demeurant, mon cher lecteur, il est vrai que j'écris de la vie dévote, sans être dévot, mais non pas certes sans désir de le devenir; et c'est encore cette affection qui me donne courage à t'en instruire. Car, comme disait un grand homme de lettres, la bonne façon d'ap

[ocr errors]

prendre, c'est d'étudier; la meilleure, c'est d'écouter; et la très bonne, c'est d'enseigner. "Il arrive souvent, dit saint Augustin, écrivant à la dévote Florentine, que l'office de distribuer sert de mérite pour recevoir, et l'office d'enseigner de fondement pour apprendre.

[ocr errors]

Rebecca abreuvant les chameaux d'Isaac, fut destinée pour être son épouse, recevant de sa part des pendants d'oreilles et des bracelets d'or. Ainsi je me promets de l'immense bonté de mon Dieu, que conduisant ses chères brebis aux eaux salutaires de la dévotion, il rendra mon âme son épouse, mettant en mes oreilles les paroles dorées de son saint amour, et en mes bras la force de les bien exécuter, en quoi consiste l'essence de la vraie dévotion, que je supplie Sa Majesté me vouloir octroyer, et à tous les enfants de son Eglise à laquelle je veux à jamais soumettre mes écrits, mes actions, mes paroles, mes volontés et mes pensées.

A Annecy, le jour de Sainte-
Madeleine, mil six cent huit.

[graphic][subsumed]
« PrécédentContinuer »