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Nous venons, trop brièvement peut-être, de chercher à faire comprendre sous quel point de vue on doit envisager les derniers événements. Avant d'en commencer le récit, il nous reste encore à présenter la situation des affaires en Suisse, telle qu'elle était au moment où la Diète ordinaire de 1847 ouvrit ses travaux. Nous passerons successivement en revue le Sonderbund, le Parti conservateur, l'Intervention étrangère et la Diète ellemême.

LE SONDERBUND.

Comme nous l'avons fait pressentir tout-à-l'heure, le Sonderbund n'est pas un fait isolé dans l'histoire. Sorti du catholicisme dégénéré, intimément uni à tous les éléments anti-démocratiques, il résume à lui seul, en quelque sorte, toute la situation. Le Sonderbund n'était pas seulement dans les sept cantons qui en faisaient partie, il avait rallié à lui dans les autres, tant protestants que catholiques, tous ceux que la démocratie compte pour ses ennemis. Il avait encore les sympathies de l'étranger.

Tôt ou tard il se serait constitué en Suisse, sous une forme peut-être moins menaçante. Les divers éléments dont il se composait cherchaient un point de réunion, l'arrêté de la Diète relatif aux couvents argoviens le fournit. Cet arrêté mémorable, du 31 août 1843, pour lequel St.-Gall, après de longues hésitations, forma la douzième voix, avait jeté la consternation chez les députés des petits cantons. Ces députés, ainsi que ceux de Fribourg, Bâle-ville et Neuchâtel, avaient, pendant la session de la Diète, leurs réunions et conférences intimes au Cheval - Blanc, à Lucerne, où les ministres de plusieurs grandes puissances avaient pris leurs quartiers. Le 3 septembre de la même année, ces députés se rendirent, sur l'invitation de Lucerne, dans leurs Cantons respectifs pour prendre des instructions concernant la conférence déjà projetée. Des pleins-pouvoirs furent donnés aux délégués qui devaient y assister; on rendit aussi une instruction générale sous réserve de la sanction des autorités cantonales supérieures, point qui, pour le dire en passant, n'a pas été partout observé1.

A cette conférence, qui se tint à Lucerne, les 13 et 14 septembre, sous la présidence de l'avoyer Ruttimann, assistaient les délégués des Etats d'Uri, Schwytz, Unterwald haut et bas, Zug et Fribourg, Bâle-ville, Appenzell Rhodes - intérieures, Valais et Neuchâtel, qui avaient aussi reçu la circulaire de convocation, excusèrent leur absence par divers motifs. Bâle-ville et Neuchâtel, tout en priant qu'on leur donnât communication du résultat des délibérations, supplièrent de ne pas dépasser, soit directement, soit indirectement, le Pacte de 1815. Ce conseil tout amical fait pressentir quels projets méditaient déjà alors les meneurs, quoique le but ostensible de la conférence fut que les Etats fidèles au Pacte s'entendissent sur les mesures ultérieures à prendre pour se garantir des conséquences résultant de l'arrêté dù 34 août. Après deux jours de délibérations, la majorité de la conférence (Uri, Schwytz, Obwald, Fribourg et Lucerne) adopta les résolutions suivantes formulées par Siegwart-Muller:

Brochure du Dr Herzog, passim.

1o D'adresser une déclaration commune à tous les cantons touchant l'injustice commise à l'égard de la confession catholique; on devait y demander le rétablissement de tous les couvents argoviens et entr'autres la garantie des droits de la confession catholique dans tous les cantons mixtes. S'il n'était pas fait droit à ces justes réclamations, les Etats se verraient forcés de rompre toute alliance fédérale avec ceux qui ne feraient pas disparaître cette violation du Pacte (lors de la votation, Lucerne prit cette menace ad referendum);

2o D'avoir une autre conférence pour rédiger et signer cette déclaration, les délégués des Etats étant munis à cet effet de pleins-pouvoirs nécessaires. Cette conférence pourrait provoquer la convocation d'une Diète extraordinaire et prendre toutes les mesures jugées convenables dans cette affaire pour satisfaire aux droits des catholiques et aux exigences du Pacte. Dans les cas importants et à moins qu'une action immédiate ne fùt nécessaire, elle devait soumettre ses décisions à la ratification des Etats;

3o De charger les gouvernements des Etats de la conférence de pourvoir aux moyens nécessaires et aux pleinspouvoirs pour procéder aux mesures militaires exigées pour la défense et pour le maintien de leur territoire, de leur indépendance et de leurs droits.

Les délégués du Nidwald et de Zug ne prirent aucune part à la votation. Dans la discussion ils avaient dissuadé leurs collègues de prendre des mesures violentes et déclaré qu'ils ne donneraient jamais les mains à celle qui dépasserait le sens de la protestation faite à la Diète; aussi la majorité, avant qu'on se séparât, fit insérer au procès-verbal le vœu ardent qu'elle formait pour que les cantons du Nidwald et de Zug ne se séparassent pas de leurs frères aînés dans cette affaire importante et qu'ils donnassent leur assentiment aux décisions de la conférence. Les scrupules de Nidwald et de Zug s'évanouirent plus tard, et Valais vint aussi compléter cette nouvelle Pleïade.

Telle fut l'origine du Sonderbund; la date en est précieuse à retenir; elle est à elle seule la réponse péremptoire à ceux qui ont prétendu et qui prétendent

encore que la ligue des Sept doit sa naissance aux expéditions des corps-francs contre Lucerne en 1844 et 1845. Déjà alors se révèle la pensée intime du Sonderbund : constitution d'une Suisse catholique opposée à une Suisse protestante, menace éventuelle de séparation, et, au besoin, la guerre.

Les couvents étant l'un des prétextes de l'existence de la Ligue séparée, ce prétexte fut habilement exploité; les réclamations en faveur de ces corporations reparurent régulièrement dans les Diètes tant extraordinaires qu'ordinaires. Mais un événement, malheureux dans ses résultats, fournit au Sonderbund un autre prétexte, celui de s'organiser militairement. Vers la fin de 1845, une conférence eut lieu aux bains de Rolhen près de Lucerne. Des résolutions importantes y furent prises dans le plus grand mystère. Bien qu'il en eut été communiqué quelque chose au Landrath de Zug au commencement de 1846, ce ne fut qu'en Juin de la même année que le public en eut connaissance par la communication que le gouvernement de Fribourg dut en faire au Grand Conseil de ce canton. La sanction de ces résolutions par la majorité de ce corps, provoqua, on s'en souvient, une protestation vigoureuse des députés du district réformé de Morat et une autre de M. le Dr. Bussard. Les voici telles qu'elles furent soumises au Grand Conseil de Fribourg, laissant à la perspicacité de nos lecteurs le soin d'en apprécier toute la portée :

« ART. 1er. Les cantons de Lucerne, d'Uri, de Schwytz, d'Unterwald, de Zug, de Fribourg et du Valais s'engagent à se défendre mutuellement, par tous les moyens dont ils disposent, aussitôt que l'un d'entre eux serait attaqué dans son territoire ou dans ses droits de souveraineté, conformément au Pacte fédéral du 7 août 1815 et aux antiques alliances.

« ART. 2. Les cantons s'entendront sur la manière la plus convenable d'être informés de ce qui se passe. Aussitôt qu'un canton est informé positivement qu'une attaque a eu lieu ou se prépare, il est considéré comme appelé à la surveillance fédérale, et tenu de mettre sur pied les troupes nécessaires, sans attendre l'avis officiel du canton attaqué.

ART. 3. Un Conseil de guerre, composé d'un député de chacun des Etats nommés plus haut, muni des pouvoirs les plus étendus, a la direction supérieure de la guerre. Il se réunira en cas d'attaque effective ou de préparatifs menacants.

« ART. 4. Le Conseil de guerre, avec les pouvoirs qui lui sont remis, prend au besoin toutes les mesures nécessaires à la défense des cantons. Si le danger est moins pressant, il s'entendra avec les gouvernements.

« ART. 5. Dans la règle, les frais de mise sur pied seront à la charge du canton qui les demande, sauf les cas extraordinaires. Les autres frais supportés par un canton dans l'intérêt commun seront répartis selon l'échelle fédérale. »

S'attendant à être attaqué à chaque instant par les corps-francs, la panique avait passé à l'état chronique, le Sonderbund se mit à préparer et à organiser ses moyens de défense toujours au point de vue défensif. Déjà le 13 mars 1846 un conservateur bâlois écrivait à ce sujet, au journal français La Presse, la lettre suivante qui dévoile en outre la politique que Bâle-ville se proposait de suivre:

<«< Les cantons du centre, dans l'attente d'une prochaine aggression, font de grands préparatifs de défense. Schwytz vient de recevoir des fonderies de Strasbourg un certain nombre de bouches à feu 1. Lucerne a considérablement augmenté son matériel de guerre et renforcé les ouvrages de défense qui garnissent les avenues de son chef-lieu. Les landsturms ont été partout organisés de la manière la plus appropriée à la destination de cette troupe irrégulière, qui avait déjà rendu de grands services l'année dernière lors de l'invasion des corps-francs. On s'occupe aussi, dans ce moment, des moyens de mettre en état de défense le St.Gothard, pour le cas où les Tessinois, dont les sympathies pour les cantons radicaux ne sont point équivoques, tenteraient de forcer ce passage pour seconder les opérations de

Cette artillerie se composait de canons fondus en 1815 et 1814 pour Napoléon. A la place du nom de Napoléon, on avait mis celui de Schwytz. Chaque canon avait un nom particulier : Morgarten, Laupen, Sempach, Näfels, Morat, Kappel, Schindellegi et Rothenthurm. On avait rendu des honneurs extraordinaires au colonel Reding qui avait fait cet achat par l'entremise d'un Bâlois. Des généraux français, en grande tenue, avaient fait visite au jeune héros schwytzois.

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