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des ftances; & non-feulement tous les vers, mais prefque tous les mots, finiffent par une de ces voyelles, e, i, o, cependant on lit ces Poemes fans dégoût, & le plaifir qu'ils font empêche qu'on ne fente la monotonie qu'on leur reproche.

Il faut avouer, qu'il eft plus difficile à un Français qu'à un autre, de faire un Poëme épique ; mais ce n'eft ni à caufe de la rime ni à caufe de la féchereffe de notre langue. Oferai-je le dire? C'est que de toutes les Nations polies la nôtre eft la moins poëtique. Les ouvrages en vers, qui font le plus à la mode en France, font les piéces de théâtre. Ces piéces doivent être écrites dans un style naturel, qui approche affez de celui de la converfation. Defpréaux n'a jamais traité que des fujets didactiques, qui demandent de la fimplicité. On fait, que l'exactitude & l'élégance font le mérite de fes vers, comme de ceux de Racine; & lorfque Despréaux a voulu s'élever dans une ode, il n'a plus été Defpréaux.

Ces exemples ont en partie accoutumé la Poëfie Française à une marche trop uniforme; l'efprit Géométrique, qui de nos jours s'eft emparé des belles-lettres, a encor été un nouveau frein pour la Poëfie. Notre Nation regardée comme fi légère par des étrangers, qui ne jugent de nous que par nos petits-maîtres, eft de toutes les Nations la plus fage la plume à la main. La méthode eft la qualité dominante de nos Ecrivains. On cherche le vrai en tout, on préfère l'Histoire au Roman; les Cyrus, les Clélies & les Aftrées ne font aujourd'hui lus de perfonne. Si quelques Romans nouveaux paraiffent encore & s'ils font pour un tems l'amusement de la jeuneffe frivole, les vrais gens de lettres les méprifent. Infenfiblement il s'eft formé un goût général qui donne affez l'exclufion aux imaginations de l'épopée ; on fe moquerait également d'un Auteur qui employerait les Dieux du Paganifme, & de celui qui fe fervirait de nos Saints : Vénus & Junon doivent refter dans les anciens Poëmes Grecs &

Latins: Ste. Geneviève, St. Denys, St. Roch & St. Chriftophe, ne doivent fe trouver ailleurs que dans notre Légende. Les cornes & les queues des Diables, ne font tout au plus que des fujets de raillerie, on ne daigne pas même en plaifanter. ›

Les Italiens s'accommodent affez des Saints, & les Anglais ont donné beaucoup de réputation au Diable; mais bien des idées qui feraient fublimes pour eux, ne nous paraîtraient qu'extravagantes. Je me fouviens que lorsque je confultai il y a plus de douze ans fur ma Henriade feu Mr. de Malezieux, homme qui joignait une grande imagination à une littérature immense il me dit, » Vous entreprenez un ouvrage, qui n'eft » pas fait pour notre Nation, les Français n'ont

,

» pas la tête épique. « Ce furent fes propres pa

roles; & il ajoûta: » Quand vous écririez auffi» bien que Meffieurs Racine & Defpréaux, ce » fera beaucoup fi on vous lit. «

C'est pour me conformer à ce génie fage & exact, qui régne dans le fiécle où je vis, que j'ai choifi un Héros véritable, au lieu d'un Héros fabuleux; que j'ai décrit des guerres réelles, & non des batailles chimériques; que je n'ai employé aucune fiction, qui ne foit une image fenfible de la vérité. Quelque chofe que je dife de plus fur cet ouvrage, je ne dirai rien que les critiques éclairés ne fachent; c'eft à la Henriade feule à parler en fa défenfe, & au tems feul de défarmer Penvie.

Fin de l'Effay fur la Poëfie Epique.

DISCOURS EN VERS

SUR

L'HOMME.

Es trois premiers font de l'année 1734. Les quatre derniers font de l'an 1737. L'Auteur les a tous revús en dernier lieu.

Le premier prouve l'égalité des conditions ; c'està-dire, qu'il y a dans chaque profeffion une mesure de biens & de maux, qui les rend toutes égales. Le fecond que l'homme eft libre, & qu'ainfi c'est à lui à faire fon bonheur.

Le troifiéme, que le plus grand obftacle au bonheur est l'envie.

Le quatrième, que pour être heureux il faut être modéré en tout.

Le cinquième, que le plaifir vient de DIEU.

Le fixième, que le bonheur parfait ne peut être le partage de l'homme en ce monde, & que l'homme n'a point à fe plaindre de fon état.

Le feptième, que la vertu confifte à faire du bien à fes femblables, & non pas dans de vaines pratiques de mortification.

PRE

PREMIER DISCOURS.

DE L'EGALITE' DES CONDITIONS.

T

U vois, fage Arifton, d'un œil d'indifférence La grandeur tyrannique & la fière opulence; Tes yeux d'un faux éclat ne font point abufés. Ce monde eft un grand bal, où des fous déguifés, Sous les rifibles noms d'Eminence & d'Alteffe, Penfent enfler leur être & hauffer leur baffeffe. En vain des vanités l'appareil nous furprend. Les mortels font égaux; leur mafque eft différent. Nos cinq fens imparfaits, donnés par la nature, De nos biens, de nos maux, font la feule mesure. Les Rois en ont-ils fix? & leur ame & leur corps Sont-ils d'une autre espèce? ont-ils d'autres refforts? C'est du même limon que tous ont pris naiffance Dans la même faibleffe ils traînent leur enfance : Et le riche & le' pauvre, & le faible & le fort, Vont tous également des douleurs à la mort.

Eh quoi, me dira-t-on, quelle erreur eft la vôtre! N'eft-il aucun état plus fortuné qu'un autre ? Le Ciel a-t-il rangé les mortels au niveau? La femme d'un commis, courbé fur fon bureau, Vaut-elle une Princeffe auprès du trône affife? N'eft-il pas plus plaifant pour tout homme d'église, D'orner fon front tondu d'un chapeau rouge ou verd, Que d'aller, d'un vil froc obfcurément couvert, Recevoir à genoux, après laude ou matine; De fon Prieur cloîtré vingt coups de difcipline? Sous un triple mortier n'eft-on pas plus heureux, Qu'un clerc enfeveli dans un greffe poudreux ? Non; Dieu ferait injufte, & la fage nature Dans fes dons partagés garde plus de mesure. Penfe-t-on qu'ici-bas fon aveugle faveur Au char de la fortune attache le bonheur ? Tome I.

N

Un jeune Colonel a souvent l'imprudence
De paffer en plaifirs un Maréchal de France.
Etre heureux comme un Roi, dit le peuple hébété,
Hélas, pour le bonheur que fait la majesté?
En vain fur fes grandeurs un Monarque s'appuie;
Il gémit quelquefois, & bien fouvent s'ennuie:
Son favori fur moi jette à peine un coup d'œil,
Animal compofé de baffeffe & d'orgueil,
Accablé de dégouts en infpirant l'envie;
Tour à tour on t'encenfe & l'on te calomnie.
Parle, qu'as-tu gagné dans la chambre du Roi ?
Un peu plus de flatteurs & d'ennemis que moi.
Sur les énormes tours de notre obfervatoire,
Un jour en confultant leur célefte grimoire,
Des enfans d'Uranie un effaim curieux,

D'un tube de cent pieds braqué contre les Cieux,
Obfervait les fecrets du monde planétaire.
Un ruftre s'écria, Ces forciers ont beau faire,
Les aftres font pour nous, auffi-bien que pour eux,
On en peut dire autant du fecret d'être heureux.
Le fimple, l'ignorant, pourvû d'un inftinct fage
En eft tout auffi près, au fond de fon village,
Que le fat important qui pense le tenir,
Et le trifte favant qui croit le définir.

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On dit, qu'avant la boëte apportée à Pandore, Nous étions tous égaux; nous le fommes encore. Avoir les mêmes droits à la félicité,

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C'est pour nous la parfaite & feule égalité.
Vois-tu dans ces vallons ces efclaves champêtres,
Qui creufent ces rochers, qui vont fendre ces hêtres,
Qui détournent ces eaux, qui, la bèche à la main
Fertilifent la terre en déchirant fon fein?
Ils ne font point formés fur le brillant modèle
De ces pafteurs galans qu'a chanté Fontenelle.
Ce n'eft point Timarette, & le tendre Tircis,
De rofes couronnés, fous des myrtes affis,
Entrelaffans leurs noms fur l'écorce des chênes,
Vantant avec efprit leurs plaifirs & leurs peines :
C'eft Pierrot, c'eft Colin, dont le bras vigoureux
Soulève un char tremblant dans un foffé bourbeux.
Perrette au point du jour eft aux champs la première,
Je les vois haletans, & couverts de pouffière,

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