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L'Homme-DIEU, qui pouvait l'inftruire ou le confondre
A ce juge orgueilleux dédaigna de répondre.
Son filence éloquent difait affez à tous

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Que ce vrai tant cherché ne fut point fait pour nous,
Mais lorfque pénétré d'une ardeur ingénue,
Un fimple Citoyen l'aborda dans la rue
Et que difciple fage, il prétendit favoir

Quel eft l'état de l'homme, & quel eft fon devoir;
Sur ce grand intérêt, fur ce point qui nous touche,
Celui qui favait tout ouvrit alors la bouche,
Et dictant d'un feul mot fes décrets folemnels,
Aimez DIEU, lui dit-il, mais aimez les mortels :
Voilà l'homme & fa Loi; c'eft affez, le Ciel même
A daigné tout nous dire en ordonnant qu'on aime:
Le monde et médisant, vain, léger, envieux,
Le fuir eft très bien fait, le fervir encor mieux :
A fa famille, aux fiens, je veux qu'on foit utile.
Où vas-tu loin de moi, fanatique indocile?
Pourquoi ce teint jauni, ces regards effarés,
Ces élans convulfifs & ces pas égarés? a)
Contre un fiécle indévot plein d'une fainte rage,
Tu cours chez ta béate à fon cinquième étage;
Quelques Saints poffédés dans cet honnête lieu,
Jurent, tordent les mains en l'honneur du BON DIEU,
Sur leurs trétaux montés, ils rendent des oracles,
Prédifent le paffé, font cent autres miracles;
L'aveugle y vient pour voir, & des deux yeux privé,
Retourne aux Quinze-Vingts marmotant son Avé.
Le boiteux faute & tombe; & fa fainte famille
Le ramène en chantant, porté fur fa bequille.
Le fourd au front ftupide écoute & n'entend rien.
D'aife alors tout pâmés, de pauvres gens de bien,
Qu'un fot voifin bénit & qu'un fourbe seconde,
Aux filles du quartier prêchent la fin du Monde.

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Je fais que ce mystère a de nobles appas. Les Saints ont des plaifirs que je ne connais pas. Les miracles font bons; mais foulager fon frère Mais tirer fon ami du fein de la mifère, Mais à fes ennemis pardonner leurs vertus, C'eft un plus grand miracle, & qui ne fe fait plus. Ce Magiftrat, dit-on, eft févère, inflexible: Rien n'amollit jamais sa grande ame insensible.

J'entens: il fait hair fa place & fon pouvoir;
It fait des malheureux par zèle & par devoir.
Mais l'a-t-on jamais vù, fans qu'on le follicite,
Courir d'un air affable au-devant du mérite,
Le choifír dans la foule, & donner fon appui
A l'honnête homme obfcur qui fe tait devant lui ?
De quelques criminels il aura fait justice!

C'eft peu d'être équitable, il faut rendre fervice.
Le jufte eft bienfaifant. On conte qu'autrefois
Le Miniftre odieux d'un de nos meilleurs Rois
Lui difait en ces mots fon avis defpotique :
Timante eft en fecret bien mauvais Catholique,
On a trouvé chez lui la Bible de Calvin;

A ce funefte excès vous devez mettre un frein;
Il faut qu'on l'emprifonne, ou du moins qu'on l'exile.
Comme vous, dit le Roi, Timante m'eft utile;
Vous m'apprenez affez, quels font fes attentats;
Il m'a donné fon fang, & vous n'en parlez pas.
De ce Roi bienfaifant la prudence équitable
Peint mieux que vingt fermons la vertu véritable.
Du nom de vertueux feriez-vous honoré,
Doux & difcret Cyrus, en vous feul concentré,
Prêchant le fentiment, vous bornant à féduire
Trop faible pour fervir, trop pareffeux pour nuire,
Honnête homme indolent, qui dans un doux loifir,
Loin du mal & du bien, vivez pour le plaifir?
Non, je donne ce titre au coeur tendre & fublime,
Qui foutient hardiment fon ami qu'on opprime.
Il t'était dû fans doute, éloquent Peliffon.
Qui défendis Fouquet du fond de ta prifon.
Je te rens grace, ô Ciel, dont la bonté propice
M'accorda des amis dans les tems d'injustice,
Des amis courageux, dont la mâle vigueur
Repouffa les affauts du calomniateur,
Du fanatifme ardent, du ténébreux Zoïle,
Du Minire abufé par leur troupe imbécile,
Et des petits Tyrans bouffis de vanité,
Dont mon indépendance irritait la fierté.
Oui, pendant quarante ans poursuivi par l'envie,
Des amis vertueux ont confolé ma vie.

J'ai mérité leur zèle & leur fidélité;

J'ai fait quelques ingrats, & ne l'ai point été.

Certain Législateur, b) dont la plume féconde Fit tant de vains projets pour le bien de ce Monde Et qui depuis trente ans écrit pour des ingrats, Vient de créer un mot qui manque à Vaugelas : Ce mot eft bienfaisance, il me plaît, il raffemble, Si le cœur en eft cru, bien des vertus enfemble. Petits Grammairiens, grands Précepteurs des fots, Qui pefez la parole, & mefurez les mots, Pareille expreffion vous femble hazardée: Mais l'Univers entier doit en chérir l'idée.

a),

NOTES

LES Convulfionnaires.

b) L'abbé de Saint-Pierre. C'est lui qui a mis le mot de bienfaifance à la mode à force de le répéter. On l'appelle Légiflateur, parce qu'il n'a écrit que pour réformer le Gouvernement. Il s'eft rendu un peu ridicule en France par l'excès de fes bonnes intentions.

VARIANTES DU DISCOURS

SUR LA VRAIE VERT U.

A

Ux filles du quartier préchant la fin du Monde.
Je fais que ce faint œuvre a des charmes puissans:
Mais, di-moi, n'as-tu point des devoirs plus pressans ?
D'où vient que ton ami languit dans la mifère?
Pourquoi lui refufer le plus vil nécessaire ?.

Chez toi, chez tes pareils, le feul riche eft fauvé,
Et le pauvre inutile eft le feul reprouvé.
Ce Magiftrat, &c.

Peint mieux que vingt fermons la vertu véritable
Ce beau nom de vertu fera-t-il accordé
Au mérite farouche, à l'art toûjours fardé,
A l'indolent Germont, dont la pitié diferèm

Craint de parler pour moi quand Séjan m'inquiète,
Au faible & doux Cyrus tout le jour occupé

Des propos
d'un flatteur, & des foins d'un foupé ?
Non, je donne ce titre au cœur tendre & fublime,
Qui prévient les befoins d'un ami qu'on opprime;
Je le donne à Normand, je le donne à Cochin,
Dont l'éloquente voix protégea l'orphelin:
Non pas à toi, Griffon, babillard mercénaire,
Qui prodiguant en vain ta vénale colère,
Et changeant un art noble en un lâche métier,
N'a fait qu'un plat libelle, au lieu d'un plaidoyer.

Tendre & folide ami bienfaiteur généreux,
Qui peut te refufer le nom de vertueux ?
Jouï de ce grand titre, 6 toi, dont la sagesse
N'eft point le fruit amer d'une aufière rudesse!
Toi, qui malgré l'éclat dont tu blesses les yeux,
Peux compter plus d'amis que tu n'as d'envieux !
Certain Législateur, &c.

L E

TEMPLE DU GOUT. .)

L

E Cardinal, oracle de la France,

Non ce Mentor, qui gouverne aujourd'hui,
Mais ce Neftor, qui du Pinde est l'appui,
Qui des favans a paffé l'efpérance,
Qui les foutient, qui les anime tous,
Qui les éclaire, & qui règne fur nous,
Par les attraits de fa douce éloquence;
Ce Cardinal qui fur un nouveau ton,
En vers Latins fait parler la fageffe,
Réuniffant Virgile avec Platon,

Vengeur du ciel & vainqueur de Lucrèce. b)

Ce Cardinal enfin, que tout le monde doit reconnaître à ce portrait, me dit un jour, qu'il voulait que j'allaffe avec lui au Temple du Goût. C'est un féjour me dit-il, qui reffemble au Temple de l'Amitié, dont tout le monde parle, où peu de gens vont, & que la plûpart de ceux qui y voyagent n'ont prefque jamais bien examiné.

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Je répondis avec franchise
Hélas! je connais affez peu
Les loix de cet aimable Dieu;
Mais je fais qu'il vous favorife.
Entre vos mains il a remis
Les clefs de fon beau Paradis;
Et vous êtes, à mon avis,
Le vrai Pape de cette Eglife.
Mais de l'autre Pape & de vous
(Dût Rome fe mettre en courroux)
La différence eft bien vifible;
Car la Sorbonne ofe affurer,
Que le Saint Père peut errer

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