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LA

HENRIADE.

CHANT III.

ARGUMENT.

LE Héros continue l'hiftoire des guerres civiles de

France. Mort funefte de Charles IX. Règne d'Henri III. Son caractère. Celui du fameux Duc de Guife, connu fous le nom du Balafré. Bataille de de Coutras. Meurtre du Duc de Guife. Extrémi tés où Henri III. eft réduit. Mayenne eft le chef de la Ligue. D'Aumale en eft le Héros. Réconciliation d'Henri III. & d'Henri Roi de Navarre. Secours que promet la Reine Elizabeth. Sa réponse à Henri de Bourbon.

Q

Uand l'arrêt des deftins eut durant quelques jours,
A tant de cruautés permis un libre cours,

Et que des affaffins, fatigués de leurs crimes, Les glaives émouffés manquèrent de victimes; 5. Le peuple dont la Reine avait armé le bras, Ouvrit enfin les yeux & vit fes attentats. Aifément fa pitié fuccède à fa furie,

Il entendit gémir la voix de fa patrie.
Bientôt Charle lui-même en fut faifi d'horreur;
10. Le remord dévorant s'éleva dans fon cœur.
Des premiers ans du Roi la funeste culture
N'avait que trop en lui corrompu la nature;
Mais elle n'avait point étouffé cette voix,
Qui jufques fur le trône épouvante les Rois.
15. Par la mère élevé, nourri dans fes maximes,

Il n'était point comme elle endurci dans les crimes. Le chagrin vint flétrir la fleur de fes beaux jours, Une langueur mortelle en abrégea le cours: Dieu déployant fur lui fa vengeance févère, 20. Marqua ce Roi mourant du fceau de fa colère, Et par fon châtiment voulut épouvanter Quiconque à l'avenir oferait l'imiter.

Je le vis a) expirant. Cette image effrayante, A mes yeux attendris femble être éncor préfente. 25. Son fang à gros bouillons de fon corps élancé, Vengeait le fang Français par fes ordres versé, Il fe fentait frappé d'une main invifible;

Et le peuple étonné de cette fin terrible, Plaignit un Roi fi jeune & fi-tôt moiffonné, 30. Un Roi par les méchans dans le crime entraîné, Et dont le repentir permettait à la France, D'un Empire plus doux quelque faible espérance. Soudain du fond du Nord, au bruit de fon trépas, L'impatient Valois accourant à grands pas, 35. Vint faifir dans ces lieux tout fumans de carnage, D'un frère infortuné le fanglant héritage.

40.

La Pologne b) en ce tems avait d'un commun choix, Au rang des Jagellons placé l'heureux Valois; Son nom plus redouté que les plus puiffans Princes, Avait gagné pour lui les voix de cent Provinces. C'est un poids bien pefant qu'un nom trop tôt fameux: Valois. ne foutint pas ce fardeau dangereux. Qu'il ne s'attende point que je le juftifie; Je lui peux immoler mon repos & ma vie, 45. Tout, hors la vérité que je préfère à lui.

Je le plains, je le blâme, & je fuis fon appui.

Sa gloire avait paffé comme une ombre légère. Ce changement eft grand, mais il eft ordinaire. On a vu plus d'un Roi, par un trifte retour, 50. Vainqueur dans les combats, efclave dans fa cour. Reine, c'eft dans l'efprit qu'on voit le vrai courage. Valois reçut des Cieux des vertus en partage. Il eft vaillant, mais faible, & moins Roi que foldat, Hn'a de fermeté qu'en un jour de combat. 55. Ses honteux favoris flattant fon indolence, De fon cœur à leur gré gouvernaient l'inconftance; Au fond de fon palais avec lui renfermés,

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Sourds aux cris douloureux des peuples opprimés,, Ils dictaient par fa voix leurs volontés funeftes; 60. Des tréfors de la France ils diffipaient les reftes; Et le peuple accablé pouffant de vains foupirs Gémiffait de leur luxe & payait leurs plaifirs.

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Tandis que fous le joug de fes maîtres avides, Valois preffait l'état du fardeau des fubfides, 65. On vit paraître Guise c), & le peuple inconftant Tourna bientôt fes yeux vers cet aftre éclatants Sa valeur, fes exploits, la gloire de fon père, Sa grace, fa beauté, cet heureux don de plaire, Qui mieux que la vertu fait régner fur les cœurs, 70. Attiraient tous les vœux par des charmes vainqueurs. Nul ne fut mieux que lui le grand art de féduire ; Nul fur les paffions n'eut jamais plus d'empire, Et ne fut mieux cacher, fous des dehors trom. peurs,

Des plus vaftes deffeins les fombres profondeurs. 75. Altier, impérieux, mais fouple & populaire, Des peuples en public il plaignait la mifère, Déteftait des impôts le fardeau rigoureux; Le pauvre allait le voir, & revenait heureux : Il favait prévenir la timide indigence;

8a. Ses bienfaits dans Paris annonçaient fa présence< Il fe faisait aimer des grands qu'il haïffait; Terrible & fans retour alors qu'il offenfair; Téméraire en fes voeux, fage en fes artifices, Brillant par fes vertus, & même par fes vices, 85. Connaiffant le péril, & ne redoutant rien; Heureux Guerrier, grand Prite, & mauvais Citoïen.

Quand il eut quelque tems effayé fa puissance, Et du peuple aveuglé cru fixer l'inconftance, Il ne fe cacha plus, & vint ouvertement 90. Du trône de fon Roi brifer le fondement. Il forma dans Paris cette Ligue funefte, Qui bientôt de la France infecta tout le reste; Monftre affreux, qu'ont nourri les peuples & les grands,

95%

Engraiffé de carnage & fertile en tyrans.

La France dans fon fein vit alors deux Monarques: L'un n'en poffédait plus que les frivoles marques;

L'autre infpirant partout l'efpérance ou l'effroi,
A peine avait befoin du vain titre de Roi.

Valois fe reveilla du fein de fon yvreffe. 100. Ce bruit, cet appareil, ce danger qui le preffe, Ouvrirent un moment fes yeux appefantis: Mais du jour importun fes regards éblouïs, Ne diftinguèrent point au fort de la tempête, Les foudres menaçans qui grondaient fur fa tête, 105. Et bientôt fatigué d'un moment de réveil,

Las, & fe rejettant dans les bras du fommeil, Entre fes favoris, & parmi les délices, Tranquille il s'endormit au bord des précipices. Je lui reftais encor, & tout prêt de périr, 110. Il n'avait plus que moi, qui pût le fecourir; Héritier après lui du trône de la France, Mon bras fans balancer s'armait pour fa défense: J'offrais à fa faibleffe un néceffaire appui ; Je courais le fauver, ou me perdre avec lui.

115.

Mais Guife trop habile, & trop favant à nuire,
L'un par l'autre en fecret fongeait à nous détruire.
Que dis-je ? il obligea Valois à fe priver
De l'unique foutien, qui le pouvait fauver.
De la Religion le prétexte ordinaire,

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120. Fut un voile honorable à cet affreux mystère. Par fa feinte vertu tout le peuple échauffé, Ranima fon courroux encor mal étouffé. Il leur repréfentait le culte de leurs pères, Les derniers attentats des fectes étrangères, 125. Me peignair ennemi de l'Eglife & de Dieu. » Il porte, fait-il, fes erreurs en tout lieu » Il fuit d'Elizabeth les dangereux exemples; » Sur vos Temples détruits il va fonder fes Temples; » Vous verrez dans Paris fes prêches criminels. d) 130. Tout le peuple à ces mots trembla pour fes Autels. Jufqu'au Palais du Roi l'allarme en eft portée. La Ligue, qui feignait d'en être épouvantée, Vient de la part de Rome annoncer à fon Roi, Que Rome lui défend de s'unir avec moi. 135. Hélas! le Roi trop faible obéit fans murmure: Et lorfque je volais pour venger fon injure, J'apprens que mon beau-frère, à la Ligue foumis, S'uniffait, pour me perdre, avec les ennemis,

De foldats malgré lui couvrait déja la terre, 140. Et par timidité me déclarait la guerre.

Je plaignis fa faibleffe, & fans rien ménager,
Je courus le combattre au lieu de le venger.
De la Ligue, en cent lieux, les villes allarmées,
Contre moi dans la France enfantaient des armées :
145. Joyeuse, avec ardeur, venait fondre fur moi,
Miniftre impétueux des faibleffes du Roi.
Guise dont la prudence égalait le courage,
Difperfait mes amis, leur fermait le paffage.
D'armes & d'ennemis preffé de toutes parts,
150. Je les défiai tous, & tentai les hazards.

Je cherchai dans Coutras ce fuperbe Joyeuse. (1)
Vous favez fa défaite, & fa fin malheureuse:
Je dois vous épargner des récits fuperflus.

Non, je ne reçois point vos modeftes refus : 155. Non, ne me privez point, dit l'augufte Princeffe, D'un récit qui m'éclaire autant qu'il m'intéreffe; N'oubliez point ce jour, ce grand jour de Coutras, Vos travaux, vos vertus, Joyeuse, & fon trépas. L'auteur de tant d'exploits doit feul me les apprendre,

160. Et peut-être je fuis digne de les entendre.
Elle dit. Le Héros à ce difcours flatteur
Sentit couvrir fon front d'une noble rougeur,
Et réduit à regret à parler de fa gloire,
Il pourfuivit ainfi cette fatale hiftoire.

165. De tous les favoris qu'idolâtrait Valois e)
Qui flattaient fa molleffe, & lui donnaient des loix,
Joyeufe né d'un fang chez les Français infigne,
D'une faveur fi haute était le moins indigne :
Il avait des vertus ; & fi de fes beaux jours
170. Lá Parque en ce combat n'eût abrégé le cours,
Sans doute aux grands exploits fon ame accou-

tumée

Aurait de Guise un jour atteint la renommée. Mais nourri jufqu'alors au milieu de la cour, Dans le fein des plaifirs, dans les bras de l'amour, 175. Il n'eut à m'opposer qu'un excès de courage, Dans un jeune Héros dangereux avantage. Les courtifans en foule attachés à fon fort, Du fein des voluptés s'avançaient à la mort,

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