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РОЁМЕ

SUR LA

LOI NATURELLE.

PREFACE.

ON fait assez que ce Poëme n'avait point été fait

pour être public: c'était depuis trois ans un fecret entre un grand Roi & l'Auteur. Il n'y a que trois mois qu'il s'en répandit quelques copies dans Paris, & bientôt après il y fut imprimé plufieurs fois d'une manière auffi fautive que les autres ouvrages qui font partis de la même plume.

Il ferait jufte d'avoir plus d'indulgence pour un écrit fecret tiré de l'obfcurité où fon Auteur l'avait condamné, que pour un ouvrage qu'un Ecrivain expofe lui-même au grand jour. Il ferait encore juste de ne pas juger le Poëme d'un laïque comme on jugerait une thefe de Théologie. Ces deux Poemes font les fruits d'un arbre tranfplanté. Quelques-uns de ces fruits peuvent n'être pas du goût de quelques perfonnes: ils font d'un climat étranger; mais il n'y en a aucun d'empoisonné, & plufieurs peuvent être falutaires.

Il faut regarder cet ouvrage comme une lettre où Pon expofe en liberté fes fentimens. La plupart des livres reffemblent à ces converfations générales & génées, dans lesquelles on dit rarement ce qu'on penfe. L'Auteur a dit ici ce qu'il a pensé à un Prince Philofophe auprès duquel il avait alors l'honneur de vivre. Il a appris que des efprits éclairés n'ont

pas été mécontens de cette ébauche: ils ont jugé que le Poëme fur la Loi Naturelle eft une préparation à des vérités plus fublimes. Cela feul aurait déterminé Auteur à rendre l'ouvrage plus complet & plus correct, fi fes infirmités l'avaient permis. Il a été obligé de fe borner à corriger les fautes dont fourmillent les éditions qu'on en a faites.

Les louanges données dans cet écrit à un Prince qui ne cherchait pas ces louanges, ne doivent furprendre perfonne: elles n'avaient rien de la flaterie, elles partaient du cœur ; ce n'est pas là de cet encens que l'intérêt prodigue à la puiffance. L'homme de lettres pouvait ne pas mériter les éloges & les bontés dont le Monarque le comblait; mais le Monarque méritait la vérité que l'homme de lettres lui difait dans cet ouvrage. Les changemens furvenus depuis dans un commerce fi honorable pour la littérature n'ont point alteré les fentimens qu'il avait fait naître.

Enfin puifqu'on a arraché au fecret & à l'obfcurité un écrit deftiné à ne point paraître, il fubfiftera chez quelques fages comme un monument d'une correfpondance philofophique qui ne devait point finir; & on ajoute que fi la faiblefe humaine fe fait fentir partout, la vraie philofophie domte toujours cette faibleffe.

d'une

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Au refle ce faible effay fut composé à l'occafion une petite brochure qui parut en ce tems-là. Elle était intitulée Du Souverain Bien, Et elle devait l'être, Du Souverain mal. On y prétendait qu'il n'y a ni vertu, ni vice, & que les remords font une faiblesse d'éducation qu'il faut étouffer. L'Auteur du Poëme prétend que les remords nous font auffi naturels que les autres affections de notre ame. Si la fougue d'une paffion fait commettre une faute, la Nature rendue à elle-même fent cette faute. La fille fauvage trouvée près de Châlons avoua que dans la colère elle avait donné à fa compagne un coup dont cette infortunée mourut entre fes bras. Dès qu'elle vit fon fang couler, fe repentit, elle pleura, elle étancha ce fang, elle

elle

mit des herbes fur la bleffure. Ceux qui difent que ce retour d'humanité n'est qu'une branche de notre amour propre, font bien de l'honneur à l'amour propre. Qu'on appelle la raifon & les remords comme on voudra ils exiflent, & ils font les fondemens de la Loi Naturelle.

I

L A

LOI NATURELLE,

РОЁМЕ,

EN QUATRE PARTIES.
EXOR D E.

Vous, dont les exploits, le règne & les ouvrages
Deviendront la leçon des Héros & des Sages,
Qui voyez d'un même œil les caprices du fort,
Le Trône & la cabane, & la vie & la mort;
Philofophe intrépide affermiffez mon ame
Couvrez-moi des rayons de cette pure flamme,
Qu'allume la raifon, qu'éteint le préjugé.
Dans cette nuit d'erreur, où le Monde eft plongé,
Apportons, s'il fe peut une faible lumière.

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Nos premiers entretiens, notre étude première,
Etaient, je m'en fouviens, Horace avec Boileau.
Vous y cherchiez le vrai , vous y goûtiez le beau :
Quelques traits échapés d'une utile Morale,
Dans leurs piquants écrits brillent par intervalle;
Mais Pope approfondit ce qu'ils ont effleuré.
D'un efprit plus hardi, d'un pas plus affuré,
Il porta le flambeau dans l'abîme de l'être,
Et l'homme avec lui feul apprit à fe connaître.
L'art quelquefois frivole, & quelquefois divin,
L'art des vers eft dans Pope utile au genre-humain.
Que m'importe en effet que le flatteur d'Octave,
Parafite diferet, non moins qu'adroit esclave,
Du lit de fa Glycère, ou de Ligurinus,
En profe mefurée infulte à Crifpinus?
Que Boileau répandant plus de fel que de grace,
Veuille outrager Quinault, pense avilir le Taffe?

Qu'il peigne de Paris les triftes embarras,
Ou décrive en beaux vers un fort mauvais repas?
Il faut d'autres objets à votre intelligence.

De l'Efprit qui vous meut vous recherchez l'effence, Son principe, fa fin, & furtout fon devoir.

Voyons fur ce grand point ce qu'on a pû savoir,
Ce que l'erreur fait croire aux Docteurs du vulgaire,
Et ce que vous infpire un Dieu qui vous éclaire.
Dans le fond de nos coeurs il faut chercher fes traits:
Si Dieu n'eft pas dans nous, il n'exista jamais.
Ne pouvons-nous trouver l'Auteur de notre vie
Qu'au labyrinthe obscur de la Théologie?
Origène & Jean Scot font chez vous fans crédit :
La Nature en fait plus qu'ils n'en ont jamais dit.
Ecartons ces Romans qu'on appelle fyftêmes,
.Et pour nous élever defcendons dans nous-mêmes.

PREMIERE PARTIE.

DIEU a donné aux hommes les idées de la justice & la confcience pour les avertir, comme il leur a donné tout ce qui leur eft néceffaire. C'eft là cette Loi Naturelle fur laquelle la "Religion eft fondée. C'est ce feul principe qu'on dévelope ici. L'on ne parle que de la Loi naturelle, & non de la Religion & de fes auguftes mystères.

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Oit a) qu'un Etre inconnu, par lui seul exiftant, Ait tiré depuis peu l'Univers du néant,

Soit qu'il ait arrangé la matière éternelle;

Qu'elle nage en fon fein, ou qu'il règne loin d'elle;
Que l'ame, ce flambeau fouvent fi ténébreux,
Ou foit un de nos fens, ou fubfifte fans eux:
Vous êtes fous la main de ce Maître invisible.
Mais du haut de fon Trône obfcur, inacceffible,
Quel hommage, quel culte exige-t-il de vous ?
De fa grandeur fuprême indignement jaloux,
Des louanges, des voeux, flattent-ils fa puiffance
Eft-ce le peuple altier, conquérant de Bifance,

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