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Le tranquille Chinois, le Tartare indomté

Qui connait son effence, & fuit fa volonté ?
Différens dans leurs moeurs, ainfi qu'en leur hommage,
Ils lui font tenir tous un différent langage.

Tous fe font donc trompés. Mais détournons les yeux
De cet impur amas d'impofteurs odieux : b)
Et fans vouloir fonder, d'un regard téméraire,
De la Loi des Chrétiens l'ineffable mystère,
Sans expliquer en vain ce qui fut révéré,
Cherchons par la raifon fi DIEU n'a point parlé.
La Nature a fourni d'une main falutaire

Tout ce qui dans la vie à l'homme eft néceffaire,
Les refforts de fon ame, & l'inftin&t de fes fens.
Le Ciel à fes befoins foumer les élémens.
Dans les plis du cerveau la mémoire habitante,
Y peint de la Nature une image vivante.
Chaque objet de fes fens prévient la volonté.
Le fon dans fon oreille eft par l'air apporté.
Sans efforts & fans foins fon œil voit la lumière.
Sur fon Dieu, fur fa fin, fur fa caufe première,
L'homme eft-il fans fecours à l'erreur attaché?
Quoi! le Monde eft visible, & Dieu ferait caché!
Quoi! le plus grand befoin que j'aye en ma mifère,
Eft le feul qu'en effet je ne peux fatisfaire !
Non : le Dieu qui m'a fait, ne m'a point fait en vain.
Sur le front des mortels il mit fon fceau divin.
Je ne puis ignorer ce qu'ordonna mon Maître;
Il m'a donné fa Loi, puifqu'il m'a donné l'être.
Sans doute il a parlé, mais c'eft à l'Univers.
Il n'a point de l'Egypte habité les déferts.
Delphes, Delos, Ammon, ne font pas fes aziles.
Il ne fe cacha point aux antres des Sibylles.
La Morale uniforme en tout tems, en tout lieu,
A des fiécles fans fin parle au nom de ce Dieu.
C'eft la loi de Trajan, de Socrate, & la vôtre.
De ce culte éternel la Nature eft l'Apôtre;
Le bon fens la reçoit, & les remords vengeurs
Nés de la confcience, en font les défenfeurs ;
Leur redoutable voix partout se fait entendre.

Penfez-vous en effet que ce jeune Alexandre, Auffi vaillant que vous, mais bien moins modéré, Teint du fang d'un ami trop inconsidéré,

Ait pour fe repentir confulté des Augures?

Ils auraient dans leurs eaux lavé ses mains impures;
Ils auraient à prix d'or abfous bientôt le Roi.
Sans eux, de la Nature il écouta la Loi;
Honteux, defefpéré d'un moment de furie,
Il fe jugea lui-même indigne de la vie.
Cette Loi fouveraine, à la Chine, au Japon,
Infpira Zoroaftre, illumina Solon.

D'un bout du monde à l'autre elle parle, elle crie,
ADORE UN Dieu, sois justE, ET CHERI TA PATRIE.
Ainfi le froid Lappon crut un Etre éternel;

Il eut de la juftice un instinct naturel;
Et le Nègre vendu fur un lointain rivage,
Dans les Nègres encor aima fa noire image.
Jamais un parricide, un calomniateur,

N'a dit tranquillement, dans le fond de fon cœur :

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Qu'il eft beau, qu'il eft doux d'accabler l'innocence,

- De déchirer le fein qui nous donna naissance!
» Dieu jufte, Dieu parfait ! que le crime a d'appas!
Voilà ce qu'on dirait, mortels, n'en doutez pas,
S'il n'était une Loi terrible, universelle,
Que refpecte le crime en s'élevant contre elle.
Eft-ce nous qui créons ces profonds sentimens ?
Avons-nous fait notre ame? avons-nous fait nos fens?
L'or qui nait au Pérou, l'or qui nait à la Chine,
Ont la même nature, & la même origine:
L'artifan les façonne, & ne peut les former.
Ainfi l'Etre éternel, qui nous daigne animer,
Jetta dans tous les coeurs une même femence.
Le Ciel fit la vertu, l'homme en fit l'apparence.
Il peut la revêtir d'imposture & d'erreur;

Il ne peut la changer; son juge est dans fon cœur.

SECONDE PARTIE.

Réponse aux objections contre les principes d'une
Morale univerfelle. Preuve de cette vérité.

Entends avec Cardan, Spinofa qui murmure.
Ces remords, me dit-il, ces cris de la Nature,

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Ne

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Ne font que l'habitude, & les illufions,
Qu'un befoin mutuel infpire aux Nations.
Raifonneur malheureux, ennemi de toi-même,
D'où nous vient ce befoin? pourquoi l'Etre Suprême
Mit-il dans notre cœur à l'intérêt porté

Un inftinet qui nous lie à la fociété ?

Les Loix que nous faifons, fragiles, inconstantes,
Ouvrages d'un moment, font partout différentes.
Jacob chez les Hébreux put époufer deux fœurs ;
David, fans offenfer la décence & les mœurs,
Flatta de cent beautés la tendreffe importune;
Le Pape au Vatican n'en peut pofféder une..
Là, le père à fon gré choifit fon fucceffeur;
Ici, l'heureux aîné de tout eft poffeffeur.
Un Polaque à mouftache, à la démarche altière,
Peut arrêter d'un mot fa République entière.
L'Empereur ne peut rien fans fes chers Electeurs.
L'Anglais a du crédit, le Pape á des honneurs.
Ufages, intérêts, culte, loix, tout diffère.
Qu'on foit jufte, il fuffit, le refte eft arbitraire. c)
Mais tandis qu'on admire & ce jufte & ce beau,
Londre immole fon Roi par la main d'un bourreau.
Du Pape Borgia le bâtard fanguinaire

Dans les bras de fa foeur affaffine fon frère.
Là, le froid Hollandais devient impétueux,
Il déchire en morceaux deux frères vertueux.
Plus loin la Brinvilliers, dévote avec tendreffe,
Empoifonne fon père en courant à confeffe.
Sous le fer du méchant le jufte eft abattu.

Hé bien! conclurrez-vous qu'il n'eft point de vertu?
Quand des vents du Midi les funeftes haleines
De femences de mort ont inondé nos plaines,
Direz-vous que jamais le Ciel en fon courroux
Ne laiffa la fanté féjourner parmi nous ?

Tous les divers fléaux dont le poids nous accable,
Du choc des élémens effet inévitable,

Des biens que nous goûtons corrompent la douceur;
Mais tout eft paffager, le crime & le malheur.
De nos défirs fougueux la tempête fatale

Laiffe au fond de nos cœurs la règle & la morale;
C'est une fource pure: en vain dans fes canaux
Les vents contagieux en ont troublé les eaux;

Tome I

T

En vain fur fa furface une fange étrangère
Apporte en bouillonnant un limon qui l'altère;
L'homme le plus injufte, & le moins policé,
S'y contemple aifément quand l'orage eft paffé.
Tous ont reçu du Ciel, avec l'intelligence,
Ce frein de la justice & de la confcience.
De la raison naiffante elle eft le premier fruit;
Dès qu'on la peut entendre, auffi-tôt elle inftruit :
Contrepoids toûjours promt à rendre l'équilibre
Au cœur plein de désirs, afservi, mais né libre;
Arme que la Nature a mis en notre main,
Qui combat l'intérêt par l'amour du prochain.
De Socrate en un mot c'eft là l'heureux génie;
C'eft là ce Dieu fecret qui dirigeait fa vie,
Ce Dieu qui jusqu'au bout préfidait à son sort,
Quand il but fans pâlir la coupe de la mort.
Quoi! cet efprit divin n'eft-il que pour Socrate ?
Tout mortel a le fien qui jamais ne le flatte.
Néron cinq ans entiers fut foumis à fes loix,
Cinq ans des corrupteurs il repouffa la voix.
Marc-Aurèle appuyé fur la Philofophie,
Porta ce joug heureux tout le tems de fa vie,
Julien s'égarant dans fa Religion,

Infidèle à la foi, fidèle à la raifon,

Scandale de l'Eglife, & des Rois le modèle,

Ne s'écarta jamais de la Loi Naturelle.

On infifte, on me dit; L'enfant dans fon berceau N'eft point illuminé par ce divin flambeau; C'eft l'éducation qui forme fes pensées,

Par l'exemple d'autrui fes moeurs lui font tracées;
Il n'a rien dans l'efprit, il n'a rien dans le cœur ;
De ce qui l'environne il n'eft qu'imitateur;

Il répète les noms de devoir, de justice;
Il agit en machine: & c'est par fa nourrice
Qu'il eft Juif ou Payen, fidèle ou Musulman,
Vétu d'un jufte-au-corps, ou bien d'un Doliman.
Oui, de l'exemple en nous je fais quel eft l'empire.
Il eft des fentimens que l'habitude infpire.
Le langage, la mode, & les opinions,
Tous les déhors de l'ame, & fes préventions,
Dans nos faibles efprits font gravés par nos pères,
Du cachet des mortels impressions légères,

Mais les premiers refforts font faits d'une autre main;
Leur pouvoir eft conftant, leur principe eft divin.
Il faut que l'enfant croiffe, afin qu'il les exerce;
Il ne les connait pas fous la main qui le berce.
Le moineau dans l'inftant qu'il a reçû le jour,
Sans plumes dans fon nid peut-il fentir l'amour?
Le renard en naissant va-t-il chercher fa proie?
Les infectes changeans, qui nous filent la foie,
Les effaims bourdonnans de ces filles du Ciel,
Qui paîtriffent la cire & compofent le miel,
Si-tôt qu'ils font éclos forment-ils leur ouvrage ?
Tout meurit par le tems, & s'accroit par l'ufage.
Chaque être a fon objet, & dans l'inftant marqué
Il marche vers le but par le Ciel indiqué.
De ce but, il eft vrat, s'écartent nos caprices.
Le jufte quelquefois commet des injuftices.
On fuit le bien qu'on aime, on hait le mal qu'on fait.
De foi-même en tout tems quel cœur eft fatisfait ?
L'homme (on nous l'a tant dit) eft une énigme obfcure;
Mais en quoi l'est-il plus que toute la Nature?
Avez-vous pénétré, Philofophes nouveaux,
Cet instinct für & promt qui fert les animaux ?
Dans fon germe impalpable avez-vous pû connaître
L'herbe qu'on foule aux pieds, & qui meurt pour renaître?
Sur ce vafte Univers un grand voile eft jetté;
Mais dans les profondeurs de cette obscurité,
Si la raifon nous luit, qu'avons-nous à nous plaindre?
Nous n'avons qu'un flambeau, gardons-nous de l'éteindre,
Quand de l'immenfité Dieu peupla les déferts,
Alluma des Soleils & fouleva des mers;
Demeurez, leur dit-il, dans vos bornes prefcrites.
Tous les Mondes naiffans connurent leurs limites.
Il impofa des loix à Saturne, à Vénus,

Aux feize orbes divers dans nos Cieux contenus,
Aux élémens unis dans leur utile guerre,

A la courfe des vents, aux fléches du tonnerre,
A l'animal qui penfe, & né pour l'adorer,
Au ver qui nous attend, né pour nous dévorer.
Aurons-nous bien l'audace, en nos faibles cervelles,
D'ajouter nos décrets à ces Loix immortelles? d)
Hélas! ferait-ce à nous, fantômes d'un moment,
Dont l'être imperceptible est voisin du néant,

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