Déja les deux partis aux pieds de ces remparts Avaient plus d'une fois balancé les hazards; Dans nos champs défolés le démon du carnage Déja jufqu'aux deux mers avait porté fa rage, 95. Quand Valois à Bourbon tint ce trifte difcours, Dont fouvent fes foupirs interrompaient le cours : Vous voyez à quel point le deftin m'humilie, Mon injure eft la vôtre; & la ligue ennemie, Levant contre fon Prince un front féditieux, 100. Nous confond dans fa rage, & nous poursuit tous deux : Paris nous méconnaît, Paris ne veut pour maître, Ni moi qui fuis fon Roi, ni vous qui devez l'être; Ils favent que les loix, le mérite, & le fang, Tout après mon trépas vous appelle à ce rang; 105. Et redoutant déja votre grandeur future, Du trône où je chancelle, ils penfent vous exclure, Rome, qui fans foldats porte en tous lieux la guerre, 110. Aux mains des Efpagnols a remis fon tonnerre : Sujets, amis, parens, tout a trahi fa foi, 115. Tout me fuit, m'abandonne, ou s'arme contre moi, Et l'Efpagnol avide, enrichi de mes pertes, Vient en foule inonder mes campagnes défertes. Contre tant d'ennemis ardens à m'outrager, Dans la France à mon tour appellons l'étranger: Des Anglais en fecret gagnez l'illustre Reine. ( 4 ) Je fais qu'entr'eux & nous une immortelle haine Nous permet rarement de marcher réunis, 120. Que Londre eft de tout tem's l'émule de Paris; Mais après les affronts, dont ma gloire eft flétrie, Je n'ai plus de fujets, je n'ai plus de patrie, Je hais, je veux punir des peuples odieux; Et quiconque me venge, eft Français à mes yeux. 125. Je n'occuperai point dans un tel ministère 130. De mes fecrets agens la lenteur ordinaire: Mais c'eft de vos vertus que j'attens des amis. Il dit, & le Héros, qui jaloux de fa gloire, Craignait de partager l'honneur de la victoire, 135. Sentit en l'écoutant une jufte douleur, Il regrettait ces tems fi chèrs à fon grand cœur, Le croit toujours préfent, prêt à fondre fur elle, Déja des Neuftriens il franchit la campagne : (6) A travers deux rochers, où la mer mugiffante Vient brifer en courroux fon onde blanchiffante, Dieppe aux yeux du Héros offre fon heureux port: 160. Les matelots ardens s'empreffent fur le bord; Les vaiffeaux fous leurs mains fiers fouverains des ondes, Etaient prêts à voler fur les plaines profondes: Et le feu des éclairs, & l'abîme des flots, Le Héros qu'affiégeait une mer en furie, Ne fonge en ce danger qu'aux maux de fa patrie, 175. Tourne fes yeux vers elle, & dans fes grands deffeins, Semble accufer les vents d'arrêter fes deftins. Tel, & moins généreux, aux rivages d'Epire, Lorfque de l'univers il difputait l'empire, Confiant fur les flots aux Aquilons mutins, 180. Le deftin de la terre, & celui des Romains, Défiant à la fois, & Pompée & Neptune, Céfar i) à la tempête oppofait fa fortune. Dans ce même moment le Dieu de l'univers, Qui vole fur les vents, qui foulève les mers, 185. Ce Dieu dont la fageffe ineffable & profonde, Forme, éléve, & détruit les empires du monde, De fon trône enflammé qui luit au haut des cieux Sur le Héros Français daigna baiffer les yeux.. Il le guidait lui-même. Il ordonne aux orages, 190. De porter le vaiffeau vers ces prochains rivages, Où Jersey femble aux yeux fortir du sein des flots; Là, conduit par le ciel, aborda le Héros. Non loin de ce rivage, un bois fombre & tranquile Sous des ombrages frais présente un doux azile. 195. Un rocher, qui le cache à la fureur des flots, Défend aux Aquilons d'en troubler le repos. Une grotte eft auprès, dont la fimple ftructure Doit tous fes ornemens aux mains de la nature. Un vieillard vénérable avait loin de la cour 200. Cherché la douce paix dans cet obfcur féjour. Aux humains inconnu, libre d'inquiétude, C'est là que de lui-même il faifoit fon étude; C'est là qu'il regrettait fes inutiles jours, Plongés dans les plaifirs, perdus dans les amours. 205. Sur l'émail de ces prés, au bord de ces fontaines, Il foulait à fes pieds les paffions humaines : Tranquille, il attendait, qu'au gré de fes fouhaits La mort vint à fon Dieu le rejoindre à jamais. Ce Dieu qu'il adorait, prit soin de fa vieilleffe, 210. Il fit dans fon défert defcendre la fageffe; Et prodigue envers lui de fes tréfors divins, Il ouvrit à fes yeux le livre des deftins. Ce vieillard au Héros que Dieu lui fit connaître, Au bord d'une onde pure offre un feftin champêtre. 245. Le Prince à ces repas était accoûtumé: Souvent fous l'humble toît du laboureur charmé, Le trouble répandu dans l'Empire Chrétien, 220. Fut pour eux le fujet d'un utile entretien. Mornay qui dans sa secte était inébranlable,· Prêtait au Calvinifme un appui redoutable; Henri doutait encore, & demandait aux cieux, Qu'un rayon de clarté vint deffiller fes yeux. 225. De tout tems, difait-il, la vérité facrée, Chez les faibles humains fut d'erreurs entourée : De Dieu, dit le vieillard; adorons les deffeins, 235. Je l'ai vû fans fuport exilé dans nos murs, Loin de la cour alors en cette grotte obscure, Un culte fi nouveau ne peut durer toûjours. 255. Ce Dieu vous a choifi. Sa main dans les combats, Au trône des Valois va conduire vos pas. Déja fa voix terrible ordonne à la victoire, De préparer pour vous les chemins de la gloire.- 260. N'efperez point entrer dans les murs de Paris. Surtout des plus grands cœurs évitez la faibleffe, 265. Enfin quand vous aurez, par un effort fuprême, 270. Vous lévérez les yeux vers le Dieu de vos pères; Vous verrez qu'un coeur droit peut espérer en lui. Allez, qui lui reffemble eft für de fon appui. Chaque, mot qu'il disait était un trait de flamme, Qui pénétrait Henri jufqu'au fond de fon ame. 275. Il fe crut tranfporté dans ce tems bienheureux, Où le Dieu des humains converfait avec eux, Où la fimple vertu, prodiguant les miracles Commandait à des Rois, & rendait des oracles. Il quitte avec regret ce vieillard vertueux; 280. Des pleurs en l'embraffant coulèrent de fes yeux; Et dès ce moment méme il entrevit l'aurore 1. De ce jour qui pour lui ne brillait pas encore. Mornay parut furpris, & ne fut point touché : Dieu, maître de fes dons, de lui s'était caché. 285. Vainement fur la terre il eut le nom de fage, Au milieu des vertus l'erreur fut fon partage. Tandis que le vieillard inftruit par le Seigneur, Entretenait le Prince, & parlait à fon cœur, Les vents impétueux à sa voix s'apaisérent, 290. Le foleil reparut, les ondes fe calmèrent. Bientôt jufqu'au rivage il conduifit Bourbon : Le Héros part, & vole aux plaines d'Albion. En voyant l'Angleterre, en fecret il admire Le changement heureux de ce puiffant Empire, 295. Où l'éternel abus de tant de fages loix Fit long-tems le malheur & du peuple & des Rois. |