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et de grand courage, le comte Rossi, assassiné le 16 septembre 1848 sur les marches du palais de la Chancellerie apostolique, au moment où il allait, en qualité de premier ministre de Pie IX, inaugurer la Constituante romaine. Le comte Rossi était francmaçon. Ayant longtemps vécu hors d'Italie, il avait pris les allures et les convictions d'un homme libre. Il s'était donné au Pape avec l'espoir de concilier deux choses qu'il ne savait pas si opposées : le respect dû au Vicaire de Jésus-Christ et l'aspiration de la péninsule à une sage liberté. Mais la secte se dressa devant lui et lui barra le passage à l'aide d'un coup de couteau. Ce coup de couteau appliqué avec art était et est toujours dans la coutume italienne. Un des conjurés frappe légèrement de la main la victime sur l'épaule droite; la victime tourne sa tête et offre ainsi son cou à l'exécuteur, et celui-ci y plonge l'instrument auquel il imprime un rapide mouvement de va et vient qui coupe la veine carotide. E FATTO! C'est fait. Les autres conjurés se groupent, s'agitent, enveloppent le meurtrier et le font disparaître sous les yeux de la police qui ne doit rien voir. Si la Justice veut ordonner un procès, le procès ne tarde pas à s'arrêter faute de témoins. Qui oserait témoigner contre un assassin politique? On ne ressusciterait pas la victime et on se condamnerait soi-même à la mort.

Tenez pour certain qu'on ne trouvera pas de témoins dans l'affaire Ferenzona. Les mœurs tournant aujourd'hui à une certaine hypocrisie, on fera une souscription en faveur de la veuve et des enfants. Mais la veuve et les enfants n'auront pas un sou. Les frères et les amis feront ripaille et boiront à la plus grande gloire de l'art de l'assassinat.

Pour ne redouter point le poignard des sectaires, le plus sûr moyen est de rester catholique fidèle. Tout journaliste indépendant et honnête en Italie aurait pu écrire et signer impunément Garibaldi l'ingrato. Ferenzona était franc-maçon, il travaillait dans le monde anticatholique. Il n'avait point le droit de cracher sur l'un des manitous de la révolution et de braver par là l'art de l'assassinat.

S. G.

ROBERT WALPOLE

Sir Robert Walpole. A political biography, 1676-1745, by Alex. Charles Ewald, F. S. A., London, Chapman and Hall, 193, Piccadilly, 1878 (1 vol. in-8°, 466 p.).

Celui qui se propose d'écrire la biographie de sir Robert Walpole n'a pas à faire de grandes recherches. L'archidiacre anglican Coxe a consacré de nombreuses années à fouiller dans les archives de l'État ainsi que dans les papiers de la famille et des amis du célèbre ministre, et a épuisé au sujet de celui-ci presque toutes les sources d'information. Les successeurs de Coxe ajouteront donc peu de chose aux matériaux qu'il a si laborieusement rassemblés. Mais la discussion des faits, le mobile qui y a donné lieu, l'influence qu'ils ont exercée sur les destinées du peuple anglais, l'appréciation du caractère et de la politique d'un homme qui, durant vingt ans, exerça un pouvoir presque souverain, tout cela laisse aux biographes et aux historiens une carrière toujours ouverte.

Cette carrière, un écrivain distingué, M. Ewald, vient de la parcourir avec beaucoup de succès. Son livre mérite d'autant plus l'attention que, bien que la figure de Walpole en soit le centre, elle est loin d'en absorber seule l'intérêt. Il nous présente un tableau animé de l'histoire d'Angleterre dans la première moitié du xvIe siècle, époque si remarquable où ce pays possède en Europe une puissance qu'il n'avait jamais atteinte et qu'il a rarement dépassée depuis, où le régime parlementaire se développe et prend les allures qu'il a conservées jusqu'à nos jours, époque où, près d'Anne et des deux premiers Georges, apparaît une pléïade d'écrivains éminents, et surtout d'hommes politiques dont le temps n'a point diminué la célébrité, Walpole, Godolphin, Bolingbroke, Marlborough, Carteret, Townshend, Pulteney, William Wyndham, le futur lord Chatam. M. Ewald fournit d'intéressants détails sur la plupart de ces personnages, il dévoile les pensées qui les animèrent et dépeint, souvent avec une grande vigueur, leurs rivalités et leurs formidables combats de tribune.

Peu de noms d'hommes politiques sont aussi souvent prononcés que celui de Robert Walpole. Mais l'usage assez général des écrivains, quand ils rencontrent ce nom sous leur plume, est de lui lancer un sarcasme, et de nous présenter Walpole comme un composé de tous les vices, sans mélange aucun de quelque bonne qualité. Plusieurs vont jusqu'à mettre en doute ses talents et les services qu'il rendit à son pays. M. Ewald est plus juste. Il fait vivement ressortir la haute intelligence du fameux ministre et les progrès dont l'Angleterre lui fut redevable au point de vue économique. Comme homme privé, Walpole laissa énormément à désirer; mais l'éducation déplorable qu'on lui donna y fut pour beaucoup, et les mœurs du temps, particulièrement dans l'aristocratie, étaient telles que Walpole ne semble point pire que la plupart de ses contemporains. Quant à sa valeur morale comme homme politique, nous sommes disposés à admettre, après avoir lu le livre de M. Ewald, que le ministre de la vénalité et de la corruption, ainsi qu'on l'appelle, fut moins mauvais que sa réputation. A notre avis toutefois l'auteur pousse l'indulgence trop loin.

L'écrit qu'on va lire n'est pas une analyse critique de l'ouvrage de M. Ewald. C'est un résumé de ses principales parties, résumé dans lequel nous négligeons autant que possible les points d'histoire générale qu'on peut trouver partout. Nous ne touchons à ces points que dans la mesure strictement nécessaire pour faire connaître les hommes et les institutions. M. Ewald est protestant. Il parle rarement des catholiques et ne s'en montre nullement l'ennemi systématique. Il émet toutefois quelques appréciations religieuses que nous laissons de côté. A part ces omissions, nous tâchons de conserver à son œuvre son aspect général, et ne nous permettons que de loin en loin une observation personnelle, la plupart du temps en note.

I.

Robert Walpole, né le 26 août 1676, au château de Houghton dans le comté de Norfolk, était issu d'une vieille famille de noblesse secondaire (gentry) engagée depuis deux générations dans la politique. Successivement membres du parlement pour le bourg de Lynn Regis ou pour celui de Castle Rising, bourgs qui appartenaient à la famille, le grand-père de Robert et son père s'étaient distingués par leurs talents et leur exaltation, le premier

comme partisan des Stuarts, le second comme partisan de la branche cadette. Celui-ci resta membre des communes jusqu'à la fin de sa vie; néanmoins, sa passion pour la chasse et pour l'agriculture lui fit consacrer à Houghton presque tout son temps. Sous sa direction ce domaine devint une des plus belles exploitations rurales de la contrée. Bien que père de dix-neuf enfants, il dépensait beaucoup. C'était l'époque où, à peine le diner desservi, les dames se retiraient de table, laissant les hommes en compagnie du clairet et du Bourgogne jusqu'à ce qu'ils roulassent de leur chaise. Cet usage avait dans le propriétaire de Houghton un fervent adepte, et le château était rarement sans invités. Heureusement que Mistress Walpole était bonne ménagère, que les tenanciers de Castle Rising et de Lynn Regis payaient bien, et que le domaine de Houghton était aussi productif que la châtelaine.

Robert, leur troisième fils, destiné à l'état ecclésiastique, fut mis au collège d'Eton et ensuite à l'université de Cambridge. Il ne s'y distingua point par son application. Il dédaignait l'histoire, les langues, les mathématiques. De tous les classiques, Horace fut le seul qui le charmât et qui soit resté dans sa mémoire, à en juger par les citations quelquefois bien incorrectes-qu'il aima toute sa vie à faire de cet auteur. En revanche il se passionnait pour les discussions politiques et y brillait par son jugement solide, son humour et sa parole facile. Débattre les questions du jour, analyser les mobiles et les manoeuvres du torysme, dépeindre avec les couleurs les plus chaudes les bienfaits de la révolution et les avantages de la succession protestante, mettre à nu les points faibles de l'argumentation adverse, accabler ses contradicteurs de plaisanteries, rarement blessantes pourtant, voilà en quoi le jeune Walpole se complaisait et excellait.

Sa carrière universitaire fut de courte durée. Ses deux frères ainés étant morts pendant son séjour à Cambridge, Robert, devenu le futur chef de la famille, fut rappelé à Houghton. Plus tard, alors qu'il était le premier ministre de l'Angleterre, il aimait à dire avec la confiance d'un homme habitué à réussir, que s'il n'était point devenu un fils aîné, il serait l'archevêque de Cantorbéry. Franchement, les anglicans de Cantorbéry auraient eu peu sujet de se féliciter d'un tel prélat.

Son père se chargea d'achever son éducation. Le vieux Walpole, on l'a déjà vu, n'était pas un rigoriste. Dès le retour de l'ex-théologien à Houghton, cet étrange précepteur lui dit qu'il aurait

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dorénavant à laisser là ses livres et à se conduire comme il convenait à l'héritier futur d'une grande propriété. Tout en initiant son fils aux secrets d'une vaste exploitation agricole, il l'introduisit auprès de la gentry » des environs et le poussa à se livrer à tous les genres de sport. Le jeune Squire » comme on l'appelait au château, fut bientôt l'orgueil de son père et une célébrité dans la contrée. Il dirigeait les travaux champêtres du domaine, surveillait les ouvriers, veillait à la rentrée des fermages, faisait de longues courses à cheval, chassait, fulminait contre le torysme, contait des anecdotes piquantes, disait des chansons équivoques et en était souvent le héros. Voyant son fils répondre si bien à ses leçons, le vieux Walpole s'écriait avec satisfaction que Robert n'était point une soupe au lait, et là-dessus il vidait quelques bouteilles et cuvait en paix son vin. Devenu impotent, il but moins, mais toujours au delà de ses forces. Sans doute pour mettre le sceau à la belle éducation qu'il avait entreprise, il dit un soir à son héritier Robert, tu dois boire deux verres lorsque j'en vide un. Comme tu es plus jeune et plus fort que moi, tu sais mettre plus de liquide sous la ceinture, et il ne me convient point d'avoir un fils sobre comme un juge sur son siège.

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En 1700, Robert épousa miss Catherine Shuter, fille du LordMaire de Londres, une héritière. Dans cette même année le vieux Walpole fut emporté par la goutte, et Robert envoyé par le bourg de Castle Rising au parlement où il prit naturellement place sur les bancs des whigs.

Trois partis divisaient la nation. Le moins nombreux était celui des adhérents des Stuarts, c'est-à-dire du roi déchu Jacques II (1) et après lui, de son fils, qui prit le nom de Jac

(1) Nous rappelons ici quelques faits nécessaires pour l'intelligence de notre écrit. Jacques II, à son avènement au trône, n'avait d'autres enfants que deux filles, Marie et Anne. L'aînée, Marie, héritière présomptive de la couronne, était l'épouse de Guillaume III, prince d'Orange. En 1688, un fils étant né au roi, Guillaume chassa du trône son beau-père dont le grand crime, aux yeux des Anglais, était d'appartenir à la religion catholique et de suivre une politique de tolérance envers tous les cultes. Guillaume ne se contenta point d'être le prince-consort; mais, voulant une royauté personnelle, il obtint d'un parlement composé en grande partie à sa guise, un décret qui, tout en adjugeant la couronne conjointement au prince et à la princesse d'Orange, stipula que le prince aurait seul l'administration du royaume. Ii reçut ensuite le serment de fidélité des membres de deux Chambres, sauf d'un certain nombrede pairs lesquels, restant fidèles à la dynastie légitime, formèrent le noyau de ces non-assermentés ou jacobites qui, pendant 60 ans, troublèrent le nouvel établissement. En 1694, Marie mourut sans laisser d'héritiers. Conformément à un acte du parlement, sa sœur Anne,

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