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voici réparée. Le témoignage de M. de Theux n'est pas perdu pour l'histoire politique de notre pays; quatre ans après le vote de l'art. 117, il en explique les motifs à la Chambre « Le Congrès n'a rien voulu innover. Avant la Constitution les traitements des ministres du culte étaient une dette de l'Etat. Cette dette avait été établie par plusieurs lois à la suite de l'expropriation du clergé..... Le Congrès fait son devoir en stipulant dans la Constitution la dette primitive de l'Etat. On ne peut supposer qu'un homme comme M. de Theux ait perdu la mémoire et changé d'opinion dans l'intervalle de quatre ans ; ces phénomènes, fréquents aujourd'hui, ne s'observaient pas alors. D'ailleurs s'il s'était écarté de la vérité, tous ses anciens collègues du Congrès, présents aux débats et parmi lesquels il y avait beaucoup de libéraux, l'auraient rappelé aux vrais principes. Au lieu de cela nous voyons qu'ils confirment son appréciation. Aucun intérêt ne poussait du reste M. de Theux à faire semblable déclaration. En ce moment il était ministre de l'intérieur et c'était lui précisément qui, à l'encontre de la Chambre, voulait maintenir pour les traitements des vicaires la situation existante.

Telle fut cette première et mémorable discussion de 1835. Le système du gouvernement fut rejeté et par le fait on avait reconnu que l'obligation constitutionnelle de l'Etat devait dans l'avenir être étendue aux vicaires; en même temps on avait précisé le principe de l'art. 117. Sur huit membres, libéraux et catholiques, qui s'occupèrent de la question, et dont sept étaient anciens membres du Congrès national, un seul, un ancien partisan de Defacqz nia le vrai principe, et encore ne parla-t-il qu'en son nom personnel tout en reconnaissant qu'au Congrès l'idée de l'indemnité avait beaucoup de partisans; tous les autres affirmèrent le système de l'indemnité et cette circonstance nous permet d'élever la grande discussion de 1835 à la hauteur d'une interprétation sérieuse et impartiale du principe constitutionnel. Il reste donc acquis dès maintenant, qu'en 1835, la théorie de l'indemnité, plusieurs fois reconnue, ne rencontra qu'un seul et très faible adversaire.

La décision prise par la Chambre à propos de la loi communale faisait prévoir la solution relative aux traitements des vicaires, mais elle ne la fixait pas encore. Cette situation incertaine ne pouvait durer longtemps. Dès l'année suivante, en 1836, le gouvernement proposa une loi qui maintenait le statu quo tout en ayant soin de garantir l'obligation des communes de payer les vicaires. Dans le rapport qui accompagnait ce projet de loi (Moniteur du 9 avril 1836), le gouvernement précisait les motifs qui avaient déterminé le vote de l'année précédente: « Pour rejeter l'amendement à la loi communale, écrivait-il, les orateurs ont

allégué entre autres que, pour démeurer conséquent avec ses principes, le Congrès avait dû modifier dans ce sens les lois anciennes, puisque l'obligation de rétribuer le clergé provenait de la confiscation des biens ecclésiastiques qui avaient profité à l'Etat et non aux communes. » Le gouvernement n'admettait pas cette conséquence, quoiqu'il fût du même avis que la Chambre sur le principe de l'indemnité. Dans le même rapport on lisait en effet : « Par la loi du 18 germinal an X le gouvernement français prit l'engagement d'assurer aux évèques et aux curés un traitement convenable. »

M. Doignon fut nommé rapporteur de la section centrale présidée par M. Raikem: nous sommes en plein Congrès national. Dans son remarquable et très complet travail qui a paru au Moniteur du 28 octobre 1836, l'éminent rapporteur constate que « toutes les sections sont parties d'un principe diametralement opposé à celui du gouvernement, qui, au lieu de considérer les traitements des vicaires comme une charge obligée des communes, les envisage au contraire comme une dette sacrée de l'Etat confirmée et sanctionnée par l'article 117 de la Constitution. » L'honorable rapporteur revient plus d'une fois sur ce principe: « C'est aujourd'hui pour l'Etat comme à l'époque de la Révolution, un engagement inviolable de pourvoir d'une manière convenable à l'entretien des ministres du culte. C'est bien assurément la moindre indemnité qu'il leur doit pour les richesses immenses qu'il s'est appropriées au préjudice du clergé belge. » Inutile de multiplier ces citations, il suffit de remarquer que le rapport de la section centrale, laquelle paraît avoir été unanime sur ce point, repose tout entier sur le principe de l'indemnité.

La discussion du projet de loi commença à la Chambre dans la séance du 15 novembre 1836. Relevons les déclarations de principes, faites à cette occasion. C'est d'abord M. Stas de Volder qui déclare : « Il est hors de doute qu'un traitement appartient aux membres du clergé à titre d'indemnité des biens dont il a été dépouillé. » C'est ensuite M. Fallon qui affirme : « Il est impossible que le décret de 1789 qui avait proclamé solennellement que les biens du clergé n'avaient été attribués à la nation qu'à la charge de pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte et à l'entretien de ses ministres, ait pu échapper au Congrès. » M. Dechamps expliqua longuement son opinion: « Dans la discussion de 1835 tous les orateurs sout tombés d'accord sur un point; c'est que le Congrès avait voulu reconnaître la dette contractée par l'Etat... Les traitements du clergé forment une dette nationale. » L'orateur catholique concluait en disant : « Le traitement ecclésiastique est une indemnité;

nous devons tenir à cette indemnité pour ne pas laisser entamer le principe sacré que quelques-uns voudraient détruire. »

La fin de ce discours prouve évidemment que déjà à cette époque, le système de l'indemnité devait être battu en brêche; mais il résulte clairement de la discussion qui nous occupe, que ses adversaires ne rencontraient pas d'appui aux Chambres. Dans la discussion de 1835 nous n'avons trouvé qu'un seul opposant, M. Lardinois, et en 1836, alors que la question était traitée à fond et qu'une foule d'orateurs affirmaient le principe de l'indemnité, pas un seul ne vint y contredire. Dans la même séance, M. Desmet, et dans celle du 17 novembre, M. Vandenbossche, constataient l'accord de la Chambre pour interpréter l'article 117 comme une conséquence du décret de 1789. Personne ne protesta; et cependant les anciens membres du Congrès ne manquaient pas à l'assemblée de 1836; ils étaient partout: au ministère, dans la section centrale et à la Chambre. En vérité, il serait difficile d'apporter des preuves plus formelles et plus complètes. Remarquons d'ailleurs, qu'après ces discussions et ces rapports, le projet de la section centrale fut adopté à l'unanimité des 71 membres présents. Seuls MM. Lardinois et Gendebien s'abstinrent le second parce que la loi n'était pas encore assez impérative, et le premier « parce qu'il n'avait pas assisté à la discussion. »

Il reste acquis qu'en 1835 et en 1836, la Chambre des représentants interprétait l'article 117 de la Constitution à la lumière du principe de l'indemnité.

Si nous passons au Sénat, nous constatons en parcourant toutes les discussions qui y curent lieu depuis 1830, que jamais jusqu'ici dans notre Chambre haute le principe de l'indemnité n'y a été l'objet de protestations ou de dénégations. Il y fut au contraire affirmé très souvent et de la manière la plus formelle, et nous n'avons pas trouvé qu'il y ait provoqué une seule fois la moindre discussion. Faisons grâce des citations, qu'on pourra trouver d'ailleurs au Moniteur dans les séances des 3 mai 1832, 4 octobre 1833, 13 février 1835, 21 décembre 1836, etc., etc.

En 1838, à l'occasion du budget de l'intérieur qui comprenait encore à cette époque les indemnités payées aux cultes, une nouvelle discussion s'éleva à ce sujet à la Chambre. Le gouvernement, à la suite de la promotion du primat de Belgique à la dignité de cardinal, proposa de lui allouer un traitement de 30,000 francs. M. Dechamps qui avait pris

une part importante à la discussion de 1836, fut rapporteur de la section centrale. Indiquant le principe qui avait jusqu'alors constamment prévalu au sein de la Chambre, il s'exprimait comme suit: « Depuis le Congrès jusqu'aujourd'hui, toujours la majorité dans les Chambres, lorsqu'il s'est agi des traitements des ministres du culte catholique, a considéré ces traitements non comme dévolu simplement à des fonctionnaires publics, mais comme une indemnité due au clergé, dérivant de la perte de ses biens. »

Cette fois, un membre de la Chambre, nouveau venu dans la politique dirigeante, prétendit démontrer que les anciens membres du Congrès n'entendaient rien à la question et que les Chambres elles-mêmes n'avait pas interprété le principe de l'article 117, comme M. Dechamps l'affirmait. Serait-il vrai, s'écria M. Verhaegen, comme le porte le rapport de la section centrale, que toujours la majorité dans les Chambres a considéré les traitements comme une indemnité? Je ne sais ce qu'on appelle la majorité ni de quelle manière elle se serait prononcée sur cette question vitale; mais ce que je sais, c'est que depuis longtemps on a fait justice de ces prétentions exagérées... Ce qu'on réclame pour les ministres du culte catholique, ce sont des traitements et non des inderunités » (19 déc. 1838). Il disait même dans la séance du 21 décembre 1838: «En 1831, on a pris pour les fonctionnaires ecclésiastiques une mesure semblable à celle qui avait été prise pour les fonctionnaires civils. La théorie de M. Verhaegen consistait donc à interpréter le mot de << traitements » dans un sens restrictif et à assimiler sous ce rapport les membres du clergé aux fonctionnaires publics. C'est bien la théorie libérale actuelle qui donne à l'État un droit d'immixtion et de vérification.

Mais quelle est donc la valeur de ce témoignage nouveau ? Émane-til d'une de ces personnalités puissantes et autorisées dont l'opinion puisse détruire toutes les déclarations antérieures et réduire à néant les principes si souvent exprimés à la Chambre ? Il ne nous faudra pas sortir du Moniteur et des propres paroles de M. Verhaegen pour répondre à cette question. Celui qui en 1838 entendait faire la leçon aux anciens membres du Congrès et leur apprendre ce qu'ils avaient voté huit ans auparavant, reconnaissait, non sans un certain orgueil, qui nous paraît peu explicable à nous admirateur de la génération de 1830, qu'élu membre du Congrès national, il refusa le mandat dont on l'avait honoré (séance du 21 février 1840). Aux généreux et patriotiques sentiments de nos constituants il opposait donc son opinion à lui, c'est-à-dire celle d'un absent qui avait refusé de prendre part au mouvement de 1830 et qui

s'était renfermé dans l'abstention, au moment où, sur le champ de bataille et à la tribune nationale, nos pères édifiaient l'œuvre de l'indépendance de la Belgique. « 1830 est arrivé, disait M. Verhaegen (21 février 1840); je n'ai pas pris part à la Révolution; j'étais à la campagne, j'y suis resté; je n'avais aucune obligation à remplir; je n'ai rien fait pour la Révolution, je n'ai rien fait contre. » Le précurseur de la théorie libérale actuelle fut donc au sein de nos Chambres, un abstentionniste de 1830, qui essayait dès 1838, de fausser l'esprit dont étaient animés nos constituants, en reprenant la thèse de la minorité du Congrès national, celle de M. Defacqz et de ses amis.

Mais laissons l'honorable membre se réfuter lui-même. En 1838 il niait qu'à la Chambre le principe de l'indemnité eût été constamment admis et voici comment il s'exprimait deux ans plus tard, dans la séance du 16 décembre 1840 « Nous nous imaginions voir dans les biens nationalisés du clergé des domaines de l'Etat légitimement acquis au pays; nous pensions que cette acquisition, indépendamment de tous les droits de l'Etat sur les biens qu'elle embrasse en raison de leur origine, avait été surabondamment payée par la mise à charge de l'Etat des frais du culte catholique. Et c'est ainsi qu'on s'en est constamment expliqué dans cette enceinte. » Ainsi donc de l'aveu de M. Verhaegen mieux informé, c'est par le principe de l'indemnité qu'on a toujours interprété la mise à la charge de l'Etat des frais du culte catholique, et il nous étonne que l'honorable membre ne l'ait pas reconnu dès 1838.

Il restait à organiser les pensions ecclésiastiques également garanties par l'article 117. On s'en occupa en 1841 à propos de la loi générale sur les pensions. Voici comment le ministre de la justice, M. d'Huart s'expliquait à ce sujet : « Par suite des décrets de 1789, l'Etat a accepté la charge de pourvoir à l'entretien des ministres du culte. Cette obligation serait imparfaitement remplie si l'Etat les abandonnait lorsque l'âge et les infirmités viennent affaiblir leurs forces. » Et il ajoutait « Jusqu'ici le gouvernement a accordé des secours. Mais cette mesure ne satisfait pas aux vues de la Constitution. Ce n'est pas une aumône précaire, c'est une pension garantie par la loi que le ministre du culte âgé ou infirme est fondé à réclamer.» (Moniteur du 24 janvier 1841.)

La discussion de la loi commença le 25 janvier 1841. Aussitôt M. Doignon insista sur le principe de l'indemnité. Nous regrettons de ne pouvoir citer, faute d'espace, son discours très explicite dont voici la conclusion: « La pension des ministres du culte est une dette, une véritable obligation consacrée par le décret de 1789 et confirmée au sur

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