A ordinaire, on la fouftient plus opiniaftrément que fi elle eftoit plus aifée à croire, & on eft fi preocupé, qu'on fe perfuade aifément tout ce qui peut feruir à l'authorifer. Ainfi le pauure Damon ne s'apperceuant pas que fon Riual fe moquoit de luy, le coniura de vouloir continuer ; Cefonie & Valerie en firent autant, 1 Anacreon, Herminius, Acrife, & Sicinius l'en prefferent, fi bien que reprenant la parole, ie vous affure, dit il, que la vie qu'on dit qui eft vne chose fort precieufe, eft pourtant plus penible qu'on ne penfe. Car enfin quoy que ie me fouuienne de tout ce que i'ay efté, ie ne me fouuiens point d'auoir efté 1 tout à fait heureux. Ie ne fus pourtant pas tout à fait miferable apres auoir efté fi timide, car ie fus deftiné à deuenir Cygne, i'eus mef me le bonheur de l'eftre dans vn 4. Partie. KK kk. que des plus beaux eftangs que ie vy iamais, & de manger affez fouuent dans les plus belles mains du monde, car le lieu où i'eftois appartenoit à vne tres-belle perfonne qui m'aimoit fort. Mais apres tout il falut chanter pour mourir, de forte que quoy qu'on die que le chant des Cygnes eft tres-agreable, il est fi fafcheux pour ceux qui chantent, ie fus fort aise de changer de figure. Ie me repentis bien-toft apres de ce fouhait-là, car les Dieux pour me punir de m'estre ennuyé de ma condition, lors que i'eftois vn des plus beaux Cygnes qui fut iamais, me firent vn mefchant Poëte. De forte que ie fus tres-miserable, ce n'eft pas que ie ne trouuaffe que tout ce que ie faifois eftoit tres-beau, & que ie ne m'admiraffe moy-mefme, mais c'est qu'il m'arriuoit toufiours quelque auanture, qui me faifoit connoiftre que i'eftois mon vnique admirateur. En effet, ie m'aduifay vn iour malheureufement d'aller monftrer en vnc grande compagnie, des vers que l'auois faits, fans dire qu'ils fuffent de ma façon, efperant d'en eftre loüé dauantage. Mais ie m'en repent tis eftrangement, car il n'y cut perfonne qui ne les trouuaft mauuais, & qui n'en fift vne raillerie. Mais ce qui m'affligea encore plus, fut ie les deffendis d'vne maniere qui fit connoiftre à ceux qui s'en moquoient, que ie les auois faits; fi bien que voulant radoucir ce qu'ils auoient dit, ils acheuerent de me defefperer. Ce n'eft pas que ie ne creuffe qu'ils iugeoient mal de mes vers, mais cela n'empefchoit pas que ie n'euffe bien du defpit. le croyois que mon fiecle eftoit ignorant, qu'on n'y iugeoir des KK kk ij que chofes que par caprice, ou par faucur, que ie valois mieux que ceux qu'on loüoit plus que moy, & ie mourus enfin dans l'erreur où l'auos vescu; c'est à dire que ie creus toufiours que mes vers cftoient bons, quoy qu'il me fouuienne bien auiourd'huy qu'ils eftoient tres- mauuais. Mais comme ie m'eftois toûjours deuoré moy-mefme, la fatalité voulut que ie deuinffe Pelican, c'eft pourtant vn oyfeau affez rare, & dont il n'eft guere plus que de Phoenix, mais enfin apres eftre mort pour donner la vie à mes petits Pelicans, qui estoient tout à fait iolis, mon efprit fut enuoyé à Sparte, animer le corps d'vn ieune Lacedemonien, qui fut le plus adroit voleur qu'on y vit iamais. En effet ie defrobay fi finement, qu'il y cut vniour vne ieune & belle perfonne, qui m'auoüa qu'il y auoit & plus de fix mois que ie luy auois defrobé le cœur, qu'elle ne s'en eftoit pas encore apperçeuë. Ha! Amilcar, s'efcria Plotine, qui ne cherchoit qu'vne occafion de rire, que vous me faites de peur, que ie ferois attrapée fi vous auiez pris mon cœur fans que i'en fceuffe rien. Pour cet article-là, reprit froide. ment Damon, on voit bien qu'Amilcar a voulu ioindre vn agreable menfonge à la verité, quoy qu'il fift mieux de parler vn peu plus ferieufement, d'vne chofe de cette importance. le feray ce que vous defirez, repliqua Amilcar fans s'émouuoir, mais pour accourcir mon recit, ie diray qu'apres cela ie deuins mary ialoux, en fuite Maiftreffe ialoufe, auffi toft apres Amant ialoux, femme ialoufe, Amy ialoux de fon Amy, ialoux fans fuiet, ialoux auec raison, & que i'efKK kk iij |