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verez, je vous le garantis, plus prompté à vous aider qu'une » mère selon la chair, et plus tendre dans son affection pour

» vous 1. D

Voilà le prêtre, le père tout à la fois : écoutons maintenant l'ami et l'homme de Dieu : il s'adresse à la mère et à la fille, à Béatrix et à Mathilde:

Lettre de Grégoire VII à la comtesse Béatrix et à Mathilde.

Comme j'ai plus de confiance en vous que dans tous les > autres princes de l'empire romain, ........j'ai demandé au ciel que ›le juge suprême soit, à ma sollicitation instante (me instante), » glorifié par votre zèle et votre piété. En effet, votre charité vous »fait, sans aucun doute, comprendre que dans votre conduite je »> ne veux que deux choses : l'honneur de Dieu et votre salut. C'est » pour cela que je dis avec le prophète : Offrez un sacrifice de jus»tice et espérez dans le Seigneur. Et encore: Jugez l'orphelin et défendez les veuves, puis venez et appelez-moi, dit le Seigneur. Oui certes, >> aider et aimer le prochain par amour de Dieu, soutenir les »malheureux et les opprimés est, dans mon opinion, bien pré»férable aux oraisons, aux jeûnes, aux veilles, et à une foule » d'autres bonnes œuvres; car je n'hésite pas, avec l'apôtre, à » placer la charité au-dessus de toutes les vertus. Et si cette charité, mère de toutes les vertus, qui a porté Dieu à quitter le >>ciel pour venir supporter notre misère, ne m'enseignait que » c'est elle qui, dans vos personnes, secourt les Eglises opprimées et malheureuses, qui sert aussi l'Eglise universelle, » croyez bien que je vous conseillerais de quitter le siècle et tous > ses soucis. Mais comme vous ne chassez pas Dieu de votre cœur, ainsi que le font tant d'autres princes; comme, au con» traire, vous l'invitez à y venir en lui offrant un sacrifice de justice; je vous demande, je vous supplie, très-chères filles, » d'accomplir le bien que vous avez commencé. Que ni la faveur »de l'homme, ni l'amour de l'argent, ni le désir d'une vaine gloire ne puissent ternir l'éclat de votre sacrifice. Car celui » qui sert Dieu seulement en vue de cette vie, vend à vil prix »>une chose inestimable. Si je vous écris peu, vous que j'aime

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» d'une affection si sincère, cela prouve que je suis accablé de » soucis. Vous savez bien que pour vous je n'ai pas recours à une » main étrangère, mais que je me mets moi-même à l'œuvre, » sans me gêner pour le style (rusticano stylo): car si vous m'ai» mez comme je vous aime, je ne connais pas d'homme que » vous puissiez me préférer. Puisse le Dieu tout-puissant, par les » mérites de notre souveraine maîtresse, par l'autorité de Saint>> Pierre et de Saint-Paul, vous absoudre de tous vos péchés, >> et vous conduire avec joie dans le sein de votre mère univer» selle 1. >>>

Ne sont-ce pas là les accens de saint François de Sales, parlant à Me de Chantal ? Quel mélange de sainteté et de douceur, de naïveté et d'élévation! Oh! qui pourrait douter de la force de ces liens célestes et tout spirituels, qui unissent certaines âmes chrétiennes! Mystère d'amitié sublime et profond que la Providence offre quelquefois à nos regards pour consoler notre pauvre nature si froide et si égoïste. C'est chez les femmes surtout que se rencontrent ces tendresses sacrées, car en elles il y a un foyer d'ardeur et de nobles sentimens que les hommes ne conçoivent, n'embrassent que bien rarement! A côté d'un grand élu du Christianisme, nous trouverons presque toujours une femme que Dieu choisit pour suivre la même voie; saint François d'Assise et Catherine de Sienne, saint François de Sales et Mme de Chantal, saint Vincent de Paule et Mme Legras! Respectons et admirons ces alliances célestes, qui naissent, se sanctifient, et se perpétuent dans le cœur du Dieu de charité !

Il ne faut cependant pas croire que l'attachement de Grégoire VII pour les deux comtesses de Toscane fût aveugle ou faible, quand il s'agissait de les reprendre. Alors son langage s'empreint de l'énergie de son caractère, sans perdre l'expression de la douceur. Un évêque simoniaque s'était mis en route pour venir le trouver, et demander le pardon de sa faute. Dans un zèle mal entendu, Béatrix et Mathilde le retinrent dans leurs états, et peut-être lui firent subir quelques mauvais traitemens. «Puisque, d'après le témoignage du prophète, leur

› Epist. 1, 50.

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Décrit sur-le-champ le pontife, Dieu ne méprise pas le cœur » contrit et humilié, nous qui sommes pécheurs, et qui ne pouvons lire dans les cœurs, nous devons, à plus forte raison, ne »point repousser le repentir qui nous est mani esté.... Or, cet »évêque est le seul de tous les prélats allemands, qui soit venu »près des tombeaux des Apôtres avec humilité..., jeûnant, à pied, supportant une grande fatigue, et donnant des preuves évidentes de sa componction.... Songez donc, je vous prie, ›à votre conduite envers lui; elle est non moins inconvenante >pour vous-mêmes, qu'humiliante pour moi, et méprisante pour saint Pierre et le siége apostolique, puisque, précisé»ment dans les pays où les pèlerins doivent trouver plus de sûreté que partout ailleurs, ils sont en butte à des dangers ca»chés et imprévus; et que nous, qui défendons aux autres 'princes de pareils méfaits, nous paraissons être de connivence › avec vous, à raison de notre intimité réciproque. Ainsi nous vous demandons instamment, et nous vous avertissons d'a>>>doucir de tout votre pouvoir ses souffrances (injurias ejus quantum potestis demulcentes), de lui montrer ouvertement votre > bienveillance et votre charité, et de lui donner une escorte pour l'accompagner jusque chez le Milanais Erlembald. »

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D

Grégoire entre ensuite dans quelques détails sur ses actes publics, et il finit en disant :

«C'est de grand cœur que nous vous rendons compte de »notre conduite, parce que nous ne pouvons vous donner une » marque plus certaine de la force de notre attachement. Nous "n'ignorons pas tous les jugemens divers que les hommes por> tent sur nos actes; les uns nous appelant crédule, les autres trop doux. Je ne crois pouvoir mieux y répondre qu'avec ces » paroles de l'Apôtre Peu m'importe d'être jugé par vous ou par un tribunal humain 1. »

Quand les intérêts ou de la justice ou de la morale sont conpromis, il n'y a aucune considération d'amitié ou de politique qui puissent arrêter le pontife, nous le voyons. Ici, c'est l'homme privé que nous avons pris sur le fait; ces lettres n'étaient destinées à aucun autre œil qu'à celui de la comtesse de Toscane;

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c'est l'ami s'épanchant dans le sein de deux âmes qui ont compris toute la noblesse de la sienne, et aimant à se nourrir de cette unique consolation que Dieu lui avait donnée au milieu des amertumes qui abreuvaient le reste de sa vie. Encore convalescent d'une maladie douloureuse, il se hâte d'assurer ses amies de son inviolable attachement, et de leur communiquer ses lugubres gémissemens sur l'état de l'Eglise,

« Nous sommes au fait de tous les bruits qu'on vous a rap>> portés sur nous, comme font d'ordinaire ceux qui portent envie » à l'affection et à l'union de deux amis solides. Eh! certes, sj » nous voulions prêter l'oreille à de pareilles intrigues, il y a » bien peu de gens à l'attachement desquels nous puissions >> croire. Mais nous haïssons, par-dessus tout, un esprit soup>çonneux, et nous vous dirons en toute vérité qu'il n'y a aucun » prince de la terre qui nous ait inspiré autant de confiance que » vous, parce que vos paroles, vos actes, votre zèle pieux, votre >> foi inébranlable nous ont appris à l'avoir. Qui, nous ne doutons » pas un seul instant que votre affection, si vraie, ne brille au » grand jour, parce que dans Pierre vous aimez son serviteur, » et Pierre dans le serviteur. Sachez que, contre l'attente géné>>rale de ceux qui nous entourent, nous venons d'échapper à » une grande maladie; mais nous y trouvons un sujet de tris>> tesse plutôt que de joie; car notre âme tendait et aspirait de toutes ses forces (toto desiderio ad illam patriam anhelabat) à » cette patrie où celui qui voit la douleur et le travail, donne le repos et le rafraîchissement aux gens fatigués. Cependant > nous sommes réservé encore à nos labeurs ordinaires, à des >> sollicitudes sans fin qui nous accablent d'heure en heure; » nous souffrons les douleurs et les angoisses de l'enfantement, parce que, sans pouvoir la sauver par le gouvernail, nous » voyons l'Eglise faire naufrage presque sous nos yeux. La loi et >> la religion chrétienne dépérissent tellement de toutes parts que » les Sarrasins et les Païens mêmes tiennent plus à leurs rites » que ceux qui ont reçu le nom de Chrétiens, pour lesquels l'hé»ritage du père et une gloire éternelle ont été préparés par le » Christ, pourvu qu'ils observent les divins préceptes de sa loi. » Il n'est donc pas étonnant que dans l'espoir d'une consolation suprême, nous cherchions à éviter les anxiétés de cette vie,

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nous qui, connaissant le débordement de tous ces périls, portons la peine de chacun........ »

Arrêtons-nous devant l'expression de cette douleur si profonde, si déchirante; respectons le cri de cette âme en détresse revenue des bords de la tombe, et qui se lamente d'être encore contrainte de porter ses lèvres à la coupe d'amertume! Oh! oui, respectons-la, et laissons au ciel ses mystères et ses secrets. Quand Grégoire écrivait ces tristes lignes, il était seulement depuis un an sur le trône pontifical!

S'il nous faut porter un jugement critique sur Grégoire VII et son siècle, il nous semble que l'auteur eût pu nous épargner quelquefois des longueurs : la rapidité du récit souffre de ces retours continuels à l'Allemagne, et quelquefois le heros principal disparaît pendant trop long-tems de nos regards. Un autre défaut que nous aurions à reprocher à M. Voigt, c'est de lui prêter quelquefois des vues trop mondaines; en général, c'est l'homme politique, et rien que le politique qui se montre. Or, chez Grégoire, tout partait d'un point de vue religieux, et s'il employa d'autres moyens, ce n'était, en dernière analyse, que pour arriver à cette réforme religieuse, qui lui paraissait la première base de la réforme politique.

Tout notre but, comme nous l'avons dit en commençant, a été de faire connaître un écrit utile à la religion et à la science: nous nous estimerons heureux, si un seul jeune homme, aimant comme nous avec passion l'étude du passé, se diț en le fermant : J'ai rectifié encore une erreur.

Ici finit l'introduction de M. Audley; nous avons cru qu'elle contenait beaucoup de choses qu'il était utile de consigner dans nos pages; voici maintenant en quoi consiste le travail de M. Jager.

Après avoir tracé rapidement le tableau de l'histoire de Grégoire VII et de l'état de l'Eglise à cette époque, il arrive à la grande question des reproches qu'on lui fait d'avoir usurpe des droits qu'il s'attribuait sur les rois. M. Jager entreprend de prouver que ces droits tenaient du régime féodal, et que nonseulement ils étaient les mêmes que ceux qui étaient exer1 Epist. II, 9.

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