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contre les nations étrangères, mais ce qui, d'un autre côté, aurait empêché le développement de cette culture et de cette flexibilité d'intelligence pour toute sorte d'entreprises (jene vielverzweigte Regsamkeit), qui distinguent les Allemands de tous les autres peuples de l'Europe. Si nous jugeons l'intervention du Pape d'après les lumières fournies par les siècles suivans, nous devrons la regretter, et la blâmer, si nous la jugeons d'après les idées de notre siècle.

Quant à déplorer cette intervention, il nous semble que nous ne le pouvons pas avec une parfaite connaissance de cause, car nous savons bien les maux qui sont résultés de la division de l'Allemagne, mais nous ignorons tout-à-fait quels autres maux seraient vraisemblement résultés de la réunion de tous ces états indépendans en un seul empire héréditaire; et si le Pape, en l'empêchant, contribua au développement plus libre et plus original de ces éminentes qualités intellectuelles, de cette culture d'esprit et de cette activité qui distinguent les Allemands, ceux-ci n'ont pas tant à se plaindre de l'influence qu'Innocent III exerça sur les destinées de leur patrie. L'em- ` pire, bien qu'électif, aurait pu se montrer fort et uni, si les princes jaloux du pouvoir impérial, jaloux de l'autorité de l'Eglise, jaloux les uns des autres, ne se fussent pas rendus la proie facile de ceux qui divisent pour régner, et surtout s'ils n'avaient pas sacrifié à l'intérêt personnel le bien le plus fort et le plus sacré des provinces de l'Allemagne, c'est-à-dire l'unité de la religion.

Mais laissons l'Allemagne, pour écouter M. Hurter sur l'une des affaires les plus épineuses que Célestin légua à son successeur Le divorce de Philippe-Auguste et de la reine Ingeburge de Danemark. Le roi la prit en dégoût dès le jour des noces, ainsi que le racontent quelques historiens, et fit annuler son mariage par une assemblée d'évêques, sous le prétendu prétexte de parenté à un degré prohibé. La malheureuse épouse répudiée, ne pouvant se défendre à cause de son ignorance de la langue, se bornait à s'écrier: Male Francia! malè Francia! Roma! Roma! indiquant ainsi le seul juge impartial que pouvaient trouver sur la terre ceux qui avaient à se plaindre d'un roi. Célestin annula la sentence précipitée et illégitime rendue contre une infortunée sans défense, par des hommes qui n'a

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vaient pas moins méconnu le caractère sacré du mariage, que les droits du siége apostolique, puisqu'il s'agissait d'une reine couronnée. Philippe au lieu d'obéir, songea à former une nouvelle union. La fille du comte Palatin refusa avec un noble dédain la couronne qui lui était offerte, et la main de celui qui avait si cruellement outragé son sexe 1; mais le roi épousa enfin Agnès de Méranie. Aussitôt qu'Innocent eut succédé à Célestin, il se disposa à faire disparaître de l'Eglise un si grand scandale. Il croyait qu'il ne devait point fermer l'oreille aux plaintes d'une femme opprimée, et que le pape était appelé de Dieu pour ramener par de fraternelles admonestations et des sentimens spirituels, quiconque persiste dans le péché mortel. Dans cet état de choses, le pape ne pouvait pas considérer le souverain, mais uniquement le chrétien et les règles de conduite que Dieu a prescrites à tous sans distinction de rang. Il suffira de rappeler les circonstances où se trouvait Innocent lorsqu'il soutint les intérêts de la morale chrétienne avec une si grande énergie, pour convaincre chacun que sa conduite fut éloignée de tout but temporel et de tout calcul terrestre. Le roi de France pouvait lui prêter de grands secours dans les troubles de l'Italie, lui être un allié puissant dans ses différends avec l'Allemagne, et contribuer beaucoup à la croisade que le Pape avait tant à cœur. Toutes ces considérations ne purent faire hésiter Innocent dans l'accomplissement du plus sublime devoir de son auguste charge. Les intérêts mondains et temporels de l'Eglise elle-même, furent mis par lui après les intérêts du ciel, c'est-à-dire de la sainte loi de Dieu donnée à la terre. Il ne voulut pas se faire un ami momentané du roi de France, au risque d'introduire un ennemi éternel dans sa propre conscience. En blåmant une si sainte rigueur, on défendrait un principe très-dangereux, c'està-dire que dans certaines circonstances, on peut se dispenser de suivre dans toute son intégrité la morale chrétienne.

M. Hurter raconte beaucoup d'autres affaires où Innocent intervint dans la première année de son pontificat pour régler dans l'intérêt de la paix, de la morale et de la religion, les destinées

1 Audivi, dit-elle, quomodo fædavit et abjecit puellam nobilissimam, regis Daniæ germanam, et veror exemplum. - Félicitons M. Hurter d'avoir rapporté des faits semblables et si peu connus.

du monde, du nord au midi, et de l'orient à l'occident. Et après nous avoir fait connaître l'influence européenne du pape, il trace le tableau des innombrables affaires ecclésiastiques que les églises particulières, les monastères et souvent de simples individus adressèrent à Rome pour être réglées par le chef de l'Eglise. Si les coréligionnaires de M. Hurter voulaient méditer ce qu'il dit à ce sujet, peut-être resteraient-ils convaincus que sollicitudo omnium ecclesiarum n'est point une vaine pompe de paroles, et qu'aucun souverain n'est plus accablé d'affaires que celui qui gouverne la monarchie chrétienne, bien que les membres de celle-ci lui paient moins que jamais un budget ou une liste civile.

Cet article dépasse déjà de beaucoup les bornes prescrites, et cependant nous n'avons qu'indiqué les principaux faits contenus dans le premier et le second des XX livres qui composent l'histoire d'Innocent III et de son siècle. Nous voulions donner ainsi une idée de la méthode de M. Hurter, et nous pouvons affirmer que les trois genres de mérite qui frappent le lecteur dès le commencement, se retrouvent constamment jusqu'à la dernière page de son remarquable ouvrage, c'est-àdire une merveilleuse connaissance des plus minces particularités du siècle dont il s'occupe; un tel talent dans la narration, qu'il nous transporte au milieu des événemens qu'il raconte; et enfin une multitude de réflexions lumineuses et profondes, dictées par les plus saines doctrines en politique et en religion. Pour faire particulièrement ressortir ce dernier mérite, nous jeterons un regard rapide sur les événemens les plus importans du règne d'Innocent III, qui sont racontés dans les livres suivans; toutefois nous rapprocherons les faits et les réflexions qui appartiennent au même sujet, bien que l'auteur, en suivant l'ordre chronologique, traite de ces faits dans diverses parties de son ouvrage, selon leur développement successif et l'aspect différent qu'ils présentent, depuis la première jusqu'à la dernière des dix-neuf années qui s'écoulèrent entre l'élection et la mort de ce grand pontife.

ESSLINGER,

Chapelain au 2a régiment étranger au

TOME XVI.-N° 94. 1838.

service du Saint-Siége.

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SUR LES VESTIGES DES PRINCIPAUX DOGMES CHRÉTIENS QUE LON RETROUVE DANS LES LIVRES CHINOIS.

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En recommençant cette analyse, que nous allons publier avec plus de suite, nous devons avertir du système de traduction que nous nous proposons de suivre. L'ouvrage du P. Premare sc compose, 1o de l'explication des lettres chinoises, au moyen de la décomposition de chaque caractère; 2o de citations de lextes; 3° de l'explication qu'il y ajoute.

Quant aux caractères chinois, toutes les fois que nous les jugerous d'une intelligence facile et à la portée de tous nos lecteurs, nous les donnerons en original, en supprimant ceux qui seraient trop difficiles à comprendre.

ces

Les textes des historiens et philosophes chinois, nous les publierons tous sans exception, en ayant soin de rechercher et de noter le chapitre et la page où se trouvent ces textes, quand le ouvrages auront été traduits en français ou en latin; ce que P. Prémare a négligé de faire pour le chinois, et ce qui est souvent fort difficile à exécuter. Nous noterons encore, quand le pourrons, l'époque où a vécu l'écrivain cité, afin que le lecteur

Voir le 3. art. dans le no 89, t. xv, p. 325.

nous

puisse juger de l'autorité de cet écrivain, selon son ancienneté et les sources auxquelles il a pu puiser.

Pour les explications données par le P. Prémare, comme elles ne sont pas toutes également justes et probables, nous les détacherons le plus souvent du texte, et nous les transporterons

dans les notes.

Nous devons avertir encore que nous nous sommes aperçus que le P. Prémare avait inséré une partie des citations qui sont daus les Vestigia dans un autre ouvrage composé en français, sur l'ancienne mythologie chinoise et les tems fabuleux de leurs chroniques, que M. de Guignes a corrigé, modifié et inséré, comme Discours préliminaire du Chou-king, sous le titre de Recherches sur les tems antérieurs à ceux dont parle le Chou-king, et sur la mythologie chinoise. Nous avons comparé cette traduction avec le texte latin des Vestigia, et nous en avons souvent fait usage. Nous en avons emprunté les développemens, les textes nouveaux, les notes qui ne se trouvaient pas dans notre manuscrit. Mais ce travail du P. Prémare n'a pas été achevé, et il est d'ailleurs bien moins complet que celui dont nous donnons la traduction. Ces changemens et notes seront cités sous le nom de Disc. prél.

Nous avons aussi examiné les différens textes qui ont été publiés dans les seize volumes des Mémoires concernant les Chinois, et en particulier le mémoire intitulé Antiquité des Chinois, du P. Ko, chinois, ou plutôt du P. Cibot, jésuite.

Enfin, nous avons cité dans le texte, ou en notes, la plupart des textes de la Bible qui ont quelque rapport aux passages chinois; de sorte qu'on pourra mieux ainsi en apprécier l'origine ou la ressemblance.

Nous espérons que nos lecteurs verront encore ces rapprochemens et ces recherches avec quelque plaisir. Ce qui nous a décidé à les faire, c'est que nous avons regardé comme un dévoir d'écrivain chrétien, et en même tems comme une vraie découverte historique, de faire rentrer un peuple, jusqu'à nos jours presque exclu de la grande famille humaine et que Bossuet a oublié dans sa belle histoire, de le faire rentrer, disonsnous, dans la place qui lui appartient. Assez long-tems on ne nous a parlé que des Grecs et des Romains. Voici un peuple qui les surpasse en antiquité et en sagesse, et qui, bien plus que les

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