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liste; c'est légitimer tous les penchans, les plus cruels et les plas honteux, comme autant de nécessités organiques.

Enfin, sous le nom de fatalisme pratique l'orateur poursuit celte mauvaise disposition de certains hommes qui, sans foi, sans règle divine, décident leur conduite d'après les événemens, d'après souvent je ne sais quelles superstitieuses pratiques ou occurrences: véritable faiblesse de volonté et aveuglement d'esprit. Et puis il finit par ces paroles si remarquables.

Je vois deux bannières levées sur l'une, je lis désespoir; sur l'autre, licence; et je dis marchez ensemble, vous êtes amis; mais funeste alliance!

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Sur un aatre drapeau je vois écrit: espérance et combat. Je m'y range: c'est l'union de l'infirmité humaine et de la force divine. Là, je trouve appui, ordre et libre puissance, mais puissance que nourrit et accroît une courageuse et constante prière.

C'est la prière, daignez ne l'oublier pas, qui va chercher au ciel et en fait descendre la grâce et le secours divin.

Dans la 4 conférence, M. de Ravignan s'est attaché à faire l'exposé du dogme catholique de la liberté de l'homme et de l'action divine sur cette liberté. Pour procéder avec ordre, il a divisé tout son discours en trois parties: quelle est la liberté de l'homme ? sur quoi est-elle fondée ? comment peut-on l'accorder avec l'action divine?

1o La liberté catholique, c'est pour l'homme la faculté de choisir entre le bien et le mal, entre une chose et son contraire. Cette énergie de choix et de détermination a un point fixé : de là ce qui constitue la liberté telle que l'entend la foi catholique. Il y eut un état primitif d'innocence et de justice originelle; l'état présent est l'état de la nature tombée, mais réparée. L'homme primitif était libre; l'homme tombé l'est encore. L'humanité sortant des mains du Créateur reçut une disposition surnaturelle. Dieu lui donna dès l'origine des moyens proportionnés à sa fin; des moyens surnaturels; c'est la grâce, cette forme mystérieuse et divine, dont l'existence est révélée, dont l'essence intime est inconnue. Dans l'économie de la réparation, l'homme tombé garde avec la liberté sa destination surnaturelle primitive, et, par les mérites du réparateur divin, il reçoit encore la grâce surnaturelle proportionnée à sa fin.

Dès lors tous peuvent librement choisir entre le bien et le mal; ils peuvent embrasser la réprobation ou la gloire; même au sein de l'erreur, du paganisme, de l'hérésie, même dans le gouffre des plus invétérés désordres, l'homme est libre, et libre jusqu'au dernier souffle d'existence.

2° Sur quoi est fondée la liberté de l'homme?

Il est des preuves directes de la doctrine de l'Eglise sur la liberté de l'homme. Dieu environna son autorité du témoignage éclatant des faits; l'Eglise expose d'ailleurs ses raisons et les bases de sa foi. Raisonnablement, il n'y aurait d'oppo sable ou de contraire à la liberté de l'homme que l'action divine. Si donc l'action divine fonde et produit elle-même la liberté, quelle difficulté peut-il rester ? aucune, bien évidemment. Puis il s'écrie:

Ah! depuis le fumier de Job et les pleurs de Jérémie, depuis l'agonie du Jardin des olives et du Calvaire, que d'infortunes illustres ou cachées pour la vertu ! et l'on peut lire comme une vaste inscription enveloppant l'univers, comme une voie d'option présentée à l'homme : Veux-tu grandir, sois coupable; veux-tu souffrir, sois vertueux.

Et quand, à l'exemple du grand Moïse, le chrétien répond avec sa foi: Je veux souffrir: quoi, ce ne serait pas un libre héroïsme ! Non, Messieurs, je ne crois pas que rien puisse mieux établir la liberté humaine que cette préférence donnée pour soi-même, en soi-même, à la souffrance avec la vertu, sur la prospérité avec crime. Et que de nobles victimes l'attestèrent dans tous les tems!

Mais surtout que l'homme saintement ennemi de lui-même à la façon de l'Evangile, déchire les séduisans bandeaux qui fascinent ses yeux; qu'il ne craigne pas d'envisager l'austère vérité, qu'il l'embrasse, la serre, et, comme une voix poignante, la fasse pénétrer jusqu'à son cœur, séjour d'illusions et de désirs; que là il s'arme de prière, de privations, qu'il lutte contre les soulèvemens des passions, contre le torrent de · l'exemple; qu'il s'arrache l'œil, la main, l'âme d'une existence enivrante et fortunée; et que seul ainsi caché aux yeux des hommes, et peut-être livré à leurs calomnies et à leurs mépris, il chérisse ses souffrances et ses combats, parce qu'il marche après un maître qu'il aime. C'est le chrétien généreux et fidèle ; j'en vois parmi nos rangs; c'est sur eux une action marquée de Providence et de grâce. Mais, s'il n'y a pas là aussi l'actuelle indifférence, l'énergie de choix, vouloir contre vouloir, pouvoir l'un, pouvoir l'autre, s'il n'y a pas le vainqueur de soi malgré soi, le choix libre et fort, s'il n'y a pas la liberté enfin sans l'action intéricare et di

vine, il faut renoncer à toute langue et n'en parler aucune; car elles ne signifient plus rien.

3. Enfin, comment la cause première toute puissante, en agissant sur la volonté de l'homme, la laisse-t-elle pourtant libre?

Parmi les théologiens catholiques, les uns ont pensé que Dieu produisait l'acte, la détermination de l'homme, mais la produisait libre (ce sont les Thomistes ); ils n'ont vu là aucune impossibilité. D'autres ont pensé que Dieu tempérait et accommodait l'action de sa grâce, de manière à amener l'homme à consentir librement (ce sont les Molinistes). Ce sont de simples opinions qui n'ont rien de contraire à la foi. Répugnance entre l'action de Dieu et la liberté, il n'y en a pas; mais il y a mystère et profond mystère. Qu'en conclure? Dans les sciences, dans toute marche raisonnable et logique l'on va et l'on conclut du connu à l'inconnu. En raisonnant sur les mystères, c'est l'inverse que l'on a pris trop souvent, contre toutes les lois du bon sens. On a dit : l'action de Dicu, sa prévision ne peuvent s'accorder avec la liberté de l'homme. Donc Dieu n'agit pas, ne prévoit pas, ou l'homme n'est pas libre. La saine logique doit procéder différemment et dire : Deux faits sont constans, avérés, indubitables; Dieu agit et prévoit; l'homme est libre: donc il y a accord, quoiqu'inconnu, entre ces deux choses. C'est la seule conclusion raisonnable; c'est logique, c'est bon sens, c'est critique et c'est la foi: Comment notre âme et notre corps sont-ils mis? Nous l'ignorons: mettrons-nous en doute l'âme et le corps, ou leur union? On contestait à un philosophe le mouvement: pour le prouver il se mit à marcher.

Mais de l'obscurité de cette croyance, l'orateur en conclut la nécessité de la foi, et d'une autorité pour régler la foi.

Un abri, un refuge, un asile, il n'y en a qu'un seul au monde : la foi et l'autorité dans la foi; c'est l'Eglise.

Tout le reste cherche à lâtons, et s'égare dans l'horreur des ténèbres. Là, du moins, on se rasseoit et l'on respire. Là du moins l'homme comprend, il croit qu'en Dieu et par l'action de Dieu il est libre. Libre de ressaisir un moment sa pensée, au milieu du tourbillon qui l'emporte, et de s'interroger sur sa destinée, sur sa route et sur son terine.

Libre de dessiller enfin ses yeux; de ne plus se bercer de vains rêves, de trop longues erreurs; de sc dire : Il y a donc une vérité, une foi!

Libre, Messieurs, quoi qu'on en puisse penser, de ne plus courber sa tête vers la terre, sous un joug brutal et grossier, mais de la relever confiante et pure vers les joies de l'esprit et d'une noble indépendance.

Puissiez-vous bien le comprendre! le mot du fatalisme pratique : je ne puis pas, ne saurait être vrai contre la foi, contre la conviction intime.

Dans la 5o Conférence, M. de Ravignan traite du lien religieux. Que ce lien existe, personne ne saurait le nier, personne en effet ne l'a nié ; les anciens comme les modernes, les Payens comme les Juifs et les Chrétiens, ont toujours reconnu que l'homme devait être assujéti à une loi. Mais quelle est cette loi souveraine de l'âme intelligente et libre? quel en est le principe, quelle en est l'essence? Pour le bien connaître il faut avoir recours à l'histoire; et sur cela l'orateur fait l'histoire de l'erreur, puis de la vérité.

Et d'abord voici à grands traits l'historique de l'erreur :

La théologie orientale sur le bien religieux présente des idées sublimes d'abord, mais bientôt poussées jusqu'au délire par l'exaltation mystique et panthée.... Il y est dit : La religion est l'échelle par laquelle les hommes montent au ciel. Sans la dévotion envers Dieu, l'homme ressemble à l'arbre du désert. Puis viennent les folies polytheistes ou panthées. Le bien consiste à éteindre ses désirs, son intelligence, son action ; à cesser d'être, pour se confondre avec la sienne par l'absorption en Dieu. Quand on a ainsi anéanti toutes ses facultés, on devient semblable à Fô. C'est consoJant. Voilà l'excès abusif de la grande vérité : l'homme doit tendre à l'anion divine; excès qu'adoptèrent le quiétisme et l'illuminisme allemand.

La Grèce qui ne sut guère être sérieuse qu'en se jouant, enfanta divers systèmes sur la loi souveraine et intérieure de l'homme. Pour les uns la loi suprême de fin et de béatitude fut la traquillité d'esprit, ou le contentement, ou la volupté. Pour d'autres ce fut se suffire à soi-même, être modéré. Dans la vieille école italique c'était la très parfaite conuaissance des nombres; dans l'école stoïque, il fallait avoir la même vertu que Dieu. Chez le philosophe de Stagyre, à la vertu il fallait joindre la santé, la richesse; et sauf la vertu, c'est l'avis de beaucoup de monde. Socrate plaça la loi suprême dans la vertu et la justice propre à chacun; Platon la fit consister à être semblable à Dieu en la manière que nous le pouvons. Éclairs du génie ou d'une raison plus saine! rayons ressaisis de la lumière qui éclaira l'homme dès l'origine!... J'omets à dessein toutes les affreuses et immorales inconséquences de la sagesse payenne, même dans ses sommités les plus couvertes de gloire!... J'omets les orgies légales du culte établi... Incohérences, folies d'erreurs, divagation, op. probres de doctrines; ce fut là, réellement, malgré quelques lambeaux déchirés et incomplets de vérité, le chaos philosophique aucien.

Le Christianisme avait paru. Le travail de divergence n'a pas cessé. Le

Christianisme avait restitué, fixé la notion fondamentale de loi, de religion; et une grande masse d'esprits s'y tint comme à la demeure établie. Un trop grand nombre voulut en remuer les bases. L'hérésie, qui déraisonna sur tout, dévia peu cependant sur ce point. Altérér la nature du lien religieux, serait au-delà de l'hérésie, puisque c'est plus qu'elle.

Il était réservé à la philosophie moderne, surtout à la philosophie du 18 siècle, d'aller jusque là... Pour elle, ce fut tantôt l'intérêt propre qui devait être le mobile unique, universel: la loi d'égoïsme, des noms trop fameux l'enseignèrent, trop de cœurs l'ont retenue et adoptée!... Tantôt c'était l'intérêt public dont on faisait, comme dans Rome antique, une idolâtrie de l'état, un paganisme réel qui existe encore pour quelquesuns. Pour certains économistes, c'est le système utilitaire, c'est l'utile qui est toute base de loi et de devoir; l'ulile, autre chose, certes, que le juste et le moral. Enfin, pour un grand nombre, toute la destinée de l'homme était de suivre les appétits de la nature. Et que dire de toutes les folles opinions de nos jours? Qu'on place encore dans un sensualisme grossier la loi suprême de l'homme, qu'on dise, en phrénologie, que religion ce n'est qu'un mode d'action plus ou moins énergique de quelques organes; que religion c'est un code formulé par des hommes stupides qui exploitent à leur profit le sentiment de vénération dont la naturé nous avait doués pour d'autres fins...; que d'autres pensent qu'un sentiment religieux, une religiosité vague, un christianisme de poésie, suffisent, toutes formes de cultes ou de croyances étant indifférentes...; d'autres que tout consiste dans le progrès social, dans le travail successif de civilisation...; qu'on ramène les abstractions mystiques et panthées, les rêves funestes de travail et de communauté et de fraternité universelle... qu'on se livre sans frein et sans mesure à toute l'indépendance rationaliste, idéaliste ou rêveuse, sans règle aucune de penser ni d'agir, balancé dans les tristes illusions de la molle indifférence et des molles opinions... Ne sont-ce pas les perpétuelles inconstances et le châtiment aussi, et les maladies de l'esprit d'erreur?

Mais quoi! il n'y a donc plus même une vie d'erreur possible? Le dirai-je? Hélas! non. Une erreur forte, ardente, suivie, instituée; désormais impossible. Et je suis réduit à le déplorer. Une erreur passionnée, puissante, c'est crise redoutable, je le sais, qui peut être fatale, mais qui peut être salutaire. C'est la crise qui sauve ou qui tue. Mais une tiède, une vagne, une morne indifférence, ce n'est pas la mort, ce n'est pas la vie, ce n'est plus espoir de vie.

Et n'allons-nous pas ainsi flottant languissamment, sans mort, sans vie, sans vérité, sans erreur, et comme nageant parmi toutes les erreurs? Où allons-nous donc ? Je n'aperçois plus que deux voies. La molle, et pa

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