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dance d'ornemens, que pour écraser le sol des masses opaques et percées de parallélogrammes que l'on construit de nos jours. Si nous sommes plus pauvres que les Anglais, nous sommes, je pense, plus riches que les malheureux paysans d'Irlande. Cependant ces pauvres serfs, tout épuisés qu'ils sont par la famine, les rentes qu'il leur faut payer à leurs seigneurs absens du pays, et les dîmes que leur extorque le clergé anglican, ces ilotes, qui n'ont que bien rarement du pain à manger avec leurs pommes-de-terre, ces martyrs perpétuels, obligés, après avoir gorgé de leurs dépouilles un clergé étranger, de nourrir encore celui qui les console dans leur misère, et de faire une liste civile à O'Connell, ce roi de la parole, qui les conduit à la liberté; ces Irlandais bâtissent eux aussi des églises pour abriter leur foi, qui ose enfin se montrer au grand jour; et toutes ces églises sont gothiques '!

Mais on nous objectera peut-être que le clergé n'est plus, comme autrefois, le maître absolu de tous les édifices religieux; que, par une inconséquence ridicule et illégale, mais passée en usage dans nos mœurs administratives, il n'a plus le droit exclusif d'accepter ou de rejeter les œuvres d'art qu'on y place, les travaux qu'on y fait; qu'il ne lui est pas libre de s'opposer aux déprédations qu'y commettent les architectes municipaux, ni d'empêcher le gouvernement de s'habituer à regarder les églises comme autant de galeries où il lui est loisible d'exposer à demeure les tableaux soit-disant religieux, que la protection d'un député ou le caprice d'un employé subalterne aura fait acheter. Cela n'est que trop vrai; mais il n'en est pas moins positif que le clergé fait exécuter une foule de travaux importans pour son propre compte ; c'est sur ceux-là que roulent nos observations précédentes. Il y a, en outre, beaucoup de petites en France qui, pour devenir paroisses, et avoir un curé à elles, s'imposent de grands sacrifices pour construire à

communes,

'Pour être exact, il faut avouer que la chapelle métropolitaine de Marlborough-Street, à Dublin, est bàtie dans le genre classique, parce que, commencée il y a plusieurs années à une époque où le mauvais goût était encore puissant, mème en Angleterre, elle a été achevée d'après le plán primitif.

leurs frais des églises, sans autres conseils que ceux des prêtres du voisinage, sans autre surveillance que la leur. Ce serait là une voie aussi naturelle qu'honorable de rentrer dans le vrai. D'un autre côté, il est malheureusement incontestable que le clergé n'a pas encore manifesté le moindre symptôme d'opposition au vandalisme des architectes officiels, au scandale des tableaux périodiquement octroyés aux églises. Il le pourrait, cependant, nous en sommes persuadés, en s'appuyant sur ses droits imprescrptibles, et sur des textes de lois dont l'interprétation est abusive. Il le pourrait bien mieux encore en invoquant le bon sens et le bon goût du public, qui ne manquerait pas de réagir aussi sur l'esprit de l'administration. Il y aurait unanimité chez les gens de goût, chez les véritables artistes, pour venir au secours d'une protestation semblable de la part du clergé : l'opinion est délicate et sûre en ces matières, comme on l'a vu récemment, lors des sages restrictions mises par M. l'archevêque de Paris à l'abus de la musique théâtrale dans les églises ; la victoire serait bientôt gagnée. Quant à nous, si nous avions l'honneur d'être évêque ou curé, il n'y a pas de force humaine qui pût nous contraindre à consacrer des églises comme NotreDame-de-Lorette, à accepter des statues comme celles qu'on destine à la Madeleine, à subir des tableaux comme ceux que l'on voit dans toutes les paroisses de Paris, avec une pancarte qui annonce pompeusement qu'ils ont été donnés par la ville ou le gouvernement. En outre, si nous avions l'honneur d'être évêque ou curé, nous ne confierions jamais, pour notre propre compte, des travaux d'art religieux à un artiste quelconque, sans nous être assuré, non seulement de son talent, mais de sa foi et de sa science en matière de religion : nous ne lui demanderions pas combien de tableaux il a exposés au Salon, ni sous quel maître païen il a appris à manier les pinceaux; nous lui dirions:

Croyez-vous au symbole que vous allez représenter, au fait que vous allez reproduire ? ou, si vous n'y croyez pas, avez-vous du moins étudié la vaste tradition de l'art chrétien, la nature et les conditions essentielles de votre entreprise? Voulez-vous travailler, non pour un vil lucre, mais pour l'édification de vos frères et l'ornement de la maison de Dieu et des pauvres ? S'il en est ainsi, mettez-vous à l'œuvre; sinon, non. » Nous deman

dons pardon de la trivialité de la comparaison; mais, en verité, c'est le cas de renouveler la fameuse recette de la Cuisinière bourgeoise, et de dire: « Pour faire une œuvre religieuse, prenez de la religion, etc. »

me,

» Qu'on nous permette une dernière considération. Dans les beaux travaux qui ont paru jusqu'à présent en France sur l'art du moyen-âge, et dont nous avons cité plus haut les auteurs, on remarque un vide que l'on peut dénoncer sans être injuste envers les hommes laborieux et intelligens qui ont ouvert la voie. Ce vide, c'est celui de l'idée fondamentale, du sens inti · de cette mens divinior qui animait tout l'art du moyen-âge, et plus spécialement son architecture. On a parfaitement décrit les monumens, réhabilité leur beauté, fixé leur date, distingué et classifié leurs genres et leurs divers caractères avec une perspicacité merveilleuse; mais on ne s'est pas encore occupé, que nous sachions, de déterminer le profond symbolisme, les lois régulières et harmoniques, la vie spirituelle et mystérieuse de tout ce que les siècles chrétiens nous ont laissé. C'est là cependant la clef de l'énigme; et la science sera radicalement incomplète, tant que nous ne l'aurons pas découvert. Or, nous croyons que le clergé est spécialement appelé à fournir cette clef, et c'est pourquoi nous regardons son intervention dans la renaissance de notre art chrétien et national, non-seulement comme prescrite par ses devoirs et ses intérêts, mais encore comme utile et indispensable aux progrès de cette renaissance et à sa véritable stabilité. En effet, par la nature spéciale de ses études, par la connaissance qu'il a, ou du moins qu'il doit avoir, de la théologie du moyen-âge, des auteurs ascétiques et mystiques, des vieux rituels, de toutes ces anciennes liturgies, si admirables, si fécondes et si oubliées, enfin, et surtout par la pratique et la méditation de la vie spirituelle, impliquée par tous les actes qui se célèbrent dans une église, le clergé seul est en mesure de puiser à ces sources abondantes les lumières définitives qui manquent à l'œuvre commune. Qu'il sache donc reprendre son rôle naturel, qu'il revendique ce noble patrimoine, qu'il vienne compléter et couronner la science renaissante par la révélation du dernier mot de cette science. Qu'il ne croie pas en faire assez, lorsqu'il n'étudiera que les dates, la classification,

les caractères matériels des anciens monumens : c'est là l'œuvre de tout le monde. Il n'y a pas besoin d'être prêtre, ni même catholique pour cela; on en voit des exemples tous les jours. Le clergé a, dans l'art, une mission plus difficile, mais aussi bien autrement élevée.

>> En terminant, nous ne demanderons pas pardon de la brusque franchise, de la violence même, si l'on veut, que nous avons mise à protester contre les maux actuels de l'art religieux; la vérité nous excusera, et nous vaudra l'indulgente sympathie des cœurs sincères et des intelligences droites. L'avenir nous justifiera. Si la lutte continue avec la même constance qui a été montrée jusqu'ici, si l'instinct du public se développe avec la même progression, on peut nourrir l'espérance d'une victoire prochaine. Il nous sera peut-être donné de voir de nos yeux des évêques qui ne rougiront pas d'être architectes, au moins par la pensée, comme leurs plus illustres prédécesseurs, et aussi décidés à repousser de leurs églises l'indécent, le profane, les innovations païennes, qu'à anathématiser une hérésie ou un scandale. Peut-être alors verrons-nous encore des artistes qui comprendront que la foi est la première condition du génie chrétien, et qui ne rougiront pas de s'agenouiller devant les autels qu'ils aspirent à orner de leurs œuvres. Quant à nous, si nos faibles paroles avaient pu ranimer quelque courage éteint, ou porter une seule étincelle de lumière dans un esprit de bonne foi, notre récompense serait suffisante, et notre alliance se trouverait ainsi consommée avec les jeunes artistes qui se dévouent à faire rentrer dans l'art consacré au Christianisme ces caractères de pureté, de dignité et d'élévation morale, seuls dignes de la majesté de ses mystères et de ses destinées immortelles. Tous ensemble, ne perdons pas courage, et saluons cet avenir qui doit remettre en honneur la loi antique et souveraine de l'art, cette loi, si cruellement méconnue depuis trois siècles, qui proclame que le beau n'est que la splendeur du vrai. »

M. de Montalembert annonce ensuite en ces termes l'œuvre qui a servi d'occasion aux considérations qui viennent d'être exposées. Nous copions encore ce passage, parce qu'il servira à faire connaître une collection à laquelle nous nous intéressons vivement, et que nous recommandons aussi à nos amis.

«Fidèle au principe que nous avons posé plus haut, sur l'importance vitale de l'étude des anciens maîtres pour tous ceux qui veulent consacrer leur talent à l'application religieuse de l'art, nous avons voulu contribuer selon la mesure de nos forces à l'œuvre réparatrice, en publiant une collection de monumens, composée à la fois de divers travaux qui datent des vieux siècles catholiques, et d'autres qui, fruit de la nouvelle école allemande, serviront à montrer comment l'on peut, même au sein de l'anarchie morale et intellectuelle de nos jours, rattacher l'art moderne à la pureté et à la sainteté de la pensée ancienne. Le sujet de cette collection se trouvait indiqué, de droit comme de fait, dans l'Histoire de Sainte Elisabeth, à laquelle nous avions consacré plusieurs années de travaux, et qui a eu le privilége d'inspirer à toutes les époques le ciseau et le pinceau des artistes chrétiens. Nous avons eu le bonheur de trouver un éditeur aussi dévoué que nous à la régénération religieuse de l'art, et qui s'est chargé de cette entreprise avec un zèle et un désintéressement puisés dans les plus nobles motifs. Fort de son appui, nous avons pu profiter de nos voyages pour recueillir en Italie et en Allemagne tout ce que nous avions découvert ou remarqué de plus important parmi les monumens relatifs à notre sainte.

»Nous reproduirons en premier lieu les tableaux qui lui ont été consacrés par les plus illustres représentans de l'ancienne école florentine, Taddeo Gadi (1350), le principal élève de Giotto, et digne émule de son maître; Andrea Orgagna (13191389), le plus grand des peintres, des sculpteurs et des architectes de son tems, qui précéda Michel-Ange dans cette triple supériorité, et qui, certes, sous le point de vue chrétien, l'a surpassé de beaucoup; le bienheureux Fra Angelico da Fiesole (1387-1455), le plus angélique, le plus accompli des artistes chrétiens; enfin, Alessandro Botticelli (1487-1515), qui, au milieu de la dégénération déjà trop générale de l'art, due à l'influence des Médicis, sut rester fidèle à la poésie mystique de ses prédécesseurs.

>Passant de l'Italie à la vieille Allemagne, nous donnerons l'œuvre d'un peintre anonyme de la pure et primitive école de Cologne (1350-1400), qui fut pour l'Allemagne ce que l'école de Sienne avait été pour l'Italic; puis celle d'un peintre bâlois du quinzième siècle, dont le nom est resté également inconnu;

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