Ne porta dans mon âme aucun secret désir, Et d'Ithaque en repos je revis le rivage
Sans m'en être en deux ans rappelé nulle image. Un bruit vient cependant à répandre à ma cour Le célèbre mépris qu'elle fait de l'amour; On publie en tous lieux que son âme hautaine Garde pour l'hyménée une invincible haine, Et qu'un arc à la main, sur l'épaule un carquois, Comme une autre Diane elle hante les bois, N'aime rien que la chasse, et de toute la Grèce Fait soupirer en vain l'héroïque jeunesse. Admire nos esprits, et la fatalité !
Ce que n'avoient point fait sa vue et sa beauté, Le bruit de ses fiertés en mon âme fit naître Un transport inconnu dont je ne fus point maître : Ce dédain si fameux eut des charmes secrets A me faire avec soin rappeler tous ses traits; Et mon esprit, jetant de nouveaux yeux sur elle, M'en refit une image et si noble et si belle, Me peignit tant de gloire et de telles douceurs A pouvoir triompher de toutes ses froideurs, Que mon cœur, aux brillans d'une telle victoire, Vit de sa liberté s'évanouir la gloire;
Contre une telle amorce il eut beau s'indigner, Sa douceur sur mes sens prit tel droit de régner, Qu'entraîné par l'effort d'une occulte puissance, J'ai d'Ithaque en ces lieux fait voile en diligence; Et je couvre un effet de mes vœux enflammés Du désir de paroître à ces jeux renommés, Où l'illustre Iphitas, père de la princesse, Assemble la plupart des princes de la Grèce.
Mais à quoi bon, seigneur, les soins que vous prenez? Et pourquoi ce secret où vous vous obstinez ? Vous aimez, dites-vous, cette illustre princesse, Et venez à ses yeux signaler votre adresse; Et nuls empressemens, paroles ni soupirs, Ne l'ont instruite encor de vos brûlans désirs? Pour moi, je n'entends rien à cette politique Qui ne veut point souffrir que votre cœur s'explique; Et je ne sais quel fruit peut prétendre un amour Qui fuit tous les moyens de se produire au jour.
Et que ferai-je, Arbate, en déclarant ma peine, Qu'attirer les dédains de cette âme hautaine,
Et me jeter au rang de ces princes soumis, Que le titre d'amans lui peint en ennemis? Tu vois les souverains de Messène et de Pyle Lui faire de leurs cœurs un hommage inutile, Et de l'éclat pompeux des plus grandes vertus En appuyer en vain les respects assidus; Ce rebut de leurs soins, sous un triste silence, Retient de mon amour toute la violence :
Je me tiens condamné dans ces rivaux fameux, Et je lis mon arrêt au mépris qu'on fait d'eux.
Et c'est dans ce mépris, et dans cette humeur fière, Que votre âme à ses vœux doit voir plus de lumière, Puisque le sort vous donne à conquérir un cœur Que défend seulement une simple froideur,
Et qui n'impose point à l'ardeur qui vous presse De quelque attachement l'invincible tendresse. Un cœur préoccupé résiste puissamment;
Mais, quand une âme est libre, on la force aisément; Et toute la fierté de son indifférence
N'a rien dont ne triomphe un peu de patience. Ne lui cachez donc plus le pouvoir de ses yeux, Faites de votre flamme un éclat glorieux;
Et, bien loin de trembler de l'exemple des autres, Du rebut de leurs vœux fortifiez les vôtres. Peut-être, pour toucher ses sévères appas, Aurez-vous des secrets que ces princes n'ont pas; Et, si de ses fiertés l'impérieux caprice
Ne vous fait éprouver un destin plus propice, Au moins est-ce un bonheur en ces extrémités, Que de voir avec soi ses rivaux rebutés.
J'aime à te voir presser cet aveu de ma flamme: Combattant mes raisons, tu chatouilles mon âme, Et, par ce que j'ai dit, je voulois pressentir Si de ce que j'ai fait tu pourrois m'applaudir. Car enfin, puisqu'il faut t'en faire confidence, On doit à la princesse expliquer mon silence, Et peut-être, au moment que je t'en parle ici, Le secret de mon cœur, Arbate, est éclairci. Cette chasse, où, pour fuir la foule qui l'adore, Tu sais qu'elle est allée au lever de l'aurore, Est le temps que Moron, pour déclarer mon feu, A pris....
Ce choix t'étonne un peu;
Par son titre de fou tu crois le bien connoître ; Mais sache qu'il l'est moins qu'il ne le veut paroître; Et que, malgré l'emploi qu'il exerce aujourd'hui, Il a plus de bon sens que tel qui rit de lui. La princesse se plaît à ses bouffonneries; Il s'en est fait aimer par cent plaisanteries, Et peut, dans cet accès, dire et persuader Ce que d'autres que lui n'oseroient hasarder; Je le vois propre enfin à ce que j'en souhaite Il a pour moi, dit-il, une amitié parfaite, Et veut, dans mes États ayant reçu le jour, Contre tous mes rivaux appuyer mon amour. Quelque argent mis en main pour soutenir ce zèle...
SCENE II. EURYALE, ARBATE, MORON.
MORON, derrière le théâtre.
Au secours! sauvez-moi de la bête cruelle.
MORON, derrière le théâtre. A moi! de grâce, à moi!
C'est lui-même. Où court-il avec un tel effroi? MORON, entrant sans voir personne. Où pourrai-je éviter ce sanglier redoutable? Grands dieux! préservez-moi de sa dent effroyable! Je vous promets, pourvu qu'il ne m'attrape pas, Quatre livres d'encens, et deux veaux des plus gras.
(Rencontrant Euryale, que dans sa frayeur il prend pour le sanglier qu'il évite )
Dont à me diffamer j ai vu la gueule prête', Seigneur, et je ne puis revenir de ma peur.
4. Diffamer se prenait autrefois dans le sens de défigurer.
Oh! que la princesse est d'une étrange humeur!
Et qu'à suivre la chasse et ses extravagances,
Il nous faut essuyer de sottes complaisances ! Quel diable de plaisir trouvent tous les chasseurs De se voir exposés à mille et mille peurs? Encore si c'étoit qu'on ne fût qu'à la chasse
Des lièvres, des lapins, et des jeunes daims, passe: Ce sont des animaux d'un naturel fort doux, Et qui prennent toujours la fuite devant nous. Mais aller attaquer de ces bêtes vilaines
Qui n'ont aucun respect pour les faces humaines, Et qui courent les gens qui les veulent courir, C'est un sot passe-temps que je ne puis souffrir.
Dis-nous donc ce que c'est.
Le pénible exercice Où de notre princesse a volé le caprice! J'en aurois bien juré qu'elle auroit fait le tour; Et, la course des chars se faisant en ce jour, Il falloit affecter ce contre-temps de chasse Pour mépriser ces jeux avec meilleure grâce, Et faire voir.... Mais chut. Achevons mon récit, Et reprenons le fil de ce que j'avois dit. Qu'ai-je dit?
Tu parlois d'exercice pénible.
Ah oui. Succombant donc à ce travail horrible (Car en chasseur fameux j'étois enharnaché, Et dès le point du jour je m'étois découché), Je me suis écarté de tous en galant homme, Et, trouvant un lieu propre dormir d'un bon somme, J'essayois ma posture, et, m'ajustant bientôt, Prenois déjà mon ton pour ronfler comme il faut, Lorsqu'un murmure affreux m'a fait lever la vue, Et j'ai, d'un vieux buisson de la forêt touffue, Vu sortir un sanglier d'une énorme grandeur Pour....
Ce n'est rien. N'ayez point de frayeur, Mais laissez-moi passer entre vous deux, pour cause,
Je serai mieux en main pour vous conter la chose. J'ai donc vu ce sanglier, qui, par nos gens chassé, Avoit d'un air affreux tout son poil hérissé; Ses deux yeux flamboyans ne lançoient que menace, Et sa gueule faisoit une laide grimace,
Qui, parmi de l'écume, à qui l'osoit presser, Montroit de certains crocs.... je vous laisse à penser. A ce terrible aspect j'ai ramassé mes armes; Mais le faux animal, sans en prendre d'alarmes, Est venu droit à moi, qui ne lui disois mot.
Et tu l'as de pied ferme attendu ?
J'ai jeté tout par terre et couru comme quatre.
Fuir devant un sanglier, ayant de quoi l'abattre ! Ce trait, Moron, n'est pas généreux....
J'y consens; Il n'est pas généreux, mais il est de bon sens.
Mais, par quelques exploits si l'on ne s'éternise....
Je suis votre vaiet. J'aime mieux que l'on dise: C'est ici qu'en fuyant, sans se faire prier, Moron sauva ses jours des fureurs d'un sanglier, Que si l'on y disoit : Voilà l'illustre place Où le brave Moron, signalant son audace, Affrontant d'un sanglier l'impétueux effort, Par un coup de ses dents vit terminer son sort.
Oui. J'aime mieux, n'en déplaise à la gloire, Vivre au monde deux jours, que mille ans dans l'histoire.
En effet, ton trépas fâcheroit tes amis;
Mais, si de ta frayeur ton esprit est remis,
Puis-je te demander si du feu qui me brûle ?...
Il ne faut pas, seigneur, que je vous dissimule; Je n'ai rien fait encore, et n'ai point rencontré De temps pour lui parler qui fût selon mon gré. L'office de bouffon a des prérogatives;
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