BASQUE, valet de Celimène. UN GARDE de la maréchaussée de France. DE BRIE. DUBOIS, valet d'Alceste. BÉJART. La scène est à Paris, dans la maison de Célimène. Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher. PHILINTE. Mais on entend les gens au moins sans se fâcher. A. Le Misanthrope fut joué pour la première fois le 4 juin 1666, sur le théâtre du Palais-Royal. ALCESTE. Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre. Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre, Et, quoique amis enfin, je suis tout des premiers.... ALCESTE, se levant brusquement. Moi, votre ami? Rayez cela de vos papiers. J'ai fait jusques ici profession de l'être; Mais, après ce qu'en vous je viens de voir paroître, Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus. PHILINTE. Je suis donc bien coupable, Alceste, à votre compte? ALCESTE. Allez, vous devriez mourir de pure honte; Et tout homme d'honneur s'en doit scandaliser. Vous chargez la fureur de vos embrassemens; Et, quand je vous demande après quel est cet homme, . PHILINTE. Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable; Que je me fasse un peu grâce sur votre arrêt, ALCESTE. Que la plaisanterie est de mauvaise grâce! PHILINTE. Mais sérieusement, que voulez-vous qu'on fasse? ALCESTE. Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur, On ne làche aucun mot qui ne parte du cœur. PHILINTE. Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie, Et rendre offre pour offre, et sermens pour sermens. ALCESTE. Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode Et traitent du même air l'honnête homme et le fat. Et la plus glorieuse a des régals peu chers, Je veux qu'on me distingue, et, pour le trancher net, PHILINTE. Mais, quand on est du monde, il faut bien que l'on rende Quelques dehors civils que l'usage demande. ALCESTE. Non, vous dis-je, on devroit châtier sans pitié Ce commerce honteux de semblans d'amitié. Je veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre, Le fond de notre cœur dans nos discours se montre, Que ce soit lui qui parle, et que nos sentimens PHILINTE. Il est bien des endroits où la pleine franchise De dire à mille gens tout ce que d'eux on pense? Oui. ALCESTE. PHILINTE. Quoi! vous iriez dire à la vieille Émilie, Sans doute. ALCESTE. PHILINTE. A Dorilas, qu'il est trop importun; ALCESTE. Fort bien. PHILINTE Vous vous moquez. ALCESTE. Je ne me moque point, Et je vais n'épargner personne sur ce point. Mes yeux sont trop blessés, et la cour et la ville Ne m'offrent rien qu'objets à m'échauffer la bile; J'entre en une humeur noire, en un chagrin profond, Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font: Je ne trouve partout que lâche flatterie, Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie; Je n'y puis plus tenir, j'enrage; et mon dessein PHILINTE. Ce chagrin philosophe est un peu trop sauvage. Je ris des noirs accès où je vous envisage, Et crois voir en nous deux, sous mêmes soins nourris, Dont.... ALCESTE. Mon Dieu! laissons là vos comparaisons fades. PHILINTE. Non tout de bon, quittez toutes ces incartades. Et, puisque la franchise a pour vous tant d'appas, Je vous dirai tout franc que cette maladie, Partout où vous allez, donne la comédie; Et qu'un si grand courroux contre les mœurs du temps, Vous tourne en ridicule auprès de bien des gens. ALCESTE. Tant mieux, morbleu! tant mieux, c'est ce que je demande. Ce m'est un fort bon signe, et ma joie en est grande. 1 Tous les hommes me sont à tel point odieux, PHILINTE. Vous voulez un grand mal à la nature humaine. ALCESTE. Oui, j'ai conçu pour elle une effroyable haine. PHILINTE. Tous les pauvres mortels, sans nulle exception, Seront enveloppés dans cette aversion? Encore en est-il bien, dans le siècle où nous sommes.... ALCESTE. Non, elle est générale, et je hais tous les hommes, Au travers de son masque on voit à plein le traître; PHILINTE. Mon Dieu! des mœurs du temps mettons-nous moins en peine, |