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SCENE III. - UN SATYRE, MORON.

LE SATYRE chante. — La, la,

la.

MORON. - Ah! Satyre, mon ami, tu sais bien ce que tu m'as promis, il y a longtemps. Apprends-moi à chanter, je te prie.

LE SATYRE.

Je le veux. Mais auparavant, écoute une chanson que je viens de faire.

MORON, bas, à part. Il est si accoutumé à chanter, qu'il ne sauroit parler d'autre façon. (Haut.) Allons, chante, j'écoute. LE SATYRE chante.

Je portois....

MORON. Une chanson. dis-tu ?

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Je portois dans une cage
Deux moineaux que j'avois pris,
Lorsque la jeune Chloris
Fit, dans un sombre bocage,
Briller à mes yeux surpris,

Les fleurs de son beau visage.

Hélas! dis-je aux moineaux, en recevant les coups
De ses yeux si savans à faire des conquêtes,

Consolez-vous, pauvres petites bêtes,

Celui qui vous a pris est bien plus pris que vous.

(Moron demande au Satyre une chanson plus passionnée, et le prie de lui dire celle qu'il lui avoit oui chanter quelques jours auparavant.)

LE SATYRE chante.

Dans vos chants si doux
Chantez à ma belle,
Oiseaux, chantez tous

Ma peine mortelle.

Mais si la cruelle

Se met en courroux

Au récit fidèle

Des maux que je sens pour elle,

Oiseaux, taisez-vous.

MORON. - Ah! qu'elle est belle ! Apprends-la-moi.

LE SATYRE - La, la, la, la.

MORON. La, la, la, la.

LE SATYRE. Fa, fa, fa, fa
MORON.-Fat, toi-même.

ENTRÉE DE BALLET.

Le Satyre en colère menace Moron, et plusieurs Satyres dansent une entrée plaisante.

ACTE TROISIÈME.

SCENE I. LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, PHILIS.

CYNTHIE. - Il est vrai, madame, que ce jeune prince a fait voir uné adresse non commune, et que l'air dont il a paru a été quelque chose de surprenant. Il sort vainqueur de cette course. Mais je doute fort qu'il en sorte avec le même cœur qu'il y a porté; car enfin vous lui avez tiré des traits dont il est difficile de se défendre; et, sans parler de tout le reste, la grâce de votre danse et la douceur de votre voix ont eu des charmes aujourd'hui à toucher les plus insensibles.

LA PRINCESSE.

Le voici qui s'entretient avec Moron; nous saurons un peu de qui il lui parle. Ne rompons point encore leur entretien, et prenons cette route pour revenir à leur rencontre.

SCENE II.

- EURYALE, ARBATE, MORON. EURYALE.- - Ah! Moron, je te l'avoue, j'ai été enchanté; et jamais tant de charmes n'ont frappé tout ensemble mes yeux et mes oreilles! Elle est adorable en tout temps, il est vrai; mais ce moment l'a emporté sur tous les autres, et des grâces nouvelles ont redoublé l'éclat de ses beautés. Jamais son visage ne s'est paré de plus vives couleurs, ni ses yeux ne se sont armés de traits plus vifs et plus perçans. La douceur de sa voix a voulu se faire paroître dans un air tout charmant qu'elle a daigné chanter; et les sons merveilleux qu'elle formoit passoient jusqu'au fond de mon âme, et tenoient tous mes sens dans un ravissement à ne pouvoir en revenir. Elle a fait éclater ensuite une disposition toute divine', et ses pieds amoureux sur l'émail d'un tendre gazon traçoient d'aimables caractères qui m'enlevoient hors de moi-même, et m'atta

1. Disposition se prenait alors dans le sens d'agilité. Nous avons conservé l'adjectil dispos.

MORON.

choient par des noeuds invincibles aux doux et justes mouvemens dont tout son corps suivoit les mouvemens de l'harmonie. Enfin, jamais âme n'a eu de plus puissantes émotions que la mienne; et j'ai pensé plus de vingt fois oublier ma résolution, pour me jeter à ses pieds et lui faire un aveu sincère de l'ardeur que je sens pour elle. Donnez-vous-en bien de garde, seigneur, si vous m'en voulez croire. Vous avez trouvé la meilleure invention du monde, et je me trompe fort si elle ne vous réussit. Les femmes sont des animaux d'un naturel bizarre; nous les gâtons par nos douceurs; et je crois tout de bon que nous les verrions nous courir, sans tous ces respects et ces soumissions où les hommes les acoquinent.

ARBATE. de sa suite.

MORON.

Seigneur, voici la princesse qui s'est un peu éloignée

Demeurez ferme, au moins, dans le chemin que vous avez pris. Je m'en vais voir ce qu'elle me dira. Cependant promenez-vous ici dans ces petites routes, sans faire aucun semblant d'avoir envie de la joindre; et, si vous l'abordez, demeurez avec elle le moins qu'il vous sera possible.

SCENE III. LA PRINCESSE, MORON.

LA PRINCESSE.

d'Ithaque?

Tu as donc familiarité, Moron, avec le prince

MORON. - Ah! madame, il y a longtemps que nous nous connois

sons.

LA PRINCESSE.

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- D'où vient qu'il n'est pas venu jusqu'ici, et qu'il

a pris cette autre route quand il m'a vue?

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ses pensées.

C'est un homme bizarre, qui ne se plaît qu'à entretenir

LA PRINCESSE. - Etois-tu tantôt au compliment qu'il m'a fait? MORON. Oui, madame, j'y étois; et je l'ai trouvé un peu impertinent, n'en déplaise à Sa Principauté.

LA PRINCESSE. Pour moi, je le confesse, Moron, cette fuite m'a choquée; et j'ai toutes les envies du monde de l'engager, pour rabattre un peu son orgueil.

MORON. Ma foi, madame, vous ne feriez pas mal; il le mériteroit bien; mais, à vous dire vrai, je doute fort que vous y puissiez réussir.

LA PRINCESSE. Comment?

MORON.

Comment? C'est le plus orgueilleux petit vilain que vous ayez jamais vu. Il lui semble qu'il n'y a personne au monde` qui le mérite, et que la terre n'est pas digne de le porter.

LA PRINCESSE.

· Mais encore, ne t'a-t-il point parlé de moi?

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- Il ne t'a rien dit de ma voix et de ma danse?

MORON. Pas le moindre mot.

LA PRINCESSE. Certes, ce mépris est choquant, et je ne puis souffrir cette hauteur étrange de ne rien estimer.

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LA PRINCESSE.

comme il faut.

MORON,

-

Il n'y a rien que je ne fasse pour le soumettre

Nous n'avons point de marbre dans nos montagnes qui soit plus dur et plus insensible que lui.

LA PRINCESSE. Le voilà.

MORON.

vous?

Voyez-vous comme il passe, sans prendre garde à

LA PRINCESSE.

De grâce, Moron, va le faire aviser que je suis ici, et l'oblige à me venir aborder.

SCÈNE IV.

LA PRINCESSE, EURYALE, ARBATE, MORON.

MORON, allant au-devant d'Euryale, et lui parlant bas. — Seigneur, je vous donne avis que tout va bien. La princesse souhaite que vous l'abordiez; mais songez bien à continuer votre rôle; et, de peur de l'oublier, ne soyez pas longtemps avec elle.

LA PRINCESSE.

Vous êtes bien solitaire, seigneur; et c'est une humeur bien extraordinaire que la vôtre, de renoncer ainsi à notre sexe, et de fuir, à votre âge, cette galanterie dont se piquent tous vos pareils.

EURYALE. - Cette humeur, madame, n'est pas si extraordinaire qu'on n'en trouvât des exemples sans aller loin d'ici; et vous ne sauriez condamner la rèsolution que j'ai prise de n'aimer jamais rien, sans condamner aussi vos sentimens.

LA PRINCESSE.

- Il y a grande différence; et ce qui sied bien à un sexe, ne sied pas bien à l'autre. Il est beau qu'une femme soit insensible, et conserve son cœur exempt des flammes de l'amour; mais ce qui est vertu en elle, devient un crime dans un homme; et, comme la beauté est le partage de notre sexe, vous ne sauriez ne nous point aimer, sans nous dérober les hommages qui nous sont dus, et commettre une offense dont nous devons toutes nous ressentir.

EURYALE.

Je ne vois pas, madame, que celles qui ne veulent point aimer, doivent prendre aucun intérêt à ces sortes d'offenses. Ce n'est pas une raison, seigneur; et, sans vouloir aimer on est toujours bien aise d'être aimée.

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Pour moi, je ne suis pas de même; et, dans le dessein où je suis de ne rien aimer, je serois fâché d'être aimé. LA PRINCESSE.

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C'est qu'on a obligation à ceux qui nous aiment, et que je serois fàché d'être ingrat.

LA PRINCESSE.

Si bien donc que, pour fuir l'ingratitude, vous aimeriez qui vous aimeroit?

EURYALE.

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Moi, madame? Point du tout. Je dis bien que je se

ois fâché d'être ingrat; mais je me résoudrois plutôt de l'être que

d'aimer.

LA PRINCESSE.

votre cœur...........

EURYALE.

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Telle personne vous aimeroit peut-être, que

- Non, madame. Rien n'est capable de toucher mon cœur. Ma liberté est la seule maîtresse à qui je consacre mes vœux; et, quand le ciel emploieroit ses soins à composer une beauté parfaite, quand il assembleroit en elle tous les dons les plus merveilleux et du corps et de l'âme, enfin quand il exposeroit à mes yeux un miracle d'esprit, d'adresse et de beauté, et que cette personne m'aimeroit avec toutes les tendresses imaginables, je vous l'avoue franchement, je ne l'aimerois pas.

LA PRINCESSE, à part. A-t-on jamais rien vu de tel? MORON, à la princesse. · envie de lui bailler un coup

Peste soit du petit brutal! J'aurois bien de poing.

LA PRINCESSE, à part. dépit, que je ne me sens pas. MORON, bas, au prince. mieux du monde.

EURYALE, bas, à Moron.

Cet orgueil me confond, et j'ai un tel

Bon courage, seigneur. Voilà qui va le

Ah! Moron, je n'en puis plus! et je

me suis fait des efforts étranges.

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LA PRINCESSE, à Euryale. C'est avoir une insensibilité bien grande, que de parler comme vous faites.

EURYALE. Le ciel ne m'a pas fait d'une autre humeur. Mais, madame, j'interromps votre promenade, et mon respect doit m'avertir que vous aimez la solitude.

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- Il ne vous en doit rien, madame, en dureté de cœur. LA PRINCESSE. Je donnerois volontiers tout ce que j'ai au monde, pour avoir l'avantage d'en triompher.

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Ne pourrois-tu, Moron, me servir dans un tel

Vous savez bien, madame, que je suis tout à votre

LA PRINCESSE. Parle-lui de moi dans tes entretiens; vante-lui adroitement ma personne et les avantages de ma naissance, et tâche d'ébranler ses sentimens par la douceur de quelque espoir. Je te permets de dire tout ce que tu voudras, pour tâcher à me l'engager. MORON. - Laissez-moi faire.

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