J'ignore le détail du crime qu'on vous donne; CLÉANTE. Voilà ses droits armés; et c'est par où le traître ORGON. L'homme est, je vous l'avoue, un méchant animal! Le moindre amusement vous peut être fatal. Ne perdons point de temps le trait est foudroyant, ORGON. Las! que ne dois-je point à vos soins obligeans! CLEANTE. Allez tôt; Nous songerons, mon frère, à faire ce qu'il faut. SCÈNE VII. - TARTUFFE, UN EXEMPT, MADAME PERNELLE, ORGON, ELMIRE, CLÉANTE, MARIANE, VALÈRE, DAMIS, DORINE. TARTUFFE, arrêtant Orgon. Tout beau, monsieur, tout beau, ne courez point si vite : ORGON. Traître tu me gardois ce trait pour le dernier : TARTUFFE. Vos injures n'ont rien à me pouvoir aigrir; La modération est grande, je l'avoue. DAMIS. Comme du ciel l'infâme impudemment se joue! TARTUFFE. Tous vos emportemens ne sauroient m'émouvoir; MARIANE. Vous avez de ceci grande gloire à prétendre; TARTUFFE. Un emploi ne sauroit être que glorieux, Quand il part du pouvoir qui m'envoie en ces lieux. ORGON. Mais t'es-tu souvenu que ma main charitable, TARTUFFE. Oui, je sais quels secours j'en ai pu recevoir; Etouffe dans mon cœur toute reconnoissance; ELMIRE. L'imposteur! DORINE. Comme il sait, de traîtresse manière, Se faire un beau manteau de tout ce qu'on révère! CLÉANTE. Mais, s'il est si parfait que vous le déclarez, Que lorsque son honneur l'oblige à vous chasser? L'EXEMPT. Oui, c'est trop demeurer, sans doute, à l'accomplir; Dans la prison qu'on doit vous donner pour demeure. Ce n'est pas vous à qui j'en veux rendre raison. (A Orgon.) Remettez-vous, monsieur, d'une alarme si chaude. A ses autres horreurs il a joint cette suite, Du contrat qui lui fait un don de tous vos biens, Pour montrer que son cœur sait, quand moins on y pense, D'une bonne action verser la récompense; Que jamais le mérite avec lui ne perd rien; Et que, mieux que du mal, il se souvient du bien Qui l'auroit osé dire? ORGON, à Tartuffe, que l'exempt emmène. Hé bien! te voilà, traître !... SCÈNE VIII. MADAME PERNELLE, ORGON, ELMIRE, CLEANTE. Ah! mon frère, arrêtez, Et ne descendez point à des indignités. A son mauvais destin laissez un misérable, Et ne vous joignez point au remords qui l'accable. ORGON. Oui, c'est bien dit. Allons à ses pieds avec joie FIN DU TARTUFFE. COMÉDIE EN TROIS ACTES'. A SON ALTESSE SÉRÉNISSIME MONSEIGNEUR, MONSEIGNEUR LE PRINCE2. N'en déplaise à nos beaux esprits, je ne vois rien de plus ennuyeux que les épîtres dédicatoires; et Votre Altesse Sérénissime trouvera bon, s'il lui plaît, que je ne suive point ici le style de ces messieurs-là, et refuse de me servir de deux ou trois misérables pensées, qui ont été tournées et retournées tant de fois, qu'elles sont usées de tous les côtés. Le nom du grand Condé est un nom. trop glorieux pour le traiter comme on fait tous les autres noms. Il ne faut l'appliquer, ce nom illustre, qu'à des emplois qui soient dignes de lui; et, pour dire de belles choses, je voudrois parler de le mettre à la tête d'une armée, plutôt qu'à la tête d'un livre; et je conçois bien mieux ce qu'il est capable de faire en l'opposant aux forces des ennemis de cet État, qu'en l'opposant à la critique des ennemis d'une comédie. Ce n'est pas, Monseigneur, que la glorieuse approbation de Votre Altesse Sérénissime ne fût une puissante protection pour toutes ces sortes d'ouvrages, et qu'on ne soit persuadé des lumières de votre esprit, autant que de l'intrépidité de votre cœur et de la grandeur de votre âme. On sait, par toute la terre, que l'éclat de votre mérite n'est point renfermé dans les bornes de cette valeur indomptable, qui se fait des adorateurs chez ceux mêmes qu'elle surmonte; qu'il s'étend, ce mérite, jusques aux connoissances les plus fines et les plus relevées, et que les décisions de votre jugement sur tous 1. Cette comédie, imitée de l'Amphitryon de Plaute, fut jouée pour la première fois sur le théâtre du Palais-Royal le 13 janvier 1668. Rotrou, avant Molière, avait imité l'Amphitryon de Plaute dans la pièce des Deux Sosies. 2. Le grand Condé. |