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fel, qui faifoit alors l'objet le plus important du commerce par eau dans cette Ville, on leur donna la garde des étalons de toutes les mesures des arides: c'eft pour la garde de ce dépôt qu'ils ont une chambre dans l'Hôtel-de-Ville.

Les Apothicaires & les Epiciers de Paris ont conjointement la garde de l'étalon des poids de la Ville, tant Royal que médicinal; ils ont même, par leurs Statuts, le droit d'aller deux ou trois fois l'année, affiftés d'un Juré-Balancier, vifiter les poids & balances de tous les Marchands & Artisans de Paris; c'est delà qu'ils prennent leur devise, Lances & pondera fervant.

Il faut néanmoins excepter les Orfévres, qui ne sont sujets à cet égard qu'à la vifite des Officiers de la Cour des Monnoies, attendu que l'étalon du poids de l'or & de l'argent, qui étoit anciennement gardé dans le Palais du Roi, eft gardé à la Cour des Monnoies depuis l'Ordonnance de 1540. Les Merciers ne fe prétendent pas fujets non plus à la vifite des Apothicaires & Epiciers.

Pour ce qui eft des Provinces, la plus grande partie de nos Coutumes donne aux Seigneurs hauts - Jufticiers, & même aux moyens, le droit de garder les étalons des poids & mefures, & d'en étalonner tous les poids & mefures dont on fe fert dans les Juftices de leur reffort.

Les Coutumes de Touraine & de Poitou veulent que le Seigneur qui a le droit de mefures, en dépofe l'étalon dans l'Hôtelde-Ville le plus proche, fi cette Ville a le droit de Mairie ou de Commmunauté, finon au Siége Royal fupérieur d'où sa Juftice reléve.

Dans tous les Etats du monde, foit que l'on parcoure les Annales de l'antiquité, foit que l'on jette un coup-d'oeil fur les Gouvernemens actuels, on appercevra par- tout & en tout temps la même vigilance fur la confervation du prototype des mesures; c'est qu'on a toujours été parfaitement convaincu qu'en vain on auroit établi & réglé par les Loix ce qu'elles doivent contenir, si l'on avoit laiffé à chaque particulier la liberté de s'en fervir comme elles fortent des mains de l'ouvrier, & fans aucun contrôle ; ou fi, même après les avoir eues d'abord dans leur jufte proportion, elles n'avoient été fujettes dans la fuite à aucun examen, pour en faire réparer les diminutions qui doivent néceffairement y arriver par un trop long usage. La cupidité du gain auroit porté les uns

à s'en pourvoir de trop grandes ou de trop petites, felon qu'ils auroient eu deffein de s'en fervir dans leur commerce, pour acheter ou pour vendre; & les autres par un efprit de ménage ou d'avarice, au lieu de les renouveller de temps en temps, auroient continué de s'en fervir après qu'elles auroient ceffé d'être justes par caducité. Tels font les abus qui fe feroient introduits dans la fabrication des mefures, & delà là néceffité d'y remédier par des étalons.

Les peuples dans tous les temps n'ont pas moins fenti les inconvéniens qui résultent de la multiplicité des étalons & des mesures de jauge différente, les furprises & l'embarras qu'elle occafionne dans le commerce, la perte qu'elle caufe à un Etat en lui enlevant le travail d'un nombre confidérable d'individus occupés à en faire les réductions, & dont l'induftrie pourroit être appliquée plus utilement, &c. L'uniformité des mefures étoit trop visiblement avantageuse, pour ne pas entrer dans le plan d'un habile Légiflateur. Elle y eft entrée en effet ; & s'il n'eft pas démontré que dans l'antiquité la plus reculée, il n'y avoit qu'une feule & même mefure fur toute l'étendue de notre continent, au moins est-il facile de prouver que les Etats, & même de grandes régions entieres contenant plusieurs Etats, n'avoient chacun qu'un même & unique étalon primordial de leurs mesures.

Du temps d'Ariftide, comme il le témoigne lui-même, (Ariftid. in res facras), & comme nous le ferons voir dans le cours de cet Ouvrage, tous les Etats & toutes les Provinces de l'Afie, la Paleftine & l'Egypte même comprises, se servoient des mêmes mefures, fans aucune inégalité ni différence. Nous ne retrouvons dans la Grece que deux étalons originaux; l'un des mesures Attiques, en ufage dans le Péloponnefe & l'Attique ; & l'autre des mesures Pythiques, dont on fe fervoit dans toute la partie feptentrionale de la Grece, & dans la Macédoine & la Thrace. Ce fut ainfi que les Romains en uferent dans tous les lieux de leur vafte Empire; tous les poids & toutes les mefures y étoient réglées fur celle de la Ville Capitale, & le Prince croyoit au nombre de fes obligations celle de tenir la main à l'observation de ce réglement. L'Empereur Julien ordonna à Prétextat, Préfet de Rome, d'en établir de juftes dans les Provinces, pour empêcher les abus qui s'y commettoient en les altérant par l'avidité du gain. Juftinien ordonna de même la réforme des poids & des mefures dans toutes

les Villes de l'Empire, fur des étalons publics, qui feroient gardés dans la principale Eglife du lieu. Théodose renouvella ce même réglement, & y ajouta que ces étalons des mefures feroient d'airain ou de pierre. Honorius chargea les Gouverneurs, qui étoient les premiers Magiftrats des Provinces, d'avoir une infpection intime fur les poids & les mefures, & de punir ceux qui en abuferoient. L'uniformité des mefures étoit regardée comme une chose si effentielle, que depuis la translation du Siege de l'Empire en Orient, les Empereurs envoyoient de Conftantinople à Rome les étalons ou prototypes des mefures, pour y être confervés & y fervir de regle fous leur autorité : Acceptas ab Imperatore menfuras, vel Papa, vel Senatus, fervabant.

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On pense que les mefures de capacité des Romains pafferent dans les Gaules avec leur domination, & que nos premiers Rois en conferverent l'usage. Les Capitulaires de Charlemagne, de l'an 809, & de Charles le Chauve, de l'an 864, Grégoire de Tours, Walafride Strabon & Adalard, font mention du fextarius; le demifextarius ou l'hémine fe trouve dans les Capitulaires de Louis le Débonnaire, de l'an 817, & dans plufieurs anciens Cartulaires rapportés par Ducange; le quartarius dans Grégoire de Tours, dans Adalard & dans une ancienne Charte de Philippe I, de l'an 1052; & le modius dans les Capitulaires de Dagobert II, de Charlemagne & de Charles le Chauve. Mais ces dénominations ne prouvent rien, & on peut les avoir appliquées à des mesures de capacité différente de celle des mefures Romaines, comme cela fe pratique encore aujourd'hui parmi les Ecrivains peu réfléchis, lesquels écrivant en latin, appellent modius tantôt le boiffeau, tantôt le muid de Paris, & qui écrivant en françois, appellent boisseau le modius Romain, comme fi c'étoit la même mefure.

Quoi qu'il en foit, toutes les mefures étoient égales en France fous nos premiers Rois; c'étoit un des principaux foins dont ils chargeoient par leurs Ordonnances les Magiftrats, d'entretenir cette uniformité dans toutes les Provinces, & d'égaler les mefures fur l'étalon ou prototype qui étoit gardé dans le Palais Royal: Volumus ut æquales menfuras & rectas pondera jufta & æqualia omnes habeant, five in civitatibus, five in monafteriis, five ad dandum in illis, five ad accipiendum, ficut in lege Domini praceptum habemus. (Carol. Magn. an. 789. Capit. Reg. Fr. Tom. I. col. 238.) Volumus ut unufquifque Judex in fuo minifterio menfuram modio

,

rum, fextariorum, & ficulas per fextaria, oto & corborum eò tenere habeat, ficut & in Palatio habemus. (Idem ann. 800. ibid. col. 333.) Volumus ut pondera vel menfuræ ubique æqualia fint & jufta. (Idem ann. 813. ibid. col. 503.)

Mandamus & expreffè præcipimus ut Comes, & Reipublicæ miniftri ac cæteri fideles noftri provideant quatenùs juftus modius æquufque fextarius, fecundùm facram Scripturam, & Capitula prædecefforum noftrorum, in civitatibus, & in vicis, & in villis, ad vendendum & emendum, fiat; & menfuram fecundùm antiquam confuetudinem de Palatio noftro accipient, & non pro hac occafione à manfuariis vel ab his qui cenfum debent, major modius, nifi ficut confuetudo fuit, exigatur. (Carol. Calv. an. 864. Capit. Reg. Fr. Tom. II. col. 182.)

Čes Ordonnances nous inftruisent de deux chofes importantes au fujet des mesures : la premiere, qu'autrefois toutes celles dont on fe fervoit en France, étoient uniformes & ajustées fur l'étalon qui étoit gardé dans le Palais du Roi la feconde, que fur la fin du regne de Charlemagne, & encore plus fous celui de Charles le Chauve, fon petit-fils, cette égalité commençoit à s'altérer; elles nous apprennent encore que ce changement arriva, felon toutes les apparences, à l'occafion des cens & des autres droits feigneuriaux qui prirent naiffance environ dans ce temps-là par les inféodations de quelques-unes des Provinces du Royaume à titre de Seigneurie particuliere: ainsi la même raifon qui a fait la différence de nos Coutumes, a établi celle de l'inégalité de nos mefures. Chaque Seigneur profitant des troubles de l'Etat, fe rendit affez puiffant pour introduire dans fa terre des usages conformes à fes intérêts. Il fe trouva de ces mesures seigneuriales qui étoient plus grandes que l'archétype ou étalon royal; d'autres qui avoient été établies plus petites celleslà pour tirer de plus grands droits des Vaffaux; & celles-ci peut-être, pour attirer par un traitement plus doux, un plus grand nombre d'habitans fous fa domination. Ce fut dans ces deux vues que Charles le Chauve rendit cette derniere Ordonnance de l'an 864. Il veut dans la premiere Partie, que les mesures qui fe trouveront trop grandes foient réduites en regle, felon Fancien usage, fur l'étalon royal: Ut menfuram fecundùm antiquam confuetudinem, de Palatio noftro accipiant. Et dans la feconde il déclare qu'il n'entend pas néanmoins que ceux qui fe trouveront avoir établi des mefures plus petites pour recevoir les

droits de vaffelage ou de cenfives, fe puiffent prévaloir de cette Ordonnance pour les augmenter : Non pro hac occafione à manfuariis vel ab his qui cenfum debent, major modius, nifi ficut confuetudo fuit, exigatur.

Sur le fondement de ces anciennes Loix du Royaume, les Gens du Roi ont foutenu avec raifon, toutes les fois que l'occasion s'en eft préfentée, que le droit de régler les poids & les mefures, & d'en garder l'étalon, étoit attaché à la Couronne & du Domaine inalienable de nos Rois. Ils le comparent à celui de faire battre monnoie, & prétendent que l'un & l'autre droit de législation est un appanage de la fouveraineté : qu'il n'eft pas moins important à l'Etat que la fidélité & la bonne foi fe rencontrent dans la livraison que dans le payement de tout ce qui tombe dans le Commerce; & qu'ainfi il y a pareille raison & autant d'intérêt public à maintenir par l'autorité du Prince, la juste égalité des poids & des mefures, que l'inaltération des monnoies. Ils autorifent cette opinion des ufages & des loix de toutes les Nations. Les peuples de l'Afie, dont les Hébreux faifoient partie, n'avoient qu'un même poids & une même mesure dans toutes leurs Villes : cette uniformité dictée par la raison naturelle, fut une des Loix que Dieu, par l'entreprise de Moïfe, impofa à ces derniers, avant même de les mettre en poffeffion de la terre où ils devoient s'établir, & il attacha une bénédiction particuliere à ne la point changer. Vous n'aurez, leur fit dire le fouverain Légiflateur, (Deut. XXV. 15.) qu'un poids jufte & véritable; & il n'y aura chez vous qu'une mefure qui fera la véritable & toujours la même, afin que vous viviez long-temps fur la terre que le Seigneur votre Dieu vous aura donnée.

A toutes ces autorités, recueillies par la Mare dans fon Traité de la Police, les Seigneurs particuliers oppofent les conceffions accordées par nos Rois à quelques-uns d'eux, ou leur longue poffeffion. Ils ajoutent que par le droit des inféodations, la justice leur appartient à titre patrimonial; que la police des poids & des mefures en fait partie, & qu'elle n'en peut être féparée : ils rapportent enfin les difpofitions des Coutumes. Il y en a plufieurs qui font mention des poids & des mefures. Prefque toutes celles-là attribuent la garde de l'étalon au Seigneur Suzerain, foit Baron, Comte, Châtelain ou Haut-Jufticier. Elles veulent que tous les Seigneurs des Juftices inférieures viennent

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