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peu plus de deux lieues par jour, ce qui ne paroît admiffible dans aucune hypothese. Mais fi les Anciens avoient ceffé de fréquenter les côtes éloignées de l'Afrique, on ne doit pas s'étonner que durant un affez long espace de temps ils euffent entiérement perdu de vue le continent Américain. Cependant cette partie du monde a été connue dans la plus haute antiquité, on n'en fauroit douter. Dans le Timée de Platon, on lit un entretien entre les Prêtres Egyptiens & Solon d'Athenes, qui vivoit environ fix cents ans avant l'Ere vulgaire, dans lequel ces Prêtres racontent que vis-àvis du Détroit d'Hercule, il y avoit eu autrefois une Ifle appellée Atlantide, plus grande que l'Afrique & l'Afie enfemble; mais qu'enfuite d'un grand tremblement de terre, il furvint une inondation qui, dans l'efpace d'un jour & d'une nuit, fubmergea cette Ifle, & la fit entiérement difparoître; que la mer qui étoit entre Gadés ou Cadix & cette Ifle, demeura pendant long-temps inacceffible, à caufe de la grande quantité de limon qui s'y étoit formé des débris de cette Ifle.

Je remarquerai fur ce paffage, que fi l'Ifle Atlantide étoit auffi grande que l'Afrique & l'Afie enfemble, elle n'a pu être fubmergée en entier; car l'espace de mer compris entre l'Afrique & l'Amérique n'eft pas capable de contenir une Ifle d'une auffi grande étendue ce ne pourroit donc être qu'une portion des terres de l'Amérique, qui fe feroit détachée de ce continent, & auroit été engloutie. Ces terres perdues étoient apparemment une grande pointe qui rapprochoit le continent Américain du nôtre, laquelle ayant difparu, fit croire que toute l'Isle Atlantide avoit été abymée dans les eaux de la mer. N'y auroit-il pas lieu de croire d'ailleurs que les Ifles du golfe du Mexique, les Açores, Madere, & les Ifles du Cap-Verd font encore des débris de cette ancienne terre? au moins eft-il certain qu'il eft arrivé de grandes révolutions dans cette mer. Diodore de Sicile (lib. III.) parle d'une très - grande Ifle Hefperide, ainfi appellée, parce qu'elle étoit située au couchant du lac Tritonide. Ce lac étoit fitué dans le voifinage de l'Ethiopie, au pied de la plus haute montagne de ce pays-là, que les Grecs appellent Atlas, & qui domine fur l'Océan. Mais il ajoute quelques pages après, que le lac Tritonide a entiérement difparu par la rupture de tout le terrein qui le féparoit de l'Océan. L'Auteur d'un petit Livre intitulé Du Monde dont les uns attribuent le texte à Ariftote, & d'autres à Théophrafte, & la ver

fion latine à Apulée, affure qu'il y a d'autres grandes terres audelà du continent qui renferme l'Europe, l'Afie & l'Afrique.

Diodore (lib. V, c. XV.) dit qu'à l'occident de l'Afrique, on trouve une Isle diftante de cette partie du monde de plusieurs journées de navigation; fon territoire fertile eft entrecoupé de montagnes & de vallées. Cette Ifle eft traversée par plufieurs fleuves navigables fes jardins font remplis de toutes fortes d'arbres, &, arrofés par des fources d'eau douce. On y voit quantité de maisons de plaifance, toutes meublées magnifiquement, & dont les parterres font ornés de berceaux couverts de fleurs : c'eft-là que les habitans du pays fe retirent pendant l'été, pour y jouir des biens que la campagne leur procure en abondance. Les montagnes de cette Ifle font couvertes d'épaiffes forêts d'arbres fruitiers, & fes vallons font entrecoupés par des fources d'eaux vives, qui contribuent non-feulement au plaifir des Infulaires, mais encore à leur fanté & à leur force. La chaffe leur fournit un nombre infini d'animaux différens qui ne leur laiffe rien à défirer dans leurs feftins

ni pour l'abondance, ni pour la délicateffe. Outre cela, la mer qui environne cette Ifle eft féconde en poiffons de toute efpece, ce qui eft une propriété générale de l'Océan. D'ailleurs on refpire là un air fi tempéré, que les arbres portent des fruits & des feuilles pendant la plus grande partie de l'année: en un mot, cette Ifle eft fi délicieufe, qu'elle paroît plutôt le féjour des Dieux que des hommes. Autrefois elle étoit inconnue à caufe de fon grand éloignement, & les Phéniciens furent les premiers qui la découvrirent. Ils étoient de tout temps en poffeffion de trafiquer dans toutes les mers, ce qui leur donna lieu d'établir plusieurs Colonies dans l'Afrique & dans les pays occidentaux. Tout leur fuccédant à fouhait, & étant devenus extrêmement puiffans, ils tenterent de paffer les Colonnes d'Hercule, & d'entrer dans l'Océan.... Les Phéniciens ayant paffé le Détroit, & voguant le long de l'Afrique, furent portés par les vents fort loin dans l'Océan : la tempête ayant duré plufieurs jours, ils furent enfin jettés dans l'Isle dont nous parlons. Ayant connu les premiers sa beauté & sa fertilité, ils la firent connoître aux autres Nations. Les Toscans devenus les maîtres de la mer, voulurent auffi y envoyer une Colonie; mais ils en furent empêchés par les Carthaginois. Ces derniers craignoient déja qu'un trop grand nombre de leurs compatriotes attirés par les charmes de ce nouveau pays, ne défertaffent

fa

leur patrie d'un autre côté, ils le regardoient comme un afyle pour eux, fi jamais il arrivoit quelque défaftre à la Ville de Carthage; car ils efpéroient qu'étant maîtres de la mer, comme ils l'étoient alors, ils pourroient aifément fe retirer dans cette Ifle, fans que leurs vainqueurs, qui ignoroient sa situation, puffent aller les inquiéter là.

Je ne fais fi je me trompe, mais à quelques circonftances près de la description fleurie que Diodore fait de cette Ifle, je ne puis rapporter cette terre éloignée qu'à la côte du Bréfil, où les Phépiciens après avoir navigé le long des côtes d'Afrique en s'avansant vers le midi, furent jettés par la tempête qui dura plufieurs jours de fuite. Ce trajet n'eft pas de plus de fix cents lieues, qui ne font que douze jours de navigation ordinaire, enforte que par un gros temps ils purent y arriver en cinq ou fix jours.

Plutarque, dans la Vie de Sertorius, rapporte qu'à dix mille ftades de diftance de l'Afrique, il y a deux Ifles Atlantides féparées l'une de l'autre par un détroit peu confidérable; ces Iflès, que l'Hiftorien appelle auffi fortunées ou heureuses, ne peuvent être, eu égard à leur distance de l'Afrique, que les Açores, Tercere & Saint-Michel.

On raconte,

dit Pline (lib. VI, cap. XXX.), que vis-à-vis du mont Atlas, il y a une Ifle qu'on appelle Atlantide; elle eft diftante de cinq journées de navigation des côtes de l'Ethiopie occidentale & du promontoire appellé Hefpérioncéras. Je pense que cette Ifle, à caufe de fa diftance de la côte, ne peut être que Madere. A l'oppofite de ce promontoire font les Ifles Gorgones, diftantes du continent de deux jours de navigation, au rapport de Xénophon de Lampfaque : c'étoit-là qu'habitoient les Gorgones. Eu égard à leur diftance, ces Ifles font Fortaventure & Lancerote, & le promontoire Hefpérioncéras eft, dans ce cas, le Cap Bojador, au lieu que dans le premier cas il répondroit au Cap voifin de la Ville de Mazagan. Au-delà de ces dernieres Ifles font encore deux Ifles Hespérides; ce font aujourd'hui Canarie & Ténérif d'où je conclus que les Gorgones ou Gorgades & les Purpuraries font les mêmes Ifles, & que les Hefpérides & les Fortunécs font également les mêmes Ifles.

Statius Sébofus, allégué par Pline, dit que les Gorgones ne font éloignées du promontoire Hefpérioncéras que d'une journée de navigation; mais que de ces Illes aux Hefpérides, il y a qua

rante jours de navigation. Cette diftance paroît déterminer la pofition de quelques Ifles du golfe du Mexique, ce qui confirme que l'Amérique n'a point été inconnue aux Anciens.

CHAPITRE III.

Des mesures de fuperficie des Anciens pour l'arpentage

L

de

'Aroure

quarante

des terres.

Plethre, Verfe, Modios, Arationcule, Mahaméh, Bethleáh chez les Hébreux, Arhapedán ou Pedná chez les Syriens & les Chaldéens, eft la même mesure de fuperficie : c'étoit un quarré de 10 acenes ou décapodes, ou de 50 coudées sacrées, ou de 100 pieds géométriques en tout fens. L'aroure contenoit 2 focarions quarrés, 100 acenes quarrées, 777 orgyies juftes quarrées, 2500 coudées facrées quarrées, 10000 pieds géométriques quarrés, & 203.5 toifes du Châtelet quarrées. Selon Héron d'Alexandrie, on femoit dans cet efpace un modios de bled du poids litres. Ce modios étoit la moitié de la cubature du pied géométrique, & valoit 11.29 pintes de Paris, dont le boif feau en contient 13;, & eft réputé pefer 20 livres poids de marc; mais à raifon de quarante litres le modios, cette mefure peferoit poids de marc 18.228 livres, & le boiffeau de Paris à proportion 21.53 livres, parce que le bled d'Egypte eft meilleur & plus pefant qu'en France. Ce que j'écris ici par anticipation, fera démontré ailleurs. J'obferve encore qu'à raifon d'un modios de femence par modios de terre, il ne faudroit par arpent mesure de France que 5.593 boiffeaux de femence; c'eft que la quantité de femence doit être diminuée à mesure qu'on s'approche plus de l'Equateur, & augmentée à proportion qu'on avance plus vers le Pole; c'est ce que nous prouverons encore dans la fuite. Venons à l'examen des autorités qui établiffent l'étendue de l'aroure.

Hérodote (lib. II, c. 109 & 168.) dit que Séfoftris avoit diftribué douze aroures à chaque foldat des deux corps de troupes qu'il avoit placés fur les deux grands bras ou canaux du Nil; il ajoute que l'aroure étoit de cent coudées Egyptiennes en tout fens, &

enfin que la coudée Egyptienne étoit égale à celle de Samos. Les foldats poffédoient ces terres comme des efpeces de fiefs militaires, libres de toute impofition, & pour leur tenir lieu de folde.. Philon (Philo Jud. de plantâ Noæ.) nous apprend que cet établiffement fubfiftoit encore fous les Empereurs Romains, & que ces terres étoient toujours de douze aroures, qui, fuivant notre calcul, ne vaudroient que 1.817 arpens, c'est-à-dire, moins de deux arpens de France.

Mais Suidas n'eft pas d'accord avec Hérodote fur l'étendue de l'aroure felon cet Auteur, elle ne feroit que de cinquante pieds en tout fens; c'eft qu'il faut lire dans Hérodote cent pieds, & dans Suidas cinquante coudées.

Selon Héfychius, le pléthre pour l'arpentage étoit de dix mille pieds quarrés : c'eft le quarré des cent pieds d'Hérodote & des cinquante coudées de Suidas.

Varron (de Re rufticà, lib. 1, c. X.) après avoir dit qu'il y avoit différentes mefures pour l'arpentage des terres, fuivant les pays, ajoute que dans l'Espagne ultérieure on mefure les terres par jougs, dans la Campanie par verfes, & chez les Latins & les Romains par jugeres ; & que le verfe eft de cent pieds en tout fens.

le

Les Campaniens étoient une colonie de peuples venus de la côte occidentale de l'Afie mineure, qui probablement apporterent avec eux les mefures de leur ancienne patrie, enforte que verfe qui paroît avoir une grande analogie avec le pléthre, pourroit encore bien n'être que la même mefure en effet ces trois mots, pléthre, aroure & verse signifient absolument la même chose, & doivent exprimer la même mesure. Aroura vient du verbe grec arfá, je laboure; pléthron, ou, comme difent les Poëtes, pelethron, vient de poleó, qui en latin signifie verto, verfo, aro, & en françois, je retourne la terre ou je laboure, & verfus vient du latin verto; enforte que ce mot verfus n'eft que la traduction littérale du mot grec plethron. On peut obferver encore que le mot pléthron étoit affecté à une mesure linéaire de cent pieds géométriques, comme nous l'avons montré ci-devant en traitant de cette mefure; d'où il fuit tout naturellement que le pléthre confidéré comme mesure d'arpentage, étoit de cent pieds géométriques en tout sens, & par conféquent de dix mille pieds quarrés.

Héron, fous la dénomination de modios, définit le pléthre ou l'aroure un peu différemment. Le focarion de terre labourable

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