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Nous ne nous permettrons pas d'autres réflexions fur ce récit de Diodore; nous nous contenterons d'ajouter que s'il eft une époque dans l'antiquité la plus reculée favorable à l'établissement. d'un fyftême de mefures raifonné, c'eft le regne d'Ofiris; & que s'il a exifté un Géometre affez habile pour concevoir ce fyftême, & le rédiger, cet homme ne femble pouvoir être que Mercure Trifmmégifte, appellé Thouth par les Egyptiens, Thoth par les Alexandrins, & Hermès par les Grecs. C'eft une fable que ce que rapporte Eutrope dès le commencement du premier Livre de fon Hiftoire, que ce fut Sidonius ou un Sidonien qui inventa les mefures & les poids, vers le temps que Procas régnoit fur les Albains, Aza fur les Juifs, Jéroboam à Jérufalem. Il eft certain que. cette invention eft beaucoup plus ancienne.

Selon Pline (lib. VII, cap. LVI.), ce fut Phidon d'Argos, ou Palamede, fuivant le témoignage d'Aulugelle, qui régla le fyftême métrique & pondéral de la Grece : Strabon (lib. V.) attribue ce mérite à Phédon d'Elide; Diogene Laerce veut que les Grecs en aient l'obligation à Pythagore; mais tout ce que fit Pythagore, ce fut de rapporter de l'Egypte, où il voyagea, des modeles de mefures plus exacts que ceux que l'on confervoit à Samos & dans les autres Ifles de la mer Egée, voisines de l'Asie, où l'on fe fervoit des mêmes mesures qu'en Egypte.

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A monnoie eft une mefure, mais d'un autre genre que les précédentes; c'est une ingénieufe & funefte invention, moins ancienne que celle des mefures abfolues & proprement dites, moins naturelle, moins néceffaire, très-utile au commerce dont elle a rendu les opérations faciles, mais deftructive du bonheur de l'efpece humaine, en favorifant l'inégalité des fortunes.

Dans les anciens temps on ne faifoit point ce qu'on appelle des achats & des ventes; on échangeoit les marchandifes fuperflues que l'on poffédoit, contre les marchandifes fuperflues qu'un

autre avoit, mais que l'on n'avoit pas foi-même. Dans cet état des chofes, on ne pouvoit conferver long-temps chez foi les productions qui excédoient le nécessaire, & l'on ne pouvoit acquérir de celles que l'on n'avoit pas qu'à proportion de fes befoins. Dans ces temps-là il étoit donc beaucoup plus difficile qu'un particulier s'enrichit en épuifant un autre particulier.

Ce fut Bacchus, c'est-à-dire, Ofiris, dont nous venons de parler fur la fin du Chapitre précédent, qui, felon Pline (lib. VII, cap. LVI.), apprit aux hommes l'art de vendre & d'acheter: Emere ac vendere infiituit Liber Pater: ce fut donc lui qui inventa la monnoie. Ce grand Prince, l'ami incomparable de notre espece, dut être charmé d'une découverte auffi admirable, & il crut faire un rare préfent à l'humanité; c'eft qu'il n'avoit pas apperçu les conféquences défavorables qu'elle préfentoit pour les générations

futures.

Si nous en croyons Hérodote (lib. I.), les Lydiens ont été les premiers peuples qui aient commencé à battre de la monnoie d'or & d'argent pour le commerce, de même qu'ils ont inventé les jeux qui leur étoient communs avec les Grecs', le jeu des Dames ou des Echecs, le jeu de la Balle, & d'autres frivolités femblables. Delà on pourroit conclurre que la monnoie de Bacchus ou d'Ofiris n'étoit ni d'or ni d'argent, mais de quelque autre métal, &c. Suivant Ephore & Strabon (Geogr. lib. VIII.), ce fut Phédon ou Phidon qui le premier fit fabriquer des monnoies d'argent dans la Grece. Argée ou les Naxiens, au rapport d'Agloafthenes, furent les premiers qui firent des monnoies d'or, d'argent, de cuivre & de fer: Erechthée en fabriqua le premier à Athenes, & Xénophanes en Lydie & en Licie; Lycurgue fit battre le premier de la monnoie de fer à Sparte; & Saturne ou Janus fut le premier qui ordonna de la monnoie de cuivre en Italie. Tite-Live dit qu'on s'avifa fort tard de faire fabriquer à Rome de la monnoie d'argent. Nous lifons dans Eutrope (lib. II.) que ce fut vers l'an 48; & dans Pline, que ce fut l'an 484 ou 485 de la fondation de Rome. Selon le même Pline, ce ne fut que l'an 637 de Rome que l'on fabrica dans cette Ville de la monnoie d'or.

Laiffons ces recherches très-incertaines, puifque les autorités fe croifent, fur l'époque & l'ancienneté de l'inftitution des monnoies, & venons à ce qui les concerne plus intimement.

La monnoie eft la mesure relative & comparative de la valeur

réciproque de toutes les chofes destinées aux befoins ou au luxe des hommes; mais ce n'eft que refpectivement aux temps, aux moeurs & aux circonftances que l'or, l'argent & les autres métaux monnoyés sont la mesure de la richesse. Ce n'est ni l'or ni l'argent qui affigne la valeur abfolue aux chofes de premiere néceffité; ce font ces chofes, au contraire, qui donnent du prix à l'or & à l'argent. Si, par exemple, en 1777 la mesure de bled valoit quarante fous; qu'en 1778 elle ne vaille que vingt fous, & que dans ces deux années la valeur des autres denrées, & de toutes les chofes néceffaires à la vie & aux commodités de l'homme, ait fuivi la proportion du prix du bled, on pourra dire avec raifon & vérité qu'en 1778 l'or & l'argent ont moitié plus de prix qu'en 1777, puisqu'avec la même quantité de monnoie on a, en 1778, moitié plus de marchandise qu'on n'en avoit en 1777. Nous lifons dans Pline (lib. XVIII, cap. III.) que fous plufieurs Ediles, & particuliérement l'année que L. Métellus triompha à Rome, le modius de bled n'y valut qu'un as. Là-deffus je fais une fuppofition; favoir, que l'as d'alors n'étoit que du poids d'une once Romaine de cuivre; que le denier étoit à la taille de 72 à la livre Romaine, & valoit 20 fous; & je dis : Dans le temps qu'un modius de bled valoit à Rome un as ou une once Romaine de cuiil falloit trente-une onces de cuivre poids Romain pour procurer la quantité de bled néceffaire à la fubfiftance annuelle d'un citoyen: or il n'y a pas long-temps qu'en France le fetier de bled mefure de Paris valoit trente livres monnoie, & plus; il faut deux fetiers de bled pour égaler trente-un modius: foixante livres monnoie n'étoient donc pas plus utiles en France lorfque le fetier de bled s'y vendoit trente livres, que trente-une onces Romain, qui, à raifon de dix as pour un denier, font 3 deniers un dixieme, ou 3 livres peu plus, monnoie de France, ne le furent lors du triomphe de Métellus à Rome. La monnoie n'est

vre

&

donc que

la mefure relative de la valeur des chofes néceffaires à

la vie de l'homme.

La monnoie n'étant que le figne fymbolique, représentatif & conventionnel des marchandises, & n'ayant point d'autre valeur que la valeur même de ces marchandifes, il eft évident qu'elle ne peut fervir à nous donner une idée jufte de la richeffe, des dépenfes, des récompenfes, des falaires, &c. chez les Anciens, qu'autant que nous les rapporterons à la valeur intrinféque des

chofes néceffaires : l'exemple précédent en montre la raifon. Sous le confulat de Métellus, la provision annuelle de bled pour une perfonne revenoit, par fuppofition, à foixante fous de notre monnoie actuelle; & ces années dernieres la même quantité de bled valoit en France foixante livres : d'où il fuivroit que fous le confulat de Métellus, celui qui jouiffoit d'un revenu de dix mille deniers Romains, qui dans notre hypothèse vaudroient intrinféquement dix mille livres de la monnoie actuelle de France, poffédoit réellement la même fortune que celui qui a aujourd'hui deux cents mille livres de rente.

Il fembleroit, d'après ces notions, qu'il eft peu utile de réduire les efpeces anciennes au taux des efpeces qui ont cours aujourd'hui dans le commerce; mais ce n'eft qu'une fuppofition que nous avons faite, & jamais le bled n'a été à si bas prix. Dans tous les temps, les chofes néceffaires à la nourriture & aux befoins de l'homme ont toujours eu pour mesure appréciative une quantité raifonnable d'or, d'argent ou de cuivre, & fort approchante de celle d'aujourd'hui. Le bled & les autres chofes valoient fous le confulat de Métellus, ce qu'elles valent de nos jours dans les années fertiles & abondantes, comme nous tâcherons de le prouver dans la fuite. Par conféquent la réduction des monnoies anciennes aux nôtres peut fervir fuffifamment à l'appréciation des richesses des peuples de l'antiquité, & la connoiffance de leur rapport réciproque ne doit pas paroître une chofe indifférente; mais pour connoître ce rapport, il eft nécessaire de prendre quelques notions relatives à la fabrique des monnoies, & au prix actuel de l'or, de l'argent & du cuivre dans le commerce.

Dans un Etat gouverné avec Religion, fageffe & équité, les monnoies & la qualité des métaux qui fervent à les fabriquer doivent une fois pour toutes être réglées & fixées fur un pied où il ne foit plus permis de faire de changement: car les monnoies font des mefures deftinées à régler & à fixer la propriété du citoyen débiteur & créancier, & elles doivent être immuables comme les poids & les autres mefures. Les Juifs en gardoient les modules ou prototypes avec un foin religieux. Le ficle, défigné fous le nom de ficle facré ou ficle du fanctuaire, étoit configné dans le Temple de Jérufalem avec les étalons des autres monnoies, poids & mefures, dont la confervation inaltérable étoit un précepte formel de leur Loi : Non habebis in facculo diverfa pondera, majus & minus :

non

non erit in domo tuâ modius major & minor. Pondus habebis juftum & verum, & modius æqualis & verus erit tibi; ut multo vivas tempore fuper terram, quam Dominus Deus tuus dederit tibi: abominabitur enim Dominus Deus tuus, eum qui facit hæc, & averfatur omnem injuftitiam (Deut. cap. XXV.). Ce fut encore dans le même efprit d'équité que les Juifs, les Egyptiens, tous les Aliatiques, les Grecs & les Romains dans les beaux temps de la République, eurent grand foin de n'employer pour la fabrication de leurs monnoies que des métaux bien épurés de toute matiere étrangere: ils ne mettoient en œuvre que de l'or & de l'argent affinés au degré où l'induftrie humaine peut atteindre; procédé dispendieux qui fut néanmoins fuivi par tous les anciens peuples. Je fuis même perfuadé que la monnoie Euboïque s'appella ainfi, non parce que c'étoit celle de l'Ifle d'Eubée, ni précisément parce qu'elle portoit l'empreinte d'un boeuf, mais parce que l'argent en

étoit très-fin.

Les Romains furent les premiers qui apprirent au monde l'art criminel de dépraver la pureté des métaux destinés à la fabrication des monnoies. Livius Drufus, Tribun du peuple, mêla, au rapport de Pline (lib. XXXIII, cap. III.), une huitieme partie de cuivre avec fept huitiemes d'argent pour la fabrication de la monnoie: : Livius Drufus in tribunatu plebis octavam partem æris argento mifcuit, Le Triumvir Antoine altéra auffi la pureté de l'argent du denier en y faifant entrer du fer: Mifcuit denario Triumvir Antonius ferrum. Mifcuit æri falfa moneta (Plin. lib. XXXIII, cap. IX.). Les mêmes Romains enfeignerent encore aux hommes l'art frauduleux d'altérer le poids du denier : Alii è pondere fubftrahunt; furquoi Pline s'écrie : Mirumque in hac artium fola vitia difcuntur, & falsum denarii spetant exemplar, pluribufque veris denariis adulterinus emitur.

L'ufage de mélanger les métaux étant devenu aujourd'hui général dans tous les Etats, il a fallu établir des principes fur lef quels on pût régler la quantité de l'alliage. Pour cela on a fixé un certain poids du métal destiné à être monnoyé ; on a divisé ce poids , par la penfée, en un certain nombre de petits poids égaux; enfuite on a confidéré combien le poids total contenoit de petites parties en matiere pure, & ce combien eft ce qu'on a appellé

titre de la monnoie.

En France on a pris pour poids principal à la monnoie le marc qui eft la moitié de la livre. On eft convenu que le marc fe

Tt

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