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A préfent, dit Pline, on tire le levain de la pâte même que l'on a préparée pour faire du pain on prend un tourteau de la masse totale, avant que d'y avoir mis le fel; on le laiffe aigrir, & fans autre apprêt, on peut en faire usage dès le lendemain. Les Gaulois & les Espagnols, après avoir réduit le froment en boiffon, en prenoient l'écume, qu'ils gardoient pour faire lever la pâte : aufli leur pain étoit-il plus léger qu'il n'a coutume de l'être chez les autres peuples; il étoit auffi plus fain: car le pain bien levé -contribue à procurer de la fanté & de la force à l'homme qui s'en nourrit. J'obferverai ici que les Parifiens ont confervé cette méthode des Gaulois, puifque aujourd'hui encore ils excitent la fermentation dans la pâte, en y mettant une certaine quantité de levure ou d'écume de bierre.

Le pain de munition pour la confommation des troupes Romaines, fe fabriquoit à raifon de quatre livres de pain pour trois livres de bled; enforte que le fetier de Paris, pefant 240 livres, produiroit 320 livres de ce pain de munition, & le boiffeau 26.

Le meilleur froment étoit celui qui prenoit, à la boulangerie, à raison d'un conge d'eau pour un modius de bled, tant chez les Grecs que chez les Romains. De ce principe il fuit que le fetier du meilleur froment doit prendre 60 pintes d'eau à la boulangerie, & le boiffeau 5 pintes.

II y a des bleds, celui, par exemple, des Ifles Baléares, qui rendent par modius jufqu'à trente pondo de pain; le fetier de Paris rendroit à proportion 318 livres de pain.

Il y a certains mélanges de bleds, comme celui que l'on fait du bled de l'Ifle de Cypre, & du bled d'Alexandrie d'Egypte, dont le modius ne pefe guere plus de 20 pondo, 212 livres le fetier. Le bled de Cypre n'eft pas d'un beau blanc, il fait le pain noir; c'eft pourquoi on le mêle avec celui d'Alexandrie, qui est d'une blancheur parfaite. Le modius de ce mélange de bled produit 25 pondo de pain, c'eft 265 livres de pain par fetier. Le bled de Thebes en Egypte rend un pondo de plus par modius; le fetier de ce bled auroit par conféquent rendu 275 livres de pain.

Le plus excellent pain fe faifoit de l'efpece de bled appellé filigo; la filigo d'Italie l'emportoit fur toutes les autres, mais principalement le mélange que l'on compofoit de celle qui croiffoit dans la Campanie avec celle du territoire de Pise dans l'Etrurie :

celle de la Campanie eft d'une couleur qui tire fur le jaune; celle de Pife eft très-blanche; mais la filigo dont la couleur tiroit fur celle de la craie, étoit la plus pefante. Le grain de la Campanie rend réguliérement, pour un modius, quatre fetiers de farine affinée, qu'on appelloit auffi filigo; ou bien cinq fetiers de farine de premiere qualité, mais fans affinage, & outre cela un demi-modius de farine commune appellée flos, quatre fetiers de recoupes, & quatre fetiers de fon. Le grain de Pife rend cinq fetiers de farine affinée, & le refte comme le grain précédent. Les bleds de Clufium & d'Arezzo produifent un fetier de farine affinée de plus.

Si au lieu de farine affinée, on faifoit réduire le modius de grain en farine de ménage, appellée pollen, on en retireroit seize pondo de pain, trois de pain bis, & un demi-modius de fon. Sur ce pied, le fetier de bled mesure de Paris auroit produit 169 livres de bon pain, environ 32 livres de gros pain, & un demi

fetier ou une mine de fon.

Les différences dans la mouture en occafionnent dans la quantité du pain. Le bled moulu bien fec rend plus de farine; le bled qu'on a fait macérer dans de l'eau falée, rend la farine plus blanche, mais il en refte davantage avec le fon.

Un modius de la farine du bled appellé filigo, rend dans la Gaule 22 pondo de pain. En Italie, il produit deux ou trois pondo de plus en pain cuit dans des tourtieres; car en pain cuit au four, tous ces bleds donnent deux pondo de plus. Le fetier mefure de Paris de cette farine auroit donc produit en Gaule 233 livres de pain cuit dans des tourtieres, & 254 livres de pain cuit au four. Le fetier de farine de bled d'Italie auroit rendu au moins 254 livres de pain cuit en tourtieres, & 275 livres de pain cuit au four.

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On tire du froment barbu une farine très-eftimée qu'on appelle fimilago. Le modius du froment d'Afrique ( du territoire de Tunis) rend un demi-modius de cette fine farine, de la farine appellée pollen, de recoupes ou de groffe farine, & de fon, ce qui fait en tout de farine & de fon, ou bien de farine contre de fon c'est-à-dire, qu'un fetier mesure de Paris de bled d'Afrique, rendoit 6 boiffeaux de la plus fine farine, appellée fimilago, boiffeaux de farine de moyenne qualité, 3 boiffeaux de groffe farine ou de recoupes, & 3 boiffeaux de fon, ce qui fait en tout

3

12 boiffeaux de farine & 3 boiffeaux de fon, ou, en fomme, 15 boiffeaux de farine & de fon.

On fait 122 pains d'un modius de la fine farine appellée fimilago, & 117 pains d'un modius de la farine plus commune appellée flos. Sur ce pied, le fetier de fine farine produiroit 1890 de ces pains ou galettes des anciens Romains, qui probablement étoient chacun de 2 onces poids Romain, ou d'un peu plus de 2onces poids de marc.

Le prix d'un modius de farine, au temps de Pline, étoit, année commune, de quarante as; or le modius de bled, lorsqu'il est moulu, produit, comme nous venons de le voir, de modius

de farine en total, qui par conféquent doivent valoir 42+ as; donc le fetier de bled moulu auroit alors valu 658, as, qui reviennent 32 livres, & c'étoit le prix du produit d'un fetier de bled moulu dans le fiecle de Pline.

à

Eft & alia diftinctio. Similago L., pollen autem xvij pondo panis reddere vifa, tritici xxx cum triente & fecundarii panis quinas felibras, totidem cibarii & furfurum fextarios fex: La plus fine farine rend 5 pondo de pain par modius, la farine de moyenne qualité 17 pondo, le modius de froment rend 33 pondo de bon pain, 2 de gros pain, autant de pain bis, & fix fetiers ou de fon. 144 Cet endroit paroît corrompu. Voyez au furplus Pline, lib. XVIII, Cap.VII, IX, X & XỈ.

Venons à l'application de ces observations, pour connoître la confommation du bled.

Une partie des habitans d'un Etat fe nourriffent de pain trèsblanc & très-fin, & le fetier du plus beau froment naturel ne produit que 192 livres de pain de cette qualité ; l'autre partie des habitans, mais qui eft la plus confidérable, fe nourrit de gros pain compofé de la fine farine mêlée avec les recoupes, & fouvent même avec le fon au moins je fais que les habitans de la campagne, dans le bas Maine & la baffe Normandie, réduisent en pain le feigle au fortir de la meule, fans rien retrancher du fon. Or un boisseau de froment du poids de 20 livres, rend au moins 16 livres de farine avec 4 livres de fon; il faut employer 5 pintes ou 9 livres d'eau pour paîtrir cette farine, par conféquent le boiffeau de bled paîtri avec le fon produiroit 29 livres de pâte, fans le fon, 25 liv.: mais, comme nous l'avons obfervé, fi les 433 payfans ne laissent pas tout le fon dans la pâte, au moins ils n'en Rrr

ou,

ôtent

que très-peu, enforte que le boisseau de bled doit leur produire au moins 28 livres de pâte, qui par la cuiffon fe réduit à 25 livres de pain : d'où je conclus qu'un fetier de bled traité de cette maniere, doit rendre au moins 300 livres de pain.

Parmi les perfonnes qui vivent dans l'aifance, il y a de petits mangeurs d'une conftitution délicate, & qui faifant peu ou point d'exercice, ne confomment par jour guère plus de 8 onces de pain de la premiere qualité, ce qui fait une confommation annuelle d'environ un fetier ou douze boisseaux de bled.

Un homme appliqué & fédentaire, comme les Gens de lettres, confomme une livre ou 16 onces de pain par jour; c'est par an environ 23 boiffeaux de bled.

Un mangeur ordinaire confommera 18 onces de pain par jour, & 25 à 26 boiffeaux de bled par an.

Un grand mangeur, parmi les perfonnes âgées de plus de trente ans, confommera 24 onces de pain par jour, & plus de 34 boiffeaux de froment par an.

Beaucoup de jeunes gens confomment par jour 32 onces ou deux livres de pain, & par an 45 à 46 boiffeaux de bled.

Il y en a même qui vivant de pain blanc tendre & frais, mais qui ne mangent point de viande, confomment trois livres & plus de pain par jour, ce qui fait par an 68 à 69 boiffeaux de bled.

Parmi les perfonnes qui fe contentent ou qui font forcées de vivre de gros pain, on trouvera les mêmes différences de confommation.

Les prifonniers, fuivant l'article XI de l'Arrêt du Parlement, rendu le 18 Juin 1717, doivent avoir chacun par jour un pain de bonne qualité, & du poids au moins d'une livre & demie (Bornier, tom. II, p. 183.); c'est par an 22 boiffeaux de bled.

Par l'article 6 de l'Ordonnance du 12 Décembre 1775, la nourriture des forçats confiftera en deux livres de gros pain par jour, & la foupe deux fois par jour, laquelle fera faite avec du beurre ou de la graiffe, de l'eau & du fel; & des féves, pois ou autres légumes les Dimanches & Fêtes. Sur ce pied, les forçats confommeront 29 boiffeaux de froment, en fuppofant que leur pain foit fait de bon grain. Cette ration eft auffi celle des mangeurs ordinaires parmi les journaliers & autres gens de peine.

Les journaliers grands mangeurs, les laboureurs, &c. confommeront 48 onces ou trois livres de pain par jour, & 44 boisseaux de grain par an.

Les Maréchaux, Serruriers, Porte-faix, Faucheurs, Batteurs en grange, &c. confommeront so onces & plus de pain par jour, & 45 à 46 boiffeaux de bled par an.

Les Quinze-vingts avoient autrefois quatre fetiers ou 48 boiffeaux chacun par an; on leur retient à préfent un quart, & ils n'ont plus que trois fetiers ou 36 boiffeaux, outre ce qu'on leur donne en argent.

I

La ration d'un foldat fantaffin en route étoit ci-devant de 24 onces; mais elle a été augmentée de 4 onces par l'Ordonnance du 1 Mai 1758, de maniere que la ration d'un foldat en route eft aujourd'hui de 28 onces, une pinte de vin du cru où il fe trouve, ou 2 pintes de cidre ou de bierre, & une livre de boeuf ou de mouton; mais le foldat en garnifon n'a qu'une demi - livre de viande. Ainfi le fantaffin confomme par an 25 boiffeaux de bled.

La ration d'un cavalier en route eft de 36 onces de pain par jour, qui font par an environ 33 boiffeaux de bled; trois chopines de vin, ou 3 pintes de cidre ou de bierre, & 2 livres de viande.

Les peuples de l'antiquité avoient une mesure particuliere qui contenoit la ration de bled néceffaire pour la fubfiftance journaliere d'une perfonne; cette mesure étoit la chénice: or 365 chénices Hébraïques ou Egyptiennes font 25 boiffeaux, 365 chénices Grecques 26 boiffeaux, & 365 chénices Romaines 26 boiffeaux; c'étoit-là en particulier la ration de bled pour la troupe chez les Anciens. Je ne fais fi le coros ou chomer des Hébreux n'étoit pas destiné à mesurer la ration annuelle de bled pour une perfonne, car il équivaloit à 25 boiffeaux de Paris.

C'étoit un ufage établi parmi les Romains de délivrer, chaque premier jour du mois, aux foldats & aux efclaves, ce qu'ils devoient confommer de bled durant le mois entier : Meminiftis quot

dis

calen

petere demenfum, dit Plaute. Ælius Donatus, qui vivoit à Rome en 354 de J. C., & qui compofa des Commentaires fur Térence & fur Virgile, nous apprend (in Phormiona) que ce demenfum, ou cette ration d'un mois, étoit de quatre modius: Servi quaternos modios accipiebant frumenti in menfem, & id demenfum dicebatur. C'eft par an 48 modius, qui valent plus de 37 boiffeaux de Paris. La ration de bled par mois pour les efclaves, étoit également de.cinq modios Attiques, ou, en argent, de cinq deniers de Néron

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