Images de page
PDF
ePub

en miel & en huile. Elle abonde en chevaux, en lins, en joncs. Les entrailles de la terre y font remplies de mines d'or, d'argent, de fer & de vermillon.

le

voit des

L'Espagne eft remplie de bois & de forêts d'arbres fruitiers d'une grandeur & d'une groffeur prodigieuses. La nature y a planté avec prodigalité le chêne, le châtaigner, l'yeuse, le noyer, noifetier, le cerifier, le prunier, le poirier, le pommier, le figuier, la vigne fauvage, & beaucoup d'autres. On y châtaigners qui ont jufqu'à quarante pieds de circonférence. Les pommes y font délicieuses; les olives, fur-tout celles de l'Andaloufie, font de la groffeur d'une noix au moins. Les oranges, les citrons, les coings, les grenades y foifonent. Tout le monde connoît les vins de Malaga, d'Alicante, de Rota, de Xerès, de Porto, &c.

Le mont Orofpeda abonde en mines d'argent, ainfi que les environs de la Ville d'Ilipa fur le Bétis, & de Sifapo, à présent Sirnéla, plus au nord, près des bords du Tage & du Guadalquibir. Dans la Galice, fouvent les laboureurs enlevent des blocs d'or avec leur charrue. Il y en a également des mines dans les Afturies. Mais la mine d'argent la plus abondante étoit fituée à deux tiers de lieue de Carthagene. Quarante mille hommes étoient employés à l'exploiter, & ils fourniffoient au peuple Romain la valeur de vingt-cinq mille deniers, ce qui revient à 18612 livres par jour, & par an à 6793562 liv. L'Afturie, la Galice & la Lufitanie rendoient auffi aux Romains 12500000 livres par an. Dans un endroit appellé Bebelo, qu'on croit avoir été fitué près de la Ville d'Ofca dans le pays des Ilergetes, il y avoit un puits commencé par Annibal, qui rendoit au propriétaire trois cents livres poids d'argent par jour, ce qui revient à 8212500 liv. par an. Enfin l'argent étoit fi commun en Espagne, qu'on en faifoit des ancres pour les navires, des tonneaux pour mettre les liqueurs, & des lambris dans les appartemens. Enforte que cette contrée autrefois fut pour les Carthaginois, & enfuite pour les Romains, ce qu'eft aujourd'hui l'Amérique pour les Efpagnols.

Il y a en Espagne des mines de fel, des pierres d'une bonne qualité & d'une grande beauté pour la conftruction des maisons ; il y a auffi des pierres à chaux, & d'autres dont on tire un ciment qui fert à donner une grande folidité aux murs des édifices. Là, les troupeaux de boeufs, de chevaux, de moutons sont

1

innombrables; les bois, les forêts, les prairies & les plaines retentiffent par-tout des meuglemens & des bêlemens de ces animaux. Les chevaux de ce pays font très-eftimés. Varron rapporte qu'on a vu en Lufitanie des porcs fi gras, qu'ils avoient plus d'un pied de lard.

Les forêts & les montagnes font remplies de daims, de cerfs, de fangliers, de lievres & de lapins; d'aigles, de hérons, d'éperviers, de faifans & de francolins.

Les mers procurent de grands poiffons, des baleines, des congres, des murenes, des thons, des lamproies & d'autres; des huîtres, & toutes fortes de poiffons à coquille. Les fleuves n'y font pas moins poiffonneux.

En faisant l'énumération des productions de l'Espagne, on fe perfuaderoit volontiers qu'on fait la description du Paradis terrestre, ou celle de ces champs fortunés où les Anciens avoient imaginé que les ames de leurs héros alloient pour jouir de la félicité, qui étoit le prix & la récompenfe de leurs vertus. En effet, c'étoit dans la Bétique, partie méridionale d'Espagne, & dont l'Andaloufie fait à préfent la meilleure partie, que les Mythologues & les Poëtes plaçoient leurs champs élyfées, parce que ce pays avoit la réputation autrefois, comme il l'a encore aujourd'hui, d'être le plus délicieux & le plus heureux du monde; prééminence qu'il tient autant de la fertilité de fon fol, que de la bonté & de la délicateffe de fes fruits. Regio eft, dit Mérula, parlant de l'Andaloufie, quæ infigni rerum omnium fertilitate luxuriat, cunctas univerfi terrarum orbis provincias eo nomine facilè fuperans. Ce Géographe moderne n'eft que l'écho des éloges que les Géographes de l'antiquité ont faits de la Bétique. On lit dans Pline (lib. III, c. I.): Barica à flumine eam mediam fecante cognominata, cuntas provincias diviti cultu, & quodam fertili ac peculiari nitore præcedit. Le même Auteur affure (lib. XVIII, c. X.) que les terres dans toute la Bétique rendoient cent pour un : Cùm centefimo quidem & Leontini Siciliæ campi fundunt, aliique & tota Batica & imprimis Ægyptus. Sur ce pied, il ne faudroit que 452381 arpens par an en culture de bled pour nourrir toute la population qui eft actuellement en Espagne & en Portugal, & qui fe monte à 9500000 ames: car un arpent qui produit cent pour un, peut fournir à la fubfiftance de vingt-une perfonnes, en fuppofant la femence de fix boiffeaux & demi par arpent. Auffi dit-on que l'Andalousie eft

[ocr errors]

le grenier, la cave, & l'écurie de l'Espagne.

Je lis dans le Lexicon historique, géographique & poëtique de Charles Etienne, que la Bétique est le tiers de l'Espagne; mais fur l'Orbis Romanus de M. d'Anville, la Bétique contiendroit feulement dix-neuf millions d'arpens: or l'Espagne entiere, conjointement avec le Portugal, comprendroit plus de cent treize millions d'arpens fur la même Carte; par conféquent la Bétique ne feroit guère que la fixieme partie de l'Espagne antique, c'est-àdire, de l'Espagne actuelle & du Portugal enfemble. Un pays d'une auffi petite étendue, s'il étoit encore auffi fertile que Pline dit l'avoir été autrefois, pourroit nourrir cent millions d'habitans, en ne mettant en culture de bled chaque année que 4750000 arpens, qui font le quart de la Bétique. Et fi les terres avoient été de cette qualité dans toute l'étendue de l'ancienne Espagne, la cinquieme partie de ses terres auroit procuré la fubfiftance à une population de 474600000 ames. Mais l'Espagne n'a jamais été par-tout également fertile en général ce pays eft rempli de montagnes, & très-aride en beaucoup d'endroits. Strabon (lib. III, c. 1.) dit que la Turdétanie & les bords du Bétis ou Guadalquibir font très-fertiles pour le froment, les vins, les huiles de la meilleure qualité, les laines, les mines d'or & d'argent. Ce canton fait partie de la Bétique, & nous l'y avons compris. La Lufitanie, aujourd'hui le Portugal & l'Eftremadure, étoit également très-fertile, mais elle étoit mal cultivée. Les Ifles Baléares produifoient une prodigieuse quantité de bleds. Mais ce Géographe obferve que la partie feptentrionale de l'Espagne eft féche, montueufe & maigre. La Biscaye, par exemple, la Galice, la Navarre, l'Aragon, la Caftille vieille, la Province de Murcie, celle de Valence, celle d'entre le Douero & le Minho, celle de Tralos-montes, le Béira & l'Algarve, ne jouiffent pas de la réputation de produire beaucoup de bleds; mais les Afturies en produifent l'Eftremadure tant Efpagnole que Portugaife eft très-fertile. On en peut dire autant de la Caftille nouvelle, mais fur-tout du Royaume de Léon, de celui de Grenade, de la Catalogne de Mayorque & d'Ivice, & de l'Alentejo, qu'on appelle le grenier du Portugal.

Mérula (part. 11, lib. II, c. III. Cofmograph.) dit que la plupart des terres en Espagne rendent trente pour un, & fouvent même jusqu'à quarante, principalement dans l'Andaloufie : Incre

dibilis per omnem Hifpaniam frugum ubertas; & plerique agri tantæ funt liberalitatis, ut pro accepto uno tritici modio triginta plurimum colonis reddant; fæpè etiam quadraginta, in Baticâ præfertim. Le terroir du Royaume de Murcie eft très-fec, il y pleut rarement, & le bled, dit-on, y vient en petite quantité; cependant ceux qui ont dreffé le Profpectus de la Loterie concernant le Canal d'arrosement, qu'on a répandu dans toute l'Europe, ont eftimé que les terres rendroient trente-fix pour un fi cela eft vrai, les Efpagnols font bien blâmables de ne pas profiter de la bonté de leurs terres; d'aller affervir les peuples à l'autre extrêmité de la terre pour en obtenir des richeffes qu'ils ont dans leur propre pays. La culture des terres eft, dit-on, fi miférable chez ce peuple, que la terre ne rend pas fuffifamment pour faire fubfifter sept millions cinq cents mille individus, qui font toute la population de l'Espagne. Ils font obligés d'échanger contre les bleds de la France & de la Barbarie le produit de leurs mines du Pérou ; & c'est ainsi qu'ils enrichiffent leurs voifins, fans que leur état en foit plus heureux. Ce n'eft peut-être pas que la France & les autres Etats trouvent un grand avantage dans l'échange de leurs bleds contre l'or & l'argent de l'Amérique, parce que c'eft réellement échanger des sujets contre des métaux; mais telle est l'opinion que la plupart des hommes fe font de la puiffance & de la ri

cheffe.

Pofidonius, au rapport de Strabon (lib. XVII, p. 571.), dit qu'il y a des contrées en Afrique où la terre produit deux fois & où l'on fait deux moissons, l'une au printemps, & l'autre l'été. Le chaume y eft de la longueur de cinq coudées, & de la grof feur du petit doigt; la femence rend cent quarante pour un. Les habitans ne répandent point de femence au printemps; mais après avoir arraché les mauvaises herbes, ils laiffent la feconde récolte fe réproduire des grains qui font tombés des épis en faisant la

premiere.

Varron dit que dans les campagnes de la Province d'Afrique, c'eft-à-dire, dans le territoire de Carthage, aujourd'hui le Royaume de Tunis, les terres rendoient cent pour un. Un arpent de terre, à ce compte, auroit rendu un produit net d'environ cinquantedeux fetiers de bled, & auroit fuffi pour la fubfiftance de plus de vingt perfonnes. On ne doit pas s'étonner après cela que, dans de la derniere guerre Punique, la Ville de Carthage fût

le

temps

peuplée de fept cents mille habitans, comme on l'apprend de Strabon (p. 573.), & qu'elle eût dans fa dépendance trois cents autres Villes dans l'Afrique.

Pline (lib. XVIII, c. X.) enchérit encore fur cette admirable fertilité des terres de l'Afrique. Il n'y a point, dit-il, de semence qui fe multiplie comme le froment. La nature, qui l'a destiné à faire la principale nourriture de l'homme, a pris foin de le douer d'une merveilleufe fécondité; & cette fécondité eft telle, que fi la femence en eft confiée à un fol qui lui convienne parfaitement, comme celui des plaines de Byzacium en Afrique, il rend jusqu'à cent cinquante modius pour un. Le Gouverneur qu'Augufte avoit donné à cette contrée, envoya à ce Prince, comme une curiofité & un prodige de la nature, le produit d'un feul grain de bled, dont étoient forties environ quatre cents tiges de chaume & autant d'épis. On envoya auffi à Néron un pied de bled de ce pays, dont les rameaux s'étoient multipliés au nombre de trois cents quarante. En ne fuppofant que trente grains dans chaque épi, il s'enfuivra qu'un grain de bled peut produire jusqu'à douze mille grains.

Pline dit encore des chofes plus étonnantes, mais moins croya bles, du territoire de Tacapé, Ville du même canton. Il y a, ditil, une Ville d'Afrique, fituée fur la route de Leptis, au milieu des fables de la petite Syrte, mais dans un terroir heureux, dont l'étendue eft d'environ trois mille pas en tout fens. Les terres de cette Ville, qui s'appelle la grande Tacapé, font arrofées d'une fource abondante, mais dont les eaux font partagées entre les habitans, qui en jouiffent chacun à leur tour durant un certain temps de la journée. Là, on plante de grands palmiers, fous les palmiers des oliviers, fous les oliviers des figuiers, fous les figuiers des grenadiers, fous les grenadiers des vignes, fous les vignes on feme du froment, enfuite des légumes, puis des herbes potageres, le tout dans la même année, & toutes ces chofes réuffiffent à l'ombre les unes des autres. Quatre coudées en quarré de ce terrein fe vendent quatre deniers; & il faut obferver que ces coudées ne font point de celles qui fe mesurent jufqu'au bout des doigts, mais de celles qui fe mefurent du coude au bout de la main fermée. Il eft encore remarquable que la vigne y produit deux fois, & que l'on en fait la vendange deux fois l'année ; enforte que fi par cette multiplicité de productions on ne déchargeoit pas cette terre de sa trop

« PrécédentContinuer »