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plus riches, des plus peuplés du monde actuel, & ce n'eft point une defcription que nous avons prétendu en faire ici, ce n'en feroit pas la plus foible esquisse. Îl faudroit plusieurs volumes entiers pour en contenir le détail, & nous avons d'excellens ouvrages fur cette matiere dans lesquels on peut s'inftruire amplement. Notre intention n'a été que de rapporter ce que les Anciens, dont les ouvrages nous font parvenus, ont dit de ce pays, qui nous eft cher , parce que c'eft celui que nous habitons, mais qui leur étoit peu connu, comme il paroît par ce que nous avons vu. Nous croyons devoir terminer ce Chapitre par quelques obfervations fur l'agriculture, dans le deffein de la perfectionner.

Quoique nous ayons des Ecrivains modernes qui affurent qu'il y a en France une certaine quantité d'arpens de terre en grande culture, qui pourroient rendre chacun dix fetiers, ce qui feroit quinze pour un de femence; peut-être ne doit-on gueres porter la grande fécondité de nos terres les meilleures, à plus de fix fetiers, c'est-à-dire, à neuf pour un de femence; & à quatre fetiers ou fix pour un de femence, celle de nos bonnes terres communes, audeffous defquelles il y en a une grande quantité de qualité inférieure ou mal cultivée, qui fouvent ne rapportent pas plus de deux fetiers & demi ou trois fetiers, c'eft-à-dire, quatre pour un, peu plus ou moins. M. le Maréchal de Vauban, qui a toujours passé pour avoir apporté autant de fageffe dans fes recherches, que de vérité dans fes calculs, voulant déterminer le produit moyen des terres de la France, choifit, dans fon projet d'une dîme Royale (pag. 46, 47 & 48), la Province de Normandie, dans laquelle il y a des fonds de qualité différente, de bons, de médiocres & de mauvais. Il définit enfuite les mesures qui y font en usage: l'acre y eft compofé de 160 perches quarrées, & la perche eft de vingtdeux pieds, mais le pied varie; la mesure du pied la plus commune, dit-il, & qu'on a fuivie, eft de onze pouces du pied de Roi. Après cela il ajoute : « On a examiné ce que pouvoit rendre » l'acre, année commune, de dix une dans toute la Province, le » fort portant le foible. Et quoique des perfonnes très-expérimen»tées aient foutenu qu'il y avoit beaucoup plus de terres qui ren» doient au deffus de 150 gerbes à l'acre, qu'il n'y en avoit qui » rendoient au-deffous de cent, & qu'ainfi la proportion géomé» trique auroit été de mettre l'acre à 120 gerbes une année por

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» tant l'autre ; cependant comme ce fait a été contesté par d'autres » personnes auffi fort intelligentes, qui ont tenu, que la jufte pro» portion feroit de ne mettre les terres qu'à 90 gerbes par acre, » à caufe de la mauvaise culture où elles font pour la plupart, » on s'est réduit à cet avis; parce que dans un fyftême femblable » à celui-ci, on ne doit rien avancer qui ne foit communément » reçu pour véritable. Après quoi il a fallu examiner ce qu'il fal»loit de ces gerbes ordinaires pour faire un boiffeau de bled, >> année commune. Mais comme le boiffeau eft une mesure fort » inégale en Normandie, on l'a réduit au poid, qui est égal par » toute la Province, & on a trouvé, d'un confentement una»nime, que cinq gerbes, année commune de dix une, feroient >> au moins un boiffeau, pefant cinquante livres. Mais parce que » les terres ne fe chargent pas toutes les années, & qu'en plu» fieurs cantons de la Province, elles ne portent du bled que de » trois années l'une, on a jugé que dans cette fupputation de la » dime Royale, on ne devoit compter que deux années de trois, parce que la dîme des menus grains de la feconde année »jointe à la verte des trois années mifes enfemble, & à celle » des légumes, peuvent valoir l'année de bled, &c. ». Suivant ces obfervations, les 150 gerbes feroient à raifon de 55 boiffeaux & trois quarts de Paris, de bled par arpent Royal; les 120 gerbes feroient 44 boiffeaux par arpent, & les 90 gerbes environ 33 boiffeaux & demi. L'Auteur ajoute encore, qu'il eft vrai qu'il y a quantité de bois en Normandie, & que ce feroit se tromper, que d'en mettre l'acre fur le pied des terres labourables; mais que comme il y a une grande quantité de prairies & de pâtures, qui rendent bien plus que les terres labourables, l'un peut compenfer l'autre. Les meilleures terres ne rendoient donc en Normandie que peu plus de fix pour un, les moyennes ou médiocres que cinq, & la plus grande partie que quatre. Doublant les produits ci-deffus, puis divifant par 3, fuivant le principe de M. de Vauban, vous trouverez que le produit d'un arpent de par terre en Normandie eft annuellement en bled, foit en menus grains, foit en légumes, de la valeur de 37 boiffeaux de bled, pour les meilleurs terres, de 29 pour les médiocres, & de 22 communément; défalquant la dîme, puis la femence, le refte fera peu de chose. Ordinairement un arpent de terre ne vaudroit pas chaque année plus d'un fetier de bled, faisant 20 ou 24 livres

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en monnoie; & je ne fais fi un arpent de bois ne rend pas davantage; car une coupe de fept arpens de bois taillis produit bien jufqu'à cinq mille bourrées, & deux mille deux cents fagots: les bourrées fe vendent sept livres le cent, & les fagots trente livres; le montant des fept arpens iroit à 1010 livres; divifant par 35, à caufe que cette coupe ne fe fait que tous les cinq ans, vous aurez 29 livres environ pour le rapport annuel d'un arpent de bois taillis. Mais un arpent de pré fera ordinairement d'un revenu incomparable aux précédens, 400 bottes de foin à la premiere coupe, 200 bottes de regain, font 600 bottes, qui peuvent fe vendre 25 livres le cent, & produire 150 livres par an, fans frais de culture, & fans déduction quelconque.

Delà il fuit que fuppofer les récoltes de nos terres les unes dans les autres, à quatre fetiers de bled par arpent, c'est trop fuppofer, au moins dans notre culture actuelle; car nous avons vu que les terres de la premiere qualité rapportoient rarement cinq fetiers de bled, très-rarement fix, & ces excellentes terres font en petite quantité; que les bonnes terres ne rapportent pas plus de quatre fetiers, & que celles qui font de médiocre qualité, lefquelles font en bien plus grand nombre, ne produisent gueres audelà de trente boiffeaux, faifant fix cents livres de bled. Čependant nous laiffons fubfifter cette hypothefe, que nos terres, les unes dans les autres, rapportent quatre fetiers de bled par récolte; ce fera-là le taux général fur lequel on pourra évaluer le produit de la totalité des terres du royaume, en les portant au plus haut, & en fuppofant qu'elles foient toutes cultivées en bled.

Il y a en France deux fortes de cultures qui y font en usage, 'dit M. Quefnay le fils, dans un favant Mémoire fur cette matiere Voyez le Dictionnaire Encyclopédique au mot Grain), la grande culture, ou celle qui fe fait avec des chevaux, & la petite culture, ou celle qui fe fait avec des boeufs. La grande culture est actuellement bornée à environ fix millions d'arpens de terres, qui comprennent principalement les Provinces de la Normandie, de la Beauce, de l'Ifle de France, de la Picardie, de la Flandre Françoife, du Hainaut, & peu d'autres. Un arpent de bonne terre, bien traité bien traité par la grande culture, peut produire huit fetiers & davantage, mesure de Paris, qui eft de deux cents quarante livres pefant; mais toutes les terres traitées par cette culture ne font pas également fertiles; car cette culture eft plutôt pratiquée par un refte

d'ufage confervé dans certaines provinces, qu'à raifon de la qualité des terres. D'ailleurs une grande partie de ces terres eft tenue par de pauvres fermiers, hors d'état de les bien cultiver : c'eft pourquoi nous n'avons évalué du fort au foible le produit de chaque arpent de terre, qu'à cinq fetiers, femence & dime prélevées. Nous fixons l'arpent à cent perches, & la perche à vingt-deux pieds.

Les fix millions d'arpens de terre, traités par cette culture, entretient tous les ans une fole de deux millions d'arpens enfemencés en bled; une fole de deux millions d'arpens ensemencés en aveine & autres grains de Mars; & une fole de deux millions d'arpens qui font en jacheres, & que l'on prépare à apporter du bled l'année fuivante.

Comme l'Auteur dit que la dîme eft ordinairement le treizieme en dedans, ou le douzieme en dehors de toute la récolte, il en réfulte, en faifant rentrer la femence & ce douzieme, qu'un arpent de terre de cette qualité, & traité de la maniere qu'il indique, produit foixante-quatorze boiffeaux, & plus, de bled; c'est au-delà de fix fetiers pour la totalité de la récolte.

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A l'égard de la petite culture, nous obfervons, dit M. Quefnay, que dans les provinces où l'on manque de laboureurs affez riches cultiver les terres avec des chevaux, les propriétaires ou les fermiers qui font valoir les terres, font obligés de les faire cultiver par des métayers, auxquelles ils fourniffent des bœufs. les labourer. Les frais qu'exige cette culture ne font pas pour moins confidérables que ceux de la culture qui fe fait avec les chevaux ; mais au défaut de l'argent, qui manque dans ces provinces, c'est la terre elle-même qui fubvient aux frais. On laiffe des terres en friche pour la pâture des boeufs de labour, on les nourrit pendant l'hiver avec les foins que produifent les prairies, & au lieu de payer des gages à ceux qui labourent, on leur cede la moitié du produit que fournit la récolte.

Ainfi, excepté l'achat des boeufs, c'eft la terre elle-même qui avance tous les frais de la culture, mais d'une maniere fort onéreuse au propriétaire, & encore plus à l'Etat; car les terres qui réftent incultes pour le pâturage des boeufs, privent le propriétaire & l'Etat du produit que l'on en tireroit par la culture. Les boeufs, difperfés dans ces pâturages, ne fourniffent point de fumier. Les propriétaires confient peu de troupeaux à ces métayers,

chargés de la culture de la terre, ce qui diminue extrêmement le produit des laines en France. Mais ce défaut de troupeaux prive les terres de fumier; & faute d'engrais, elles ne produisent que de petites récoltes, qui ne font évaluées, dans les bonnes années, qu'au grain cinq, c'est-à-dire, au quintuple de la femence; on a environ trois fetiers par arpent, ce qu'on regarde comme un bon produit. Auffi les terres abandonnées à cette culture ingrate, fontelles peu recherchées. Un arpent de terre qui fe vend trente ou quarante livres dans ces pays-là, vaudroit deux ou trois cents livres, dans des provinces bien cultivées. Ces terres produisent à peine l'intérêt du prix de leur acquifition, fur-tout aux propriétaires abfens. Si on déduit des revenus d'une terre afsujettie à cette petite culture, ce que produiroient les biens occupés pour la nourriture des boeufs; fi on retranche les intérêts, au denier dix, des avances pour l'achat des boeufs de labour, qui diminuent de valeur après un nombre d'années de fervice, on voit qu'effectivement le propre revenu des terres cultivées est au plus, du fort au foible, de vingt ou trente fous par arpent. Ainfi malgré la confufion des produits, & les dépenfes de cette forte de. culture, le bas prix de l'acquifition de ces terres s'eft établi sur des estimations exactes, vérifiées par l'intérêt des acquéreurs & des vendeurs.

Voici l'état d'une terre qui, felon le même Auteur, produit année commune, pour la part du propriétaire, environ trois mille livres en bled, femence prélevée, prefque tout en froment. Les terres font bonnes & portent environ le grain cinq. Il y en a quatre cents arpens en culture, dont deux cents arpens forment la fole de la récolte de chaque année; & cette récolte eft partagée par moitié, entre les métayers & le propriétaire. Ces terres font cultivées par dix charrues, tirées chacune par quatre gros bœufs; les quarante boeufs valent environ huit mille livres, dont l'intérêt au denier dix, à caufe des rifques & de la perte fur la vente de ces bœufs, quand ils font vieux & maigres, eft huit cents livres. Les prés produifent cent trente charrois de foin, qui font confommés par les boeufs. De plus il y a cent arpens de friches pour leur pâturage; ainfi il faut rapporter le produit de trois mille livres en bled, pour la part du propriétaire.

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