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encore autant pour lui. Ne feroit-on pas plus heureux & plus riche, fi l'on abandonnoit les Villes pour faire valoir ses terres à la campagne ?

Si la culture des prairies artificielles étoit généralement pratiquée dans toute l'étendue de la France, il n'y auroit pas de Royaume plus riche & plus heureux. Nous traversons à grands frais, & non fans danger, la vaste étendue des mers, pour aller chercher à l'autre extrêmité du globe des matieres de luxe, qui, loin de procurer à la Nation une véritable richeffe, ne fervent qu'à la dépeupler. Le bonheur d'un Etat fe réalisera lorfque les citoyens seront bien convaincus de cette vérité, que les richeffes par effence, celles qui feules peuvent rendre un peuple floriffant, & augmenter fa population, font les fruits que la terre natale produit. Les prairies artificielles, pratiquées avec intelligence, produisent des fourrages en abondance. Avec ces fourrages, on multiplie les beftiaux prefque autant que l'on veut; le lait, le beurre, le fromage, les laines, font une partie de leur produit: mais il en réfulte un avantage plus confidérable encore, les terres couvertes d'engrais le font enfuite d'une riche moiffon. Voilà les biens qui doivent découler de l'abondance des pâturages.

Cette fource de richeffes paroît été mieux connue des Anciens que de nous. Quelqu'un ayant demandé à Caton quelle étoit la partie de l'agriculture la plus propre à enrichir promptement celui qui l'exerçoit, il lui répondit que c'étoit la nourriture des beftiaux bien entendue, fi benè pafceret. Interrogé enfuite fur ce qu'il y avoit à faire après cela pour amaffer un bien honnête, il dit que c'étoit la nourriture des beftiaux médiocrement bien entendue, fi mediocriter pafceret. Enfin interrogé pour la troisieme fois fur ce qu'il y avoit de mieux à faire après cela, il n'hésita pas de répondre que c'étoit la nourriture des beftiaux même mal exercée, fi quis vel malè pafceret. Caton avoit raison, même dans fa troifieme réponse, qui paroît un paradoxe; car fans engrais point de récoltes, & fans beftiaux point d'engrais d'où il fuit qu'il eft en quelque forte impoffible d'obtenir des fruits de la terre fi l'on entreprend de la cultiver fans beftiaux. Par conféquent, les beftiaux, outre qu'ils font par eux-mêmes la moitié de nos biens réels, font d'ailleurs le fondement folide & la fource de tout ce qui doit fuppléer à nos autres befoins.

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La culture de cinquante millions d'arpens en bled, menus grains

& beftiaux, occuperoit feule douze millions cinq cents mille ames, à huit laboureurs, leurs femmes & leurs enfans, montant à trentedeux perfonnes par ferme de cent vingt-huit arpens. Cette culture produiroit 66,666,666 setiers de bled, femence prélevée; ce seroit la fubfiftance de 33,333,333 ames, population plus grande d'un tiers au moins que celle qui eft aujourd'hui en France; cependant cinquante millions d'arpens ne font que la moitié des terres du Royaume; & dans le calcul précédent nous n'avons point compris les menus grains, dont une partie peut encore fervir à la nourriture de l'homme.

Après la culture des grains & la nourriture des beftiaux, la partie la plus intéreffante de l'agriculture font les vignobles, les lins & les chanvres. Mais la culture du lin & du chanvre peut être confondue avec celle des menus grains, dont elle fait partie. Difons donc un mot des vignobles, toujours d'après les Anciens: car ce font eux principalement que j'ai pris pour guides dans cet Ouvrage.

On a vu, dit Pline (lib. XIV, c. IV.), des vignes produire par jugere jufqu'à dix culléus de vin; ce feroit 40 muids par arpent; d'autres ont produit fept culléus par jugere; c'est 28 muids par arpent. Selon Caton & Varron cités par Columelle (lib. III, c. III.), un jugere de vigne produifoit, dans les anciens temps, jufqu'à fix cents urnes de vin, qui feroient 60 muids par arpent; Columelle ajoute qu'on en a vu des exemples tant en Italie que dans la Gaule. Dans les vignobles de Séneque, fitués près de la Ville de Rome, un jugere, au rapport du même Ecrivain, rendoit huit culléus, faifant environ 32 muids par arpent. Le même. Auteur dit encore qu'une vigne qu'il avoit plantée lui-même, lui rapporta, la feconde année depuis la plantation, cent amphores de vin par jugere; c'est environ 20 muids L'on par arpent. au moins compter fur vingt amphores ou un culléus par jugere, ajoute Columelle; c'eft environ 4 muids par arpent. Mais il confeille d'arracher la vigne qui produit moins de trois culléus par jugere, c'eft-à-dire, 11 muids & plus par arpent.

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Dans la culture actuelle des vignes en France, un arpent rapporte communément, dit-on dans la Maifon Ruftique, dix ou douze muids de vin au moins par année, l'une portant l'autre : ce qui revient affez précisément au dernier calcul de Columelle. Selon Columelle, au même endroit, un feul vigneron fuffit

pour cultiver fept jugeres de vigne, c'eft-à-dire, trois arpens & demi de France, & la culture dont parle l'Auteur se faifoit, comme elle fe fait aujourd'hui parmi nous, avec des échalas. Comptons donc trois arpens & demi pour le terrein qu'un vigneron peut travailler feul; fuppofons auffi que l'arpent de vigne rende dix muids de vin, année commune; trois millions d'arpens de vigne rendroient donc par an trente millions de muids de vin, produit qui répond à la population de trente millions d'habitans, en attribuant un muid à chaque perfonne : fur ce pied, il ne faudroit que 857143. vignerons. J'accorde que les femmes faffent la moitié de cet ouvrage, & je les comprends dans ce nombre: mais fi on ajoute les enfans, on trouvera 1714286 individus confacrés à la culture des vignes. Ce nombre d'habitans, joint à celui des cultivateurs des grains, montre une population de plus de quatorze millions d'individus néceffaires pour bien faire valoir cinquante-trois millions d'arpens cultivés, foit en grains, foit en vignobles. Mais par des obfervations foigneufement combinées, on a trouvé que de tous les habitans d'un pays, un quart demeure à l'ordinaire dans les Villes, & trois quarts feulement dans les Villages. Comptant donc vingt-deux millions d'habitans en France ( quelques perfonnes y en comptent moins), il s'enfuivra que la France dans fes campa gnes ne poffede que feize.millions cinq cents mille ames, ce qui n'excede que de 2500000 le nombre que nous avons vu être néceffaire pour travailler cinquante-trois millions d'arpens encore n'avons-nous pas féparé des habitans de la campagne, la Noblesse qui s'y trouve, les Eccléfiaftiques, les Gens d'affaires, les Employés à la perception des impôts, les mendians, les infirmes, &c., qui tous font en grand nombre ; & cependant il refte encore près de la moitié des terres du Royaume à mettre en culture. M. Arbuthnot, dans fon Traité fur l'utilité des grandes Fermes, (chap. II, fet. IV.) compte fur une étendue de terrein de huit cents acres, cent quarante-deux perfonnes, hommes, femmes & enfans, néceffaires pour le mettre en culture: fur ce pied, il fau droit plus de vingt-trois millions d'ames employées à faire valoir toutes les terres de la France.

CHAPITRE

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CHAPITRE XIII.

Introduction aux monnoies de France.

Our fabriquer des monnoies, il falloit une matiere folide; rare, précieuse, fufceptible de recevoir une forme commode, & des fignes qui ferviffent à les caractériser; & les métaux ont été feuls généralement reconnus pour avoir ces qualités.

Les fubftances appellées métaux font des corps pefans, plus ou moins durs, éclatans, opaques, fufibles au feu où ils prennent une furface convexe, mais qui reprennent enfuite leur folidité hors de l'élément qui les avoit mis en fufion, qui font ductiles & malléables en des degrés différens.

Ces corps ne fe trouvent pas toujours purs dans la nature; ils font le plus fouvent combinés avec du foufre ou de l'arfenic, ou avec l'un & l'autre en même temps, & unis à de la terre ou à des pierres. C'est à cet affemblage de métal, de foufre ou d'arfé nic, & de terre ou de pierre, qu'on donne le nom de minéral ou de mine.

On compte ordinairement fix métaux, l'or, l'argent, le cuivre, le fer, l'étain & le plomb. Quelques Auteurs en comptent un feptieme; c'est la platine, appellée auffi or blanc à caufe de fa couleur, & qu'on nous a apportée depuis peu des Colonies Efpagnoles de l'Amérique. Mais celle qu'on a vue dans ce pays-ci, eft en petits grains lenticulaires, & de figure triangulaire. Elle n'eft ni fufible ni malléable lorsqu'elle eft pure; enfin ce n'eft qu'un demi-métal comme le mercure, l'arfénic, l'antimoine, l'étain de glace ou bismuth, le zinc & le cobalt.

On divife les métaux en deux ordres particuliers, en métaux parfaits & en métaux imparfaits. Les métaux parfaits font ceux qui n'éprouvent aucune altération de la part du feu, qui, après les avoir fait entrer en fufion ne peut les calciner ou les changer en chaux, ni en volatiliser aucune partie. Ils ne craignent ni l'action de l'air ni celle de l'eau, qui ne produifent fur eux aucun dérangement, ni aucune diffipation de matiere. On ne connoît

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que deux métaux parfaits, favoir l'or & l'argent. Les métaux imparfaits au contraire font ceux à qui l'action du feu fait perdre leur éclat & leur forme métallique, & dont à la fin il vient à bout de détruire, de décompofer & même de diffiper une grande partie de cette claffe font le cuivre, le fer, l'étain & le plomb. L'air & l'eau altérent ces fortes de métaux & en décompofent le tiffu. Pour fimplifier les chofes, on peut dire que les métaux parfaits font ceux à qui l'action du feu ne fait point perdre leur phlogiftique, ou la partie inflammable qui leur eft néceffaire pour pa roître fous la forme métallique qui leur eft propre; au lieu que les métaux imparfaits font ceux que le feu prive de cette fubf tance. Il eft à propos d'examiner chacun de ces métaux en parti culier, ce que nous ferons fuivant l'ordre de leur pefanteur fpécifique, commençant néanmoins par les deux métaux parfaits.

L'or, qu'on appelle à jufte titre le roi des métaux, eft auffi le plus ductile, le plus malléable, le plus pefant, & celui qui a le plus de fixité au feu. Il eft mou, peu fónore, entre en fufion dès qu'il a été rougi; il ne fe diffout que dans l'eau régale ; le plomb ne le vitrifie point, & il réfifte à l'antimoine, qui volatilife tous les autres métaux. Plus la pureté de ce métal eft parfaite, moins il a de dureté, & ne peut être employé en certains ouvrages; voilà pourquoi on lui joint un alliage de cuivre ou d'argent pour lui procurer plus de fermeté & de confiftance. L'or est toujours pur dans la nature, c'eft-à-dire, qu'on ne le trouve jamais minéralifé avec le foufre ni avec l'arfénic; il eft tantôt dans une pierre, tantôt dans une terre, le plus fouvent dans le fable des rivieres, dont on le retire par le lavage: il eft alors fous la forme d'une poudre, de petits grains ou de paillettes. Suivant les expériences de M. de Réaumur, une once d'or peut s'étendre fous le marteau à une furface de 146 pieds quarrés; & en longueur cette même once d'or peut s'étendre par la filiere jufqu'à 96960 toifes, qui valent 48 lieues Parifiennes & ;;, ou environ 34 lieues d'une heure: enforte que 212 onces ou 26 marcs d'or peuvent fournir la matiere à un fil d'or plus que fuffifant pour embraffer la circonférence entiere de la terre. Enfin fa ductilité eft telle, que le Tireur d'or l'étend jusqu'à 651590 fois plus que fon volume, & fa malléabilité fi grande, que le Batteur d'or l'étend aussi sous le marteau jufqu'à 159092 fois fon volume; enforte qu'avec une once d'or il forme 1600 feuilles, chacune de 36 lignes en

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