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» l'antiquité la plus intéreffante, celle qui regarde l'économique, >> tout, en un mot, deviendra une énigme pour nous, fi nous o ignorons la proportion de leurs mefures avec les nôtres. Les >> mesures creufes ou celles des fluides font liées avec les mesures » longues; la connoiffance des poids est liée de même avec celle >> des mesures creufes ou de capacité; & fi l'on ne rapporte le >> poids de leurs monnoies à celui des nôtres, il ne fera pas pof» fible de fe former une idée un peu exacte des mœurs des An» ciens, ni de comparer leur richeffe avec la nôtre. On conçoit » donc que fans la connoiffance des mefures des Anciens, nous » n'aurons jamais que des notions très-imparfaites de la plus im» portante partie de l'antiquité ».

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Si la multiplicité des Ouvrages qui ont été compofés fur cette matiere, étoit une preuve de fon importance, l'on peut dire qu'il y a peu de fciences qui puffent en produire en plus grand nombre. Galien, qui exerçoit la Médecine fous l'empire de Trajan, avoit déja rencontré des difficultés dans l'évaluation des mefures. Fannius & Priscien ont traité des mefures Grecques & Romaines mais fi leurs Ouvrages nous font utiles, on s'expoferoit néanmoins à l'erreur en les fuivant à la lettre. Budée, parmi les Ecrivains modernes, a été le premier qui a fait renaître cette étude : convaincu que la connoiffance des mesures eft néceffaire pour l'intelligence de l'antiquité, il compofa un Ouvrage fur cette matiere, qu'il publia en 1513, fous le titre modefte de Affe. Cet effai a été fuivi d'une foule d'Ecrits, dans lefquels chacun avançoit & foutenoit des opinions différentes, moins cependant fur les rapports des mesures anciennes entre elles, que fur celui qu'elles doivent avoir avec les mefures modernes. Il reftoit peu de monumens de l'antiquité dont on fût fatisfait pour faire cette réduction. Il fe trouvoit beaucoup d'autorités oppofées en apparence, & qui jettoient dans le plus grand embarras.

Pour reftituer aux mefures de l'antiquité leur jufte proportion avec les mesures modernes, les Savans qui ont cherché à faire cette comparaison, auroient défiré, fans doute, que les Anciens euffent érigé un étalon artificiel, authentique & inaltérable par fa nature, tel qu'un rocher monolithe fort dur & fort haut, ou fort large, dont ils auroient difpofé une face à recevoir en grand, par des traits imprimés dans la pierre, le prototype commun des mefures pour les y rapporter toutes. La diftance moyenne de deux

montagnes, exactement mefurée, auroit également pu remplir cet objet. Mais un moyen plus für encore de tranfmettre à la poftérité les mesures dans leur intégrité, étoit d'en prendre l'étalon dans la nature même. On auroit pu les faire dépendre toutes du pied horaire, c'est-à-dire, de la longueur du pendule qui bat les fecondes de temps. Tous les hommes étant convenus de compter trois cens foixante-cinq jours & un quart dans une année vingt-quatre heures dans un jour, foixante minutes dans une heure, & foixante fecondes dans une minute, il auroit été facile en tout temps de vérifier fi les mefures établies & réglées fur la longueur du pendule qui bat les fecondes, auroient été altérées, & de cette maniere l'étalon ne s'en feroit plus perdu. Ce prototype admis une fois, il ne reftoit qu'à en dériver un fyftême de mefures le mieux combiné & le plus commode poffible à tous égards dans la pratique & l'usage. La division décennaire, fuivie par les Chinois, & fi convenable à l'ordre naturel de notre numération, a fes avantages pour le calcul, & pouvoit être la bafe de ce fyftême. Au lieu de prendre la longueur entiere du pendule qui bat les fecondes, on auroit pu préférer celle qui bat les demifecondes, laquelle, à caufe que les longueurs des pendules font entre elles comme les quarrés des temps que durent les oscillations, n'eft que le quart de la précédente, & fait cent vingt vibrations dans une heure; on auroit pu la préférer, dis-je, parce qu'elle eft la mesure jufte du pied naturel d'un homme de moyenne ftature, c'eft-à-dire, d'un peu plus de neuf pouces du pied de Roi, tel qu'étoit à peu près le pied Pythique, en usage autrefois chez les peuples de la Macédoine, de la Thrace, de la Theffalie, de la Phocide, & de Marfeille où il exifte encore.

Mais ne nous plaignons point de la négligence des Anciens à nous faire paffer l'étalon de leurs mefures; ils nous l'ont confervé, en premier lieu, fur un monument auffi durable & auffi inaltérable que la roche monolithe dont on a parlé : ce monument est la grande pyramide d'Egypte ; &, en fecond lieu, fur un module pris dans la nature, auffi ingénieux & auffi exact que la mesure du pendule, c'eft celle d'un degré du méridien. Ces deux moyens de rétablir les mesures de l'antiquité, lefquels donnent précisément les mêmes résultats, feront la bafe fondamentale de nos calculs métriques, deforte que nous ofons nous flatter qu'il ne reftera aucune incertitude fur la reftitution complette des anciennes mefures.

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Les mesures, & fous ce nom il faut comprendre les poids & les monnoies; les mefures, dis-je, font confacrées par la Religion par les Loix. Leur parfaite égalité eft un précepte divin: Statera jufia & æqua fint pondera, juftus modius æquufque fextarius: Ego Dominus Deus vefter. (Lévit. XIX. 26.) Introduire des mutations momentanées dans les mefures, les poids & les monnoies, c'est ouvrir un vafte champ à la fraude & à l'injuftice. La France, dans les fiecles paffés, n'a que trop éprouvé les funeftes effets de femblables changemens. Les mefures devroient être d'une grandeur immuable à jamais, non-feulement dans tout un Etat, mais dans le monde entier; car elles font la regle de la justice qui ne doit point varier, & la fauve-garde de la propriété qui doit être facrée.

C'est d'après un principe de Légiflation fi fage & fi nécessaire, que dans les Etats bien policés, les Magiftrats ont veillé à ce que dans leurs principales Villes il y eût toujours un archetype ou prototype, c'est-à-dire, un premier modele ou original des mefures. Ils le confioient dans un temple ou autre lieu de marque, à la garde d'un Officier public qui étoit obligé d'en exhiber la confrontation, lorfqu'il en étoit requis par les particuliers qui défiroient régler ou justifier leurs mefures qui n'en étoient que des copies. L'original des mefures s'appelloit Scahac chez les Hébreux, qui imprimoient une lettre ou autre caractere fur les mesures particulieres qui avoient été soumises à fa confrontation. Cette mesure particuliere & marchande, ainfi confrontée & approuvée, prenoit dès-lors le nom de Meffurah Haddın, Menfura Judicis. Chez les Grecs, l'original des mefures s'exprimoit en leur langue par les mots archetype, prototype, Metrètès & μeтpav тpó@os; chez les Romains il confervoit le nom de mesure par excellence, menfura parce que toutes les autres mefures devoient lui être conformes. Nous défignons en France la mesure fiducielle qui fert de modele ou d'original, par le mot Matrice, qui fignifie mefure mere, ou par le mot Etalon ou Eftalon, qui vient du faxon Stalone, & n'a pas d'autre acception primordiale que celle du mot mefure, comme chez les Romains. A Paris, les mefures particulieres & marchandes confrontées à la mesure originale ou à l'étalon, s'appellent mesures étalonnées ou eftampillées, & elles doivent être marquées aux armes du Roi & de la Ville.

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Les étalons des mefures ont toujours été gardés avec une vigi

lance attentive. Les Hébreux les dépofoient dans leur temple, d'où viennent ces mots fi fréquens dans l'Ecriture: mefure du Janctuaire, poids du fanctuaire. Les Athéniens établirent une Compagnie de quinze Officiers appellés μérpovopos, Confervateurs des meJures, qui avoient la garde des mefures originales & l'inspection de l'étalonnage. Les anciens Romains les gardoient dans le temple de Jupiter au Capitole, comme un dépôt facré & inviolable; c'eft pourquoi la mesure originale étoit furnommée Capitolina, Capitoline. Les Empereurs Chrétiens en confierent dans la fuite la garde aux Gouverneurs ou aux premiers Magiftrats des Provinces. Honorius chargea le Préfet du Prétoire de l'étalon des mefures, & confia celui des poids au Magiftrat appellé Comes facrarum largitionum, qui étoit alors ce qu'eft aujourd'hui chez nous le Contrôleur-Général des Finances. Juftinien rétablit l'usage de conferver les étalons dans les lieux faints; il ordonna que l'on vérifieroit toutes les mefures & tous les poids, & que les originaux en feroient gardés dans la principale Eglife de Conftantinople. Il en envoya de femblables à Rome, & les adressa au Sénat comme un dépôt digne de fon attention. La Novelle 118 dit aussi qu'on en gardoit dans chaque Eglife de ces étalons, les uns étoient de cuivre ou d'airain, les autres de pierre.

En France, les étalons étoient autrefois gardés dans le Palais de nos Rois, comme nous l'apprenons d'un titre daté de la vingtieme année du regne de Dagobert pour l'Abbaye de Saint-Denis, dans lequel on lit que ceux qui contreviendront à ce qui eft porté par ce titre, feront condamnés à dix livres d'or très-pur & à dix livres d'argent fin, ad penfum Palatii, ce qui fait assez connoître que dans ce temps-là, c'est-à-dire, vers l'an 650, on gardoit dans le Palais du Roi, l'original des poids & mefures du Royaume. Un autre titre de Louis le Débonnaire, daté de la cinquieme année de fon empire, qui étoit l'an 819, contient la même formule d'amende, & nous apprend la même chofe concernant les étalons; il y a une peine ordonnée contre les infracteurs de ce titre, de dix livres d'or très-pur & de vingt livres d'argent fin, ad pondus Palatii noftri.

Charles le Chauve renouvella, en 864, le Réglement pour les étalons, & ordonna que toutes les Villes & autres lieux de fa domination, rendroient leurs poids & mefures conformes aux étalons Royaux qui étoient dans fon Palais, & enjoignit aux Comtes

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& autres Magiftrats des Provinces d'y tenir la main; ce qui fait juger qu'ils étoient auffi dépofitaires d'étalons conformes aux étalons originaux que l'on confervoit dans le Palais du Roi. On en confervoit auffi des copies exactes dans quelques Monafteres & autres lieux publics.

Le Traité fait en 1222 entre Philippe-Augufte & l'Evêque de Paris, fait mention des mesures à vin & à bled comme d'un droit Royal que le Prince se réserve, & dont le Prévôt de Paris avoit la garde. Le Roi céda seulement à l'Evêque les droits utiles qui fe levoient dans les marchés, pour en jouir de trois semaines l'une, & ordonna au Prévôt de faire livrer les mesures aux Officiers de l'Evêque.

Sous le regne de Louis VII, la garde des mefures de Paris fut confiée au Prévôt des Marchands. Les Statuts donnés par S. Louis aux Jurés Mefureurs, portent qu'aucun Mefureur ne pourra fe fervir d'aucune mefure à grain qu'elle n'ait été fignée, c'est-à-dire, marquée du seing du Roi; qu'autrement il feroit en la merci du Prévôt de Paris; que fi la mesure n'étoit pas fignée, il devoit la porter au Parloir-aux-Bourgeois, pour y être juftifiée & signée.

Le Roi Henri II ordonna en 1557, que les étalons des gros poids & des mesures feroient gardés dans l'Hôtel-de-Ville de

Paris.

Les Auteurs du Livre intitulé Gallia Chriftiana (Tom. VII. col. 253.), rapportent qu'avant l'an 1684, temps auquel la Chapelle de S. Leufroy fut démolie pour agrandir les prifons du grand Châtelet, on y voyoit une pierre taillée en forme de mitre, qui étoit le modele des mefures & des poids de Paris, & que delà étoit venu l'ufage de renvoyer à la Chapelle de S. Leufroy, quand il furvenoit des conteftations fur les poids & mefures. M. l'Abbé le Bœuf, dans fa Description du Diocèse de Paris, (Tom. 1.) pense que cette pierre, qui par fa forme devoit être antique, avoit apparemment été apportée du premier Parloir-aux-Bourgeois, qui étoit contigu à cette Eglife de S. Leufroy; il obferve que ce Parloir & un autre (fitué ailleurs), ont été le berceau de l'Hôtel-deVille de Paris, où l'on a depuis transféré les étalons des poids & mefures. Il y a encore quelques Villes de Province où il existe préfentement des étalons de pierre, pour la vérification des

mefures.

Lorsqu'on établit en titre à Paris des Jurés-Mesureurs pour le

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