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l'histoire tout-à-fait merveilleuse bâtie sur ce fondement et qu'avait conservée une tradition locale d'une ancienneté indéfinie.

Lorsque les Normands, nos ancêtres, sous la conduite du brave Rollon, faisaient la conquête de la Neustrie qui leur fut concédée plus tard par le Roi de France, il se trouva un château qui, le dernier de tous, résista à leurs efforts; c'était le château de Pirou, bâti par la puissance des fées, et d'une telle force que les Normands désespéraient de s'en emparer autrement que par la famine. Ce fléau ne tarda pas effectivement à tourmenter la garnison. Les Normands jurèrent que dussent-ils y périr, ils ne partiraient pas de là que cette redoutable forteresse ne fût prise. Un matin, ils sont surpris de ne plus entendre aucun bruit dans l'intérieur du château; pas un homme n'apparaît ni sur les remparts, ni sur les tours, ni aux croisées. Ils ne doutent pas d'abord que ce ne soit un piége, et se gardent bien de monter à l'assaut. Plusieurs jours s'écoulent et toujours même silence. Enfin ils se décident à escalader les murs, qui étaient d'une prodigieuse hauteur, et ils entrent dans la place. Ils n'y trouvent pas un âme; je me trompe, il y avait un vieillard couché malade à l'infirmerie, qui n'avait pu suivre les autres, et qui raconta aux Normands comment la garnison s'était enfuie miraculeusement. La magie était cultivée de père en fils, par les seigneurs du château, qui en conservaient des livres très-précieux. Quand les assiégés avaient vu qu'ils manquaient de vivres, et qu'ils seraient bientôt

forcés de se rendre, ils s'étaient transformés en oies sauvages et envolés par dessus ies remparts. Les Normands se rappelèrent alors qu'effectivement la veille du jour où un silence général avait commencé à régner dans le château, ils avaient vu plusieurs volées d'oies s'élever au-dessus des toits, puis aller s'enfoncer et disparaître dans les forêts et les marécages voisins. Mais on ne songe jamais à tout, quoiqu'on soit magicien. La métamorphose avait été très-bien opérée, mais on n'avait pas prévu comment, une fois hors de danger, on reprendrait la figure humaine. Plus de livres alors, plus de moyens même d'articuler une parole. Force fut donc aux malheureux de rester, sous leur nouvelle forme, habitans des marais. Quand les Normands eurent embrassé la religion chrétienne, tous les livres magiques du château furent brûlés; par conséquent moins d'espérance que jamais pour les malheureuses victimes de la métamorphose. Seulement, chaque année, cette race infortunée de volatiles revient visiter son ancienne patrie. Tel est le récit que, de génération en génération, on répétait jadis dans le manoir féodal de Pirou. Si l'histoire doit être une image fidèle des siècles passés, les fables merveilleuses qui ont obtenu crédit rentrent dans son domaine et peignent souvent mieux les hommes qu'une froide et sèche énumération de noms propres et de généalogies.

COUPPEY

MOEURS ET COUTUMES.

UN ENTERREMENT.

(Historique.)

JE n'oublierai jamais que j'ai assisté, dans la même commune, à trois cérémonies bien différentes, à un baptême, à une noce et à un enterrement. Un jour de bonne humeur, je vous conterai comme quoi j'ai pleuré aux deux premières écoutez aujourd'hui comme quoi j'ai ri à la troisième.

Le plus âgé de mes cousins venait de succomber à la maladie dont j'ai toujours désiré de mourir, quatre-vingt-dix-huit ans cinq mois six jours. Un exprès accourt à la ville la veuve et les enfans du vieillard décédé me prient instamment d'honorer les restes de leur époux et père; « on m'attend une heure » avant l'inhumation; l'enterrement ne sera » pas beau sans moi. » Les liens de parenté me déterminèrent plus que l'idée d'embellir la cérémonie; et, le lendemain matin, je partis de Saint-Lo, vers sept heures, pour faire les deux petites lieues qui me séparaient de la ferme de feu mon parent.

Le bruit étrange d'une sorte de querelle à

voix basse, comme de lutins qui se seraient disputé l'âme du défunt, frappa mes oreilles à mon arrivée, et m'eût glacé d'effroi, s'il eût fait nuit. On m'introduisit dans la chambre de la veuve, bonne femme de soixante ans, accoutumée à perdre ses maris dont mon vieux cousin avait été le quatrième. L'habitude d'enterrer son monde lui tenait lie de stoïcisme. Par convenance, elle restait couchée; par convenance, elle avait deux ou trois lasmes pour chaque arrivant, et cette phrase sans variante ni pour les mots, ni pour le ton: « Ah! mon pauvre *** Vous connaissez mon malheur!» Et se remettant aussitôt de son trouble volontaire, ma soigneuse cousine avait l'oeil à tout, s'informait de tout, donnait ses ordres pour tout.

Sans ménagement pour sa sensibilité conjugale, le grand valet vint lui dire qu'on était bien embarrassé de l'autre côté de l'éprée (cloison); que le cercueil était trop court d'au moins deux pouces. « Le sot menuisier! s'écria la veuve; il avait fait trop étroit celui de Lucas. » Or Lucas avait été son avantdernier mari.

Je ne sais ce que devint mon sang-froid... la rougeur me couvrit le front. Mon âme, toujours sérieuse aux idées de mort, s'indignait à la brusque allocution du domestique et de l'exclamation de sa maîtresse. Peu à peu, cependant, mes sens se calmèrent, et je pris le parti d'admirer ce qu'il y avait de philosophie au fond des dialogues qui suivirent. Un passage de Sénèque me revint en mémoire, et je fus ravi de voir mettre

en pratique ses froides leçons par une femme qui n'avait jamais ouï parler de ses livres. Au bout d'un quart d'heure, je me sentis le cœur cuirassé contre le chagrin.

Sur ces entrefaites, arrivèrent les parens et les amis. Un neveu, très-indifférent vu le nombre des enfans de son oncle, rompit un silence de quelques minutes par des questions. à sa tante sur la manière dont avait été pris son bonhomme, sur les remèdes qu'on lui avait administrés, enfin sur ses derniers momens, Rien de plus édifiant que le calme avec lequel ma vieille parente donna tous les détails désirés. Possidonius avait un sang-froid moins réel, quand il affectait de sourire au milieu des tortures de la goutte. O vénérée cousine quelle force dans les muscles de ton visage! quel triple airain autour de ton cœur !

Ses deux fils parurent, ses trois gendres parurent; leur visage était en flamme, sans que leurs yeux eussent pleuré. Ils engagèrent l'assemblée à les suivre; et, dès que nous fûmes descendus, on s'empara de nos chapeaux, autour desquels on noua de longs crêpes, de manière à ce qu'ils flottassent jusque sur les reins une distribution de cierges se fit en même temps à chacun de nous. Dans le tumulte de ces préparatifs, un inélange bouffon de chapeaux eut lieu, et, pour mon bolivar, on me rendit un large. parapluie en feutre, de cinq pieds six pouces de circonférence; puis comme parent, on me poussa non loin du cercueil, le grand chapeau à la main gauche, le long cierge à la droite. Six pas en arrière, les paysans glo

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