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âge; si vous y ajoutez l'auteur anonyme, en vers très-rampans, d'une vie du bon Helie, dont le langage annonce la fin du XIIIe siècle, vous aurez toute la littérature française du Cotentin pendant plus de huit cents ans, ce qui est certainement bien pauvre; mais l'historien Kobert sort de cette classe et mérite une notice dans l'Annuaire sous plus d'un rapport. Né à Torigni au commencement du XIe siècle, nous croyons qu'il mourut en 1179, ou peu de temps après, parce que c'est en 1179 que finit sa Chronique. Il devint abbé du Mont-Saint-Michel. Il acquit la réputation d'un savant et fut tellement en faveur auprès de Henri II, roi d'Angleterre et duc de Normandie, qu'il fut choisi pour être le parrain de sa fille Aliénor, qui depuis épousa Alphonse, roi de Castille. Ses principaux ouvrages sont une continuation de l'histoire universelle de Sigebert, depuis l'an 976 jusqu'à 1179. La partie du règne du roi et duc Henri Il est traitée plus longuement que le reste; l'historien était contemporain des faits. Il a composé de plus une histoire abrégée des couvens de la Normandie, où nous voyons figurer, pour ce qui concerne les anciens diocèses de Coutances et d'Avranches, les abbayes de Saint-Sever, de Lessay (exaquium), de Saint-Sauveur-le-Vicomte, de Montebourg, de Savigny et de NotreDame-du-Vou de Cherbourg. Ces ouvrages ont été imprimés à Paris, en 1651, à la suite de ceux de Guibert-de-Nogent.

La lecture des Chroniques de Robert-deTorigni est intéressante, et elles auraient

figuré dignement dans la collection des historiens traduits par M. Guizot. Sans donner à cet article une dimension que l'Annuaire ne comporte pas, nous allons cependant extraire de cet auteur quelques récits et aneedotes propres à caractériser les époques dont il a présenté les annales.

Il ajoute pleine foi à l'origine merveilleuse des habitans de la Grande-Bretagne. Un Brutus, arrière-petit-fils d'Enée, ayant tué par mégarde son père et sa mère, quitta l'Italie, avec une troupe de compagnons, pour chercher une nouvelle patrie. Un oracle de Diane lui enjoignit d'aller vers une île située dans l'océan occidental. Il fonda, en passant, la ville de Tours, sur la Loire. Après avoir construit et équipé des vaisseaux sur les côtes de l'océan, il cingla vers Albion, habité alors par une race de géans, qui s'élancèrent dans la mer à la rencontre des aventuriers. Ceux-ci, trop faibles pour lutter contre ces statures colossales, reculent à force de rames; les géans les poursuivent et s'avancent jusqu'à ce que les flots leur couvrent les épaules. Alors les compagnons du héros troyen profitant de cet avantage, et n'ayant plus à combattre que des têtes qui s'élevaient au-dessus de l'eau, reviennent au combat, et avec des flèches et des machines de guerre détruisent leurs formidables adversaires. Débarqués sur le rivage, ils nomment le pays Brytannia, du nom de leur chef. C'est de cette souche troyenne que sortit une foule de rois

bretons, dont les noms plus ou moins baroques sont soigneusement énumérés. Dans ce nombre figurent le roi Léar, dont les deux filles, fameuses par leur ingratitude envers leur père, ont fourni le sujet d'une des plus intéressantes tragédies de- Shakespear, et surtout l'illustre Arthur, fondateur de l'ordre chevaleresque de la Table- Ronde, qui, par sa valeur et celle de ses paladins, exécute les plus belles entreprises militaires. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que chaque évènement est accompagné d'une chronique qui met en regard les diverses époques, soit de l'histoire sainte, soit de l'histoire romaine. Il paraît que ces chroniques, auxquelles les peuples ont ajouté foi si long-temps, provenaient originairement de l'Armorique ou Basse-Bretagne. Au reste, les anciens historiens français donnaient de même à nos ancêtres une origine troyenne; un Francus, ou Francon, ou Francion, fils d'Hector, avait traîné une colonie le long du Danube et fondé en Germanie la nation des Francs. Pendant sept ou huit cents ans cette extraction chimérique a figuré dans nos historiens comme une chose avérée et dont il n'était pas permis de douter.

Une des choses les plus remarquables des XI, XIIe et XIIIe siècles est l'invention d'une foule de reliques dans toutes les parties de la terre. Des saints, dont les sépultures avaient été ignorées jusqu'alors, apparaissaient en songe à des personnes pieuses et leur in

diquaient les lieux où étaient leurs ossemens. La ville de Rome en envoyait, chaque année, dans tous les pays, des quantités énormes trouvées de cette manière dans divers lieux, le plus souvent dans les ossuaires des catacombes. Le rusé Grec en vendait des plus curieuses et des plus introuvables à nos bons croisés pour de grosses sommes d'argent. Robert-de-Torigni rapporte, sous l'année 1156, que le corps de l'apôtre saint Barthé lemy fut trouvé dans une île du Tibre, tout écorché, sa peau à côté de lui, avec deux inscriptions en grec et en latin. La même année, le monastère du Mont-Saint-Michel fêta le dépôt dans sa collection d'une partie des vêtemens de la sainte Vierge, reliquiam vestimentorum Domino nostræ. Ce fut encore cette même année-là, suivant Robert, que, par une divine révélation, les moines d'Argenteuil dés couvrirent la robe de Notre Sauveur, robe sans couture, d'une couleur rousse, avec un écrit indiquant que cette robe lui avait été faite par sa glorieuse mère, lorsqu'il était encore enfant. En 1158, les corps des trois mages furent trouvés auprès de Milan, parfaitement conservés ; le chancelier de l'em pereur d'Allemagne, né à Cologne, s'empara de ce trésor et le transporta dans sa ville natale. Ils avaient été originairement envoyés en Italie par un empereur de Constantinople, qui sans doute avait fait payer fort cher une rareté inconnue aux premiers siècles du christianisme. Nous n'ajouterons plus à ce détail de reliques qu'un seul fait qui se rapporte à une localité du département:

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En l'année 1164, dit Robert, dans le diocèse de Beauvais, saint Gisles apparut » en vision nocturne, in visu noctis, à un homme du peuple, et lui annonça que le » lendemain, dans le premier sillon que ferait »sa charrue, il trouverait une petite croix » de fer qu'il ne devait pas manquer de porter de suite à l'église consacrée à saint Gisles. Le paysan sachant ou soupçonnant qu'il » y avait plusieurs églises consacrées à ce saint, demanda à laquelle il fallait la porter. Le bienheureux lui dit que c'était à saint » Gisles du Cotentin, ad sanctum Egidium » de Constantino, où était son corps. Le » paysan rouva la croix et l'apporta au lieu de sa destination, qui fut depuis signalé par beaucoup de miracles. »

A quel lieu se rapporte ce fait merveilleux ! Serait-ce à la petite paroisse de Saint-Gilles, située auprès de St-Lo? Nous n'avons pas eu le temps d'éclaircir cette question. Dans tous les cas, le saint qui avait apparu au laboureur n'était pas le saint Gilles du bréviaire de Coutances, né à Athènes et mort en Provence, mais vraisemblablement au bienheureux saint Gilles qui fut le compagnon de la vie hérémitique de saint Sever, dans le Cotentin, au VIe siècle.

En 1157, le samedi qui précède l'octave de Pâques, dans le village appelé la Lande» d'Airou, au diocèse d'Avranches, vers » midi, il s'éleva de terre un violent tour

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