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faveurs accordées même de part et d'autre ne produisent jamais les mêmes effets des deux parts. Un petit État peut être certain, qu'une fois entraîné dans les événements de la guerre, ne fût-ce qu'indirectement et avec l'assentiment des deux belligérants, il deviendra bientôt la victime de l'un ou de l'autre, ou de tous les deux. Le vainqueur se servira de la concession pour se procurer une base d'opération, ou pour tourner à son profit militaire l'avantage accordé, en alléguant comme prétexte le premier pas fait par le neutre. Si celui-ci commence à permettre volontairement quelque chose de contraire à la neutralité, il finira par y être forcé contre sa volonté.

Il n'est pas même admissible que l'État prétexte sa faiblesse ou son impuissance de résister, comme motif d'une ingérence dans la guerre, ne fût-elle que passive et consistant dans la tolérance d'une violation de sa neutralité par l'un des belligérants. Le jugement sur la capacité de défense d'un État souverain n'appartenant point à l'étranger, tout État qui prétend être indépendant, est censé posséder la volonté et le pouvoir de se protéger contre les atteintes à son droit. La neutralité étant un droit, sa défense doit être présumée toujours possible et effective; elle est par conséquent un devoir absolu en toute circonstance où son omission impliquerait une rupture de la neutralité. D'ailleurs, le droit international n'exige du neutre qu'une défense dans les limites du possible, dans la mesure qui peut être attendue de tout État pacifique qui n'invoque pas une faiblesse prétendue pour dissimuler des faveurs coupables accordées à un belligérant, mais s'oppose sérieusement aux empiétements de celuici, qu'ils proviennent de l'insolence excitée par le succès ou d'une imprudence occasionnée par l'incertitude sur les meilleurs moyens à prendre. Comme il est toujours aisé de distinguer entre la bonne et la mauvaise foi, entre la faiblesse réelle et simulée, l'adversaire qui peut souffrir par suite du manque de force chez le neutre, mais qui comprend que ce défaut est involontaire, n'exigera pas une réparation qui serait à la fois impossible et moralement non fondée.

Enfin - par suite de leur connexité immédiate avec la guerre et de leur indépendance de la souveraineté des États-les devoirs d'abstention sont absolus encore sous ce rapport, qu'ils ne pourraient pas être omis ou restreints même sous le prétexte d'une conduite égale envers les deux belligérants (§§ 51-52). Le neutre, qui s'immiscerait dans les opérations militaires de l'un et de l'autre, qui

les aiderait ou commettrait des actions qui leur seraient hostiles, qui souffrirait la même violation de sa neutralité de la part des deux, ou qui leur accorderait, à tous les deux, sur le territoire neutre, des avantages propres à faciliter l'accomplissement de leurs buts de guerre, aurait, par de tels actes, même accomplis d'une manière analogue et équivalente des deux côtés, abandonné la position de neutre et pris part à la guerre (§ 22, 2). A la différence des devoirs d'impartialité, où l'action bilatérale transforme le tort en droit, ici elle ne fait que doubler le tort. D'ailleurs le secours accordé, l'avantage dont l'usurpation serait tolérée, ne pourrait jamais être absolument équivalent des deux parts, ni offrir la même utilité pour les deux belligérants. L'une des parties en guerre serait toujours plus favorisée ou défavorisée que l'autre, ne fût-ce qu'à cause de l'inégalité naturelle des situations et des conditions, qui exclut la possibilité pour deux États d'avoir absolument les mêmes besoins et de pouvoir user de la même manière d'une assistance 1. — Même la négligence de faire valoir un droit, dont l'exercice est une condition de la neutralité, n'est pas excusée par la parité dans le procédé des deux côtés 2.

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Le fait que doit éviter tout neutre pour ne point participer à une guerre, peut être ou actif ou passif. Dans le premier cas, il consiste à commettre une action qui romprait le devoir d'abstention; dans le second, il consiste à omettre les conditions du dit devoir.

L'action peut être positive, c'est alors un secours prêté, ou négative, c'est alors un obstacle opposé aux opérations.

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1 Cela devient surtout le cas si l'un des belligérants est une puissance maritime ou plus fort que l'autre, ou bien qu'une industrie en question est très différente des deux côtés. Exemple: Si un Etat neutre augmente sa liste de contrebande pendant la guerre entre deux pays, dont l'un s'occupe spécialement à fabriquer les articles ajoutés, celui-ci est favorisé au détriment de l'autre, quand même les défenses seraient formulées identiquement et que leur exécution fùt impartiale dans la forme.

2 Encore ici, l'un profiterait plus que l'autre de l'exemption de la charge y correspondante. Ainsi, si le droit du neutre de transporter des biens ennemis sous son pavillon est abandonné à la fois en faveur de deux belligérants dont l'un possède une plus grande marine militaire que l'autre, celui-là est favorisé aux dépens de celui-ci, qui a plus que lui besoin de la protection du pavillon neutre pour les transports de ses marchandises.

Dans tous ces cas, la neutralité est rompue, ou directement, lorsque le coupable, soit État soit particulier, exécute l'acte lui-même, ou bien indirectement, lorsque l'État souffre ou permet que l'acte soit exécuté sur son territoire ou par ses ressortissants.

L'infraction à la neutralité peut consister en une aide fournie à un belligérant (subsides, enrôlement, équipement, transport de contrebande, approvisionnements, etc.); elle peut aussi consister dans un empêchement à ses opérations militaires (par exemple à un siège ou un blocus). L'aide augmente la force du belligérant: le neutre commet ainsi une hostilité contre la partie adverse. L'empêchement diminue au contraire la force du belligérant: dans ce cas, le neutre commet une hostilité contre celui-ci. Dans les deux alternatives, il prend part à la guerre.

Des infractions à la neutralité peuvent être commises même par omission, bien qu'il puisse paraître singulier à première vue qu'un devoir d'« abstention » soit rompu par une omission. La négligence soit d'empêcher tel individu de transgresser la neutralité, soit de prévenir une infraction à celle-ci alors qu'il eût été possible et commandé par le droit international de le faire, équivaut à un délit de neutralité par omission; c'est un fait qui contribue à rompre l'abstention, et cela, soit que l'acte qu'il fallait empêcher fût à redouter de la part d'un belligérant, soit qu'il fût à craindre de la part d'habitants du pays neutre. Du moment que celui auquel l'obligation de surveillance incombait, a pu ou dû être conscient de l'imininence du danger, et qu'il était capable de le détourner, sa négligence le rend complice du délit. Si, par exemple, lorsqu'une guerre éclate, un gouvernement neutre néglige de promulguer, et de porter ainsi à la connaissance des sujets, la liste des objets de contrebande de guerre, ou les devoirs y relatifs, ou s'il laisse le public ignorer l'existence d'un blocus régulier et dûment annoncé, etc., il peut occasionner des transgressions du devoir d'abstention par ignorance (par transports illicites, violations de blocus, etc.). S'il ne s'oppose pas au passage de belligérants, aux enrôlements, à des opérations sur le territoire ou dans les eaux neutres, s'il n'empêche point les fuyards d'y pénétrer pour en ressortir et reparaître sur le théâtre de la guerre, et s'il laisse ainsi le territoire neutre devenir

une base d'opérations, il rompt par sa négligence le devoir d'abstention; par sa coupable inaction, il laisse entrer son pays dans la sphère de la guerre, ou tolère une assistance contraire à la neutralité. S'il n'astreint pas ses agents et organes officiels à surveiller les ports, pour empêcher que les belligérants n'en usent pour leurs prises, leurs équipements, armements, recrutements, etc., il rompt la règle d'abstention qui défend de tolérer l'emploi des ports comme bases d'opérations.

Les particuliers eux-mêmes peuvent manquer au devoir d'abstention par des omissions coupables. Tel le cas, par exemple, où l'employé d'un marchand ou d'une compagnie d'armateurs néglige d'informer ses patrons de l'existence d'un blocus dûment organisé et annoncé, ou d'autres restrictions apportées au commerce ou à la navigation neutres et autorisées par le droit de la guerre.

Enfin, l'État étant responsable des délits de neutralité commis sur son territoire ou par ses ressortissants, soit par un faire, soit par un laisser-faire, à savoir dans tous les cas où la répression (par saisies, confiscations, etc.) n'est pas abandonnée au belligérant, le devoir d'abstention peut être rompu, non seulement directement par l'auteur lui-même, soit l'État, son gouvernement, ses organes ou ses représentants, soit le particulier, mais encore indirectement, si l'État, par une insouciance coupable ou une partialité cachée, ou sous prétexte d'impuissance, permet, expressément ou tacitement, à ses ressortissants de rompre le devoir d'abstention (en armant des navires de guerre à destination d'un belligérant, en organisant des bureaux d'enrôlement, etc.), ou néglige de réprimer leurs actes, ou tolère, en laissant ses frontières sans défense suffisante, des invasions ou des violations du territoire qui favorisent certaines opérations des belligérants (par exemple la création de dépôts de houille, l'occupation de points stratégiques, l'installation de vigies, etc.).

$ 61 Sujets du devoir

Certains devoirs d'abstention incombent à l'État seul, à ses organes et à ses représentants. D'autres incombent aussi aux particuliers (§ 51, 2). Dans les premiers rentrent les obligations de s'abstenir de subsides et de prêts aux belligérants, de fournitures d'auxiliaires ou d'articles de

guerre, d'enrôlements, d'abus du territoire neutre par dépôts de guerre, passages, opérations de guerre, occupations de places, ouverture de ports, etc. Au nombre des seconds figurent les obligations de s'abstenir de transports et trafics illicites, d'armement et d'équipement de navires ou de troupes, et de violations de blocus.

Comme il a été dit plus haut, l'État est en principe responsable, non seulement de ses propres délits de neutralité, mais encore de ceux de ses ressortissants et de ceux qui se commettent sur son territoire. Cependant, certains actes ne sont des délits de neutralité que s'ils sont commis par l'État et non s'ils sont accomplis par des particuliers; d'autres sont des délits, qu'ils soient commis par l'État ou par des particuliers. Enfin, certains délits commis par des particuliers n'engagent pas jusqu'ici la responsabilité de l'État, parce que la coutume autorise le belligérant à les réprimer lui-même sur le champ (au moyen de saisies et de confiscations, etc.)'.

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Délits commis par les fonctionnaires publics

Les délits de neutralité commis par des autorités ou fonctionnaires publics en cette qualité sont considérés comme des actes de l'État, tandis que les actions de ces mêmes personnes en tant que particuliers leur seront imputées en leur qualité de ressortissants, individuellement.

Les actes de personnes au service de l'État peuvent être connexes avec ce service ou non; et, dans le premier cas, ils peuvent avoir été commis avec ou sans l'ordre ou l'autorisation du gouverne

1 La dérogation la plus frappante à la règle contenue dans ce paragraphe est apportée par Lorimer, qui voudrait exonérer les particuliers de toute responsabilité et la faire retomber tout entière sur l'État (pp. 272-276). Les particuliers devraient, selon lui, pouvoir impunément trafiquer, même avec de la contrebande de guerre; ou, pour dire mieux, il n'y aurait plus de contrebande, tout commerce avec les belligérants étant permis aux particuliers, aucun n'étant permis à l'État. - Comme il arrive en général aux projets radicaux et présentés avant leur temps, cèlui de Lorimer tombe dans l'inconséquence. Car, tout en permettant aux particuliers de violer les blocus conséquence logique de leur droit de commerce illimité, il ne veut pas protéger ceux qui les violent contre la répression du bloquant. Mais il est évident, qu'une fois admis le principe qui exemple le commerce privé de toute restriction pour cause de guerre principe appartenant à un avenir encore assez éloigné, il devrait s'ensuivre logiquement l'exemption corrélative de toute mesure de répression contre ce commerce, puisque le droit international ne peut pas laisser punir des actes qu'il qualifie de légitimes.

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