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Il faut donc absolument proscrire: 1o le système de faire des lois de contrebande par la législation nationale dans un autre but que celui de porter simplement à la connaissance du public ressortissant à l'État, soit les dispositions du droit international, soit les devoirs contractés par traité envers l'étranger; 2o le système d'établir par traités entre des couples ou groupes restreints d'États d'autres lois de contrebande que celles qui se concilient avec le droit international.

Et cependant, l'histoire entière de la contrebande de guerre n'est qu'une série continue de récits des infractions à ces deux règles, et la conséquence a été visible dans des violations sans cesse réitérées. Les grandes puissances maritimes ont légiféré chacune de sa propre autorité et dans son propre intérêt incidentel, en ne respectant les droits des autres États que dans la mesure qui lui a plu, sans les consulter mais en prétendant à leur obéissance, généralement à leur détriment et à celui de leurs prétentions les plus légitimes; il en est résulté un mépris complet tant de la justice que des obligations contractées par convention. Et des couples ou petits groupes d'États sont convenus, dans des traités particuliers, de leur manière de comprendre la réglementation, une manière qui faisait ordinairement bon marché des droits de la communauté et du règlement international, tandis qu'aucun traité obligeant tous les États n'a réglé la matière d'un commun accord. De là, des lésions, des interprétations opposées et des contradictions de toutes parts, des applications divergentes d'une seule et même loi en diverses occasions et aux différents États neutres 1.

Aussi les traités particuliers ne sont-ils plus conclus en si grand nombre depuis qu'une opinion plus claire commence à prévaloir quant à la nature de la contrebande de guerre et la manière la plus propre de la régler. En même temps, le besoin croissant d'une unité dans la loi paraît avoir inspiré aux gouvernements l'idée de s'abstenir de tous pourparlers et de s'en tenir plutôt à l'usage, en attendant des dispositions conventionnelles qui soient générales. On évite d'augmenter le nombre des listes de contrebande isolées, semblables à celles qui ont figuré dans les innombrables traités conclus durant les trois siècles passés sous l'influence de circon

1 L'habitude de fonder le réglement sur des traités particuliers a trouvé un appui même dans la doctrine. Les positivistes (Wildman, Hall, etc.) la déduisent du prétendu caractère des transactions, particulières aux situations, d'exprimer les originalités de celles-ci, des rapports positifs, les seuls que ces auteurs veulent reconnaître. D'autres (Klüber, § 288) estiment, que seuls les traités particuliers représentent les rapports exceptionnels justifiés par le libre consentement, et que le règlement entier de la contrebande de guerre n'est qu'un tel rapport exceptionnel, puisque d'après le droit naturel, valable où aucune convention ne fait exception, le commerce des neutres doit être libre et hors de portée des attaques de la guerre.

stances passagères, et qui ont par conséquent donné des résultats contradictoires et enfanté des conflits. Maintenant, le traité est de nouveau remplacé par le décret; et celui-ci se borne de plus en plus à reproduire la liste qui est censée rendre le principe de ne compter pour contrebande de guerre que les munitions de guerre proprement dites, ni plus ni moins, tout au plus avec quelque modification insignifiante par suite de la différence des opinions sur ce qu'il faut entendre sous la dite expression. C'est ce principe, répandu d'abord par la Neutralité armée, qui prédomine aujourd'hui. Sa répétition dans les législations nationales ne signifie qu'une publication locale de ce qui est censé universellement reconnu.

Toutefois, ce principe ne vivant que dans un usage plus ou moins incertain, une loi positive de contrebande, de validité universelle dans le sens strict du mot, acceptée partout, manque encore. Ce manque ne peut être considéré que comme un reste de l'ancienne tactique d'autrefois, de maintenir la question dans le vague, pour pouvoir l'adapter aux visées de l'instant, en décrétant et en imposant de force des lois provisoires contenant des prohibitions au delà des munitions de guerre proprement dites.

Dans ces circonstances, et en attendant l'occasion où l'unité pourrait être gagnée, les gouvernements se contentent généralement de la règle de laisser libre en temps de guerre tout commerce qui n'apporte pas à un ennemi quelque secours de caractère spécialement et évidemment militaire. Les déviations de cette règle divisent encore, il est vrai, les législations nationales jusqu'à un certain point en groupes différents en ce qui concerne la manière de définir et étendre la contrebande. Toutefois, le programme de 1780, qui limite celle-ci strictement aux articles de guerre purs, en n'y ajoutant que deux matières premières de la poudre, et à l'exclusion des déclarations accidentelles, prédomine décidément.

Littérature

Dans la science, les systèmes ont varié à peu près comme dans la politique. Ils se groupent principalement en deux points de vue opposés : l'un objectif, l'autre subjectif. Le premier révèle la tendance de retenir les prohibitions sous une règle stable et permanente, en les identifiant avec les objets qui par leur nature même appartiennent à la guerre en propre. Le second laisse la loi suivre les circonstances, ce qui équivaut plus ou moins à une extension des prohibitions au delà des dits objets, en abandonnant à la partie intéressée le droit de les arrêter d'après ses intérêts fluctuants. Comme donc le système fluctuant rentre dans celui de l'extension, l'on a généralement classé les publicistes qui ont traité cette matière, en deux catégories, dont l'une tient la contrebande strictement limitée aux munitions de guerre et l'autre l'étend au delà; auxquelles catégories les plus

ordinaires s'ajoute une troisième, très faiblement représentée, qui la réduit à moins.

Le système qui identifie la contrebande de guerre avec les véritables articles de guerre, a reçu l'approbation du noyau de la doctrine et de la plupart des publicistes les plus distingués 1.

Le système qui élargit la contrebande de guerre au delà, a pu pousser l'extension plus ou moins loin. On peut noter trois subdivisions: 1o clôture du commerce entier; 20 addition d'objets d'une valeur médiate pour la guerre; 3o déclarations accidentelles, ajoutant à la contrebande ordinaire des prohibitions avec force momentanée.

Quant à défendre tout trafic entre neutre et belligérant, c'est une mesure trop radicale et absurde pour avoir pu trouver quelque partisan dans la théorie. Pas une seule voix ne l'a sérieusement appuyée en doctrine. Elle appartient exclusivement aux législations militaires des époques de passions belliqueuses.

Ce qui a été plus ordinaire, même dans la doctrine, c'est l'exagération qui consiste à augmenter les prohibitions par la prétendue raison que le commerce d'une chose qui, tout en étant fabriquée pour une destination pacifique, peut être utile aussi dans une guerre par suite de sa signification indirecte pour son usage, doit être interdit entre les neutres et les belligérants. Comme toutefois ce système se lie intimement à celui des prohibitions accidentelles contre tel ou tel article spécial, puisque l'utilité d'un objet pacifique dans une guerre dépend de ses particularités, par conséquent de circonstances plus ou moins accidentelles qui ne peuvent être bien réglées que par des lois adaptées à la situation du moment, l'on trouve ordinairement réunies chez les mêmes auteurs les deux manières d'addition, dont l'une se fonde sur la valeur médiate d'une chose pour la guerre, et l'autre la prohibe en prétextant la nécessité pour un belligérant d'empêcher l'arrivée à son ennemi de choses qui serviraient les opérations de celui-ci dans les circonstances présentes. D'ailleurs, les objets poursuivis sont les mêmes dans les deux cas, à savoir des objets ancipitis usus, puisque la prohibition des munitions de guerre proprement dites, étant de droit international toujours reconnu, n'a besoin d'aucune loi accidentelle pour sa validité.

doublement faux et qui

Grotius a lui-même inauguré ce système cependant a gagné depuis tant de partisans de diviser la contrebande de guerre en deux catégories distinctes, dont l'une (contrebande absolue) comprendrait les articles prohibés d'une manière permanente et par le

1 Citons seulement, entre autres, Bynkershoek, cap. X; Klüber, § 288; Hautefeuille, tit. VIII, sect. II, § VI, p. 420; Pistoye et Duverdy, t. I, pp. 395 et suiv.; Woolsey, §§ 195-196; Field, § 859; Bulmerincq, § 92; Gessner, pp. 108-109; Fiore, § 1600.

droit international parce qu'ils appartiennent à la guerre déjà par leur nature, tandis que l'autre (contrebande relative) comprendrait les articles que le belligérant devrait pouvoir interdire provisoirement et dont il devrait pouvoir empêcher l'arrivée à son ennemi dans certaines circonstances, parce que dans ces circonstances ils avaient acquis pour les opérations une signification exceptionnelle qui autrement ne leur était pas propre.

D'ailleurs, les auteurs se groupent séparément quant à la question de savoir ce qu'il faut ranger dans l'une ou l'autre des deux catégories. Tel publiciste compte pour contrebande absolue ce que tel autre compte pour contrebande relative. Et, tandis que les amirautés ont décrété leurs défenses incidentelles sous l'influence du hasard, de telle sorte que dans une circonstance particulière un objet quelconque a pu être pris comme prétendue contrebande relative, les auteurs partisans du système, tout en reconnaissant aux belligérants le droit de publier ainsi des décrets d'occasion, ont cependant tâché de le restreindre dans certaines limites, en indiquant certains articles (d'usage double) comme seuls objets légitimes des déclarations éventuelles de contrebande accidentelle.

Depuis Grotius, cette méthode de ballottement, où le principe de la législation accidentelle mène à une soi-disant contrebande relative, a, grâce au prestige de son fondateur, enrôlé toute une armée d'adhérents, surtout en Angleterre, mais aussi aux États-Unis chez les vieux qui vivaient avant notre période, enfin même en Allemagne quelques-uns parmi les chancelants1. Ce sont surtout les tribunaux de prises qui en sont responsables, parce que leurs sentences les plus observées sous ce rapport ont été portées précisément pendant les courtes périodes où l'acharnement de la guerre maritime et l'avidité du butin ont dicté les résolutions. Et malheureusement, les hommes de la doctrine n'ont été que trop souvent de simples et dociles interprètes des préjugés de leurs pays. Ils ont été d'autant plus facilement induits dans cette erreur, que l'école historique ne pouvait jamais se soustraire à l'influence de l'ancienne manière de voir selon laquelle le droit du neutre était subordonné au droit du belligérant, d'où découlait la prétention de celui-ci d'imposer à celui-là ses décrets accidentels, et cela, parce que le droit du neutre était supposé n'être qu'un droit du commerçant particulier, tandis que le droit du belligérant était un droit de l'État (Gentilis, Vattel, Lampredi). En jugeant ainsi la neutralité exclusivement au point de vue privé, tandis que la guerre fut jugée

1 Cp. les différentes nuances du système accidentel chez Hübner, t. II, 2me ptle, ch. 1, § 5; les Anglais: Manning, pp. 352-353; Phillimore, §§ 252-253; Wildman, ch. V; Creasy, §§ 574, 576; Hall, § 241; Ferguson, § 265; en Amérique, Kent et Wheaton, qui ne font guère que rendre les principes y relatifs des tribunaux de prises. Bluntschli (§§ 803-805) et Heffter (§ 160) y font quelques concessions hésitantes.

au point de vue public, il n'est guère étonnant que l'on arrivât à la conclusion que le droit de celle-ci devait primer le droit de celle-là.

D'autre part, plusieurs auteurs, de couleur indépendante et strictement juridique, ont condamné tout ce système. Déjà Bynkershoek démontre, par des raisons bien fondées, combien est arbitraire et injuste, tant la législation du belligérant sur le neutre, c'est-à-dire de l'un des intéressés sur l'autre, que le droit de légiférer momentanément, sous la seule impression de l'instant. Et après lui, de nombreuses voix dans la littérature ont fait voir, que non moins le principe accidentel comme tel, que la législation que s'arroge une des parties en cause, sont absolument inadmissibles 1.

Enfin, quelques publicistes ont proposé de restreindre les articles de contrebande à moins que les munitions de guerre. Une tendance visible dans la doctrine révèle même le désir de supprimer entièrement la notion de contrebande de guerre dans les rapports entre les neutres et les belligérants pour ne la maintenir qu'entre ces derniers, comme moyen de guerre, en laissant libre et non molesté tout commerce des États restés en paix, sans autre restriction que celle qui suivrait des blocus et des investissements (Cocceji, en principe Klüber, de Rayneval et de Bar, auxquels s'associe Lorimer en ce qui concerne le commerce des particuliers). Principe incontestablement juste, mais appartenant à un avenir éloigné et incalcu

lable.

§ 902

Définition et notion

1. Sont réputées contrebande de guerre les munitions de guerre à destination d'un belligérant.

Sous la dénomination de « munitions de guerre » (lato sensu) sont ici compris les objets faits pour la guerre et y servant dans leur état actuel immédiatement et spécialement3.

1 V. surtout G.-F. de Martens, §§ 314-315; Ortolan, p. 222; Hautefeuille, tit. VIII, sect. IV, t. II, pp. 313-315; Neumann, § 51; Woolsey, §§ 195-196; Calvo, §§ 1114, 1125; Field, § 859; Gessner, pp. 99, 104-105, 109, 159-160; Fiore, §§ 1591, 1600. Énoncé de l'Institut de droit international, v. Rev. de dr. int., t. VII, p. 607.

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2 Les §§ 90-102 suivants reproduisent à peu près le contenu des §§ 1-18 de l'Avantprojet de règlement international sur la contrebande de guerre et les transports interdits aux neutres, adopté et déposé par la Huitième Commission de l'Institut de droit international en séance à Paris le 30 mars 1894 (Ann. t. XIV, pp. 33-39). Plus tard, le 29 septembre 1896, à la session de Venise, l'Institut, ajournant la réglementation détaillée à cause de la grande divergence d'opinions, n'a voté que quelques principes fondamentaux, conformes à un projet transactionnel et sommaire formulé par nous, et susceptibles d'un développement ultérieur (Ann., t. XV, pp. 230-233).

3 La signature G. R.-J. nous reproche (Rev. de dr. int., t. XXII, 1890, pp. 521-522), en critiquant la définition donnée dans notre monographie Om Krigskontraband (Stockholm 1888), d'où a été tirée celle d'ici, de n'avoir tenu assez compte de celle du projet. de Règlement international des prises de l'Institut (§ 30), ainsi conçue les objets sus

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