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posent qu'une minime partie (laquelle ?) de la cargaison, qu'ils puissent facilement être embarqués à bord du croiseur, et que le navire neutre n'ait pas été forfait par quelque délit de neutralité entraînant sa propre confiscation. L'Institut de droit international au contraire, exige le jugement d'un tribunal pour chaque prise, à moins que le patron neutre ne soit lui-même prêt à s'en passer et à délivrer sur place les articles prohibés, sous certaines conditions déterminées (Règl. int. des prises, §§ 33, 110).

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5. L'ancien usage d'abandonner les confiscations et autres moyens de coercition aux organes militaires sur la mer, avait naturellement pour conséquence que bon nombre de navires et cargaisons étaient pris sans commission de délit de neutralité, ou du moins sans que leur transgression fût manifeste, c'est-à-dire sur de simples soupçons. A cela s'ajoutaient les saisies d'objets déclarés contrebande occasionnellement, par des croiseurs qui les convoitaient ou en avaient besoin, et en dépit de leur caractère inoffensif. Dans les deux cas que l'objet fût une contrebande imaginée ou improvisée, toujours manquait-il à la peine une de ses conditions essentielles l'évidence d'une transgression de la loi. Or, comme l'injustice d'une confiscation d'objets dont le transport n'était pas clairement coupable, était trop criante, les juges de prises ont inventé, pendant les guerres maritimes à outrance, le système de remplacer la confiscation par un droit de préemption ou de simple séquestre dans les cas où les objets saisis n'appartenaient pas à la catégorie de la contrebande absolue et non controversée, ou bien, où leur destination ennemie n'était pas claire, de telle sorte qu'il pouvait y avoir des opinions différentes sur la question de savoir si le transport était coupable ou non. Ce système étrange d'infliger des peines mitigées à des actions qui n'étaient que suspectes mais non pas incontestablement illicites, a fleuri pendant les guerres de la Révolution française, à l'époque où les flottes des puissances occidentales causaient de grands ravages, et il a même été toléré explicitement, en vertu de stipulations conventionnelles. La partie passive s'y est alors résignée dans le but d'échapper du moins aux confiscations, en préférant d'entre deux maux le moins grand, dans des cas où strictement il ne devait être question d'aucun. A une époque, où des alternatives aussi révoltantes pouvaient être posées aux neutres, il n'est guère étonnant que ceux-ci, n'ayant d'autre

choix, souffrissent des injustices plus supportables pour éviter des injustices moins supportables. Ce qui est plus étonnant, c'est qu'encore de notre temps ces sortes d'injustices peuvent trouver un seul défenseur sérieux dans la littérature du droit des gens'. Punir une action dont la culpabilité n'est pas manifeste, c'est-à-dire punir un innocent, est un principe aussi indigne du droit international qu'il est exclu de toute législation des nations civilisées.

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Sera réputé service de transport, contraire à la neutralité quoique ne rentrant pas dans la catégorie des contrebandes, le fait de transporter certaines personnes ou choses pour le compte d'un belligérant et en vue de la guerre, ainsi que le pilotage pour lui, selon ce qui suit (§§ 104-108).

Quelquefois ont été rangés parmi les articles de contrebande de guerre certains objets qui n'y appartiennent pas, bien que leur transport pour le compte ou à destination d'un belligérant puisse être interdit. Non seulement chez des publicistes mais aussi dans des lois et traités, certaines personnes et communications sont considérées comme une espèce de contrebande, du moment qu'elles ont été apportées à un ennemi ou transportées à cause de lui, de manière à le renforcer ou l'aider dans la guerre, soit matériellement soit même intellectuellement. C'est ainsi que se rencontrent depuis longtemps sur les listes de contrebande des objets tels que « soldats », « troupes », etc., dernièrement aussi « documents ».

Comme toutefois cet élargissement de la notion de la contrebande de guerre se conciliait peu avec la terminologie juridique,

1 V. Bluntschli (§§ 806, 811)

2 Cet article est traité plus en détail dans la monographie De la contrebande de guerre et des transports interdits, etc., par Richard Kleen, Paris 1893, pp. 223-272.

les personnes et les correspondances n'étant ni des marchandises ni des munitions, tandis que la contrebande a été de tout temps définie comme telles, les choses ainsi intruses dans sa catégorie n'y furent pas toujours rangées de la même façon que les autres objets prohibés, ni sans restriction. Parfois, il est vrai, on les trouve simplement insérées dans les listes comme des articles de contrebande ordinaires. Mais d'autres fois elles y sont ajoutées (« assimilées ») sous d'autres dénominations, un peu modifiées, par exemple sous la qualification de contrebande improprement dite ou dans le sens figuré, « quasi-contrebande », « analogues de la contrebande», etc.

Ainsi, Bynkershoek range les soldats dans sa spécification de la contrebande de guerre, et Hübner y compte les troupes organisées et les recrues. Parmi les modernes, Heffter confère la dénomination peu propre de « contrebande par accident » aux transports de << soldats, matelots et autres hommes destinés au service militaire » d'un belligérant, dépêches d'un belligérant ou à un tel, servant à » la correspondance avec ses agents à l'étranger non résidant » ordinairement dans un pays neutre »; et il y ajoute « l'envoi de » vaisseaux de guerre construits ou armés dans un port neutre ou » ailleurs, effectué pour le compte d'un belligérant ». Bluntschli, Field et Creasy comprennent les gens de guerre et les dépêches dans la catégorie des articles de contrebande. Ils divisent ceux-ci en quatre classes: personnes, navires, marchandises, documents. D'après leur système, des personnes peuvent devenir contrebande, quand elles sont en route pour venir en aide à un ennemi dans un but militaire, ou bien sont revêtues de la qualité de militaires au service de l'ennemi, en faisant partie intégrante de sa force armée ou en entretenant des relations avec les opérations de guerre en vertu d'une autorisation officielle. Selon Creasy, y appartiennent les soldats, les matelots, et les officiers civils et militaires envoyés au service de l'ennemi et à ses frais. Quant aux documents, Field convient qu'ils ne constituent de la contrebande de guerre que quand ils consistent dans des communications officielles, émanées des officiers ennemis ou à eux adressées, et propres à servir aux opérations militaires; tandis que le contenu des dépêches qui se trouvent sur des paquebots est libre. Creasy traite au fond les documents et les dépêches défendus comme des objets d'un service de transport interdit, tout en maintenant malgré cela, avec peu de

conséquence, la dénomination de contrebande. Bluntschli met sur sa liste de contrebande « les dépêches relatives à la guerre et trans» portées dans l'intention de favoriser un des belligérants ». Il s'appuie sur un jugement de prise par lequel fut condamné, en 1808, un navire neutre pour avoir conduit des dépêches semblables d'une autorité ennemie au gouvernement de celle-ci; quoiqu'il soit évident que cet exemple représente l'acte au contraire comme un service de transport. Il en est de même de l'exemple, invoqué également par Bluntschli, des décrets par lesquels les puissances occidentales prévinrent les neutres dans la guerre de Crimée « qu'ils ne devaient » pas transporter des dépêches relatives à la guerre » 1. Encore le transport de militaires faisant partie des armées belligérantes est, selon Bluntschli, « assimilé au transport de matériel de guerre et >> envisagé comme contrebande ». — Les auteurs qui, comme Wheaton, Wildman et Phillimore, ont l'habitude de conformer leur doctrine aux précédents fournis par les juges de prises, rendent plus ou moins passivement l'usage de ceux-ci d'introduire des personnes et des documents réputés secours de guerre dans la liste de contrebande, sans s'occuper de la question de savoir si cet usage s'accorde avec les définitions et les notions. Selon la pratique de prise anglaise, sont qualifiés de contrebande de guerre les soldats et matelots au service belligérant; les fonctionnaires civils et militaires envoyés à l'étranger en mandat officiel et aux frais d'un belligérant, y compris les courriers porteurs de dépêches défendues.

Une nuance intermédiaire, entre le système absurde qui confond ainsi les personnes et les correspondances avec le matériel et les munitions, et le principe strict qui distingue nettement ces deux différents groupes d'objets transportés contrairement à la neutralité, est constituée par ceux qui font du premier des dits groupes une classe de transports analogues» ou « semblables » à la contrebande, sans l'identifier avec celle-ci. Cette nuance est principalement représentée par Gessner. Tout en établissant avec justesse que « la dé>> nomination de contrebande est restreinte aux armes et aux

1 En général, les décrets et ordonnances y relatifs publiés par les belligérants et les neutres lorsque la guerre de Crimée éclata, défendent, comme deux sortes différentes de délits de neutralité, d'une part le trafic de contrebande, d'autre part le transport de troupes ou de dépêches (v. les décrets de la France et de l'Angleterre du 28 mars, de la Suède du 8 et de la Prusse du 22 avril 1854). De même, la déclaration de neutralité de l'Angleterre du 30 avril 1877.

» munitions », il désigne du nom d'analogues de la contrebande : le transport de soldats ou de matelots chez une puissance belligérante, ainsi que de dépêches de ou pour une telle puissance, à quoi on ajoute, dit-il, la fourniture de ́navires pouvant servir à la guerre ou aux transports; et il motive cette désignation par l'observation que les dits objets, sans être compris dans la définition de la contrebande, ont avec celle-ci « les plus grands rapports ». Gessner semble donc saisir parfaitement la différence profonde de ces sortes de transports d'avec le trafic de contrebande, bien qu'il veuille tenir compte d'une pratique présumée. Mais on comprendra difficilement pourquoi, avec la distinction rationnelle que fait ainsi ce publiciste, il n'a pas laissé aux navires de guerre leur nom véritable de contrebande de guerre 1.

Dans plusieurs traités anciens, par exemple celui d'Utrecht, et ceux conclus, en 1661 entre l'Angleterre et la Suède, et par les ÉtatsUnis en 1778 avec la France, en 1782 avec la Hollande et en 1785 avec la Prusse, l'article « soldats » se trouve parmi les objets énumérés dans la liste de contrebande. Et le décret italien du 20 juin 1866 y insère tant le dit article que l'article « dépêches ». D'autre part, on trouve aussi des lois et traités qui observent la différence entre le transport de ces objets et celui des objets de contrebande'.

Ce sont surtout les militaires, les dépêches et les navires de guerre, qui ont été déclarés contrebande par analogie. Parmi ces trois articles, le dernier est le seul qui soit de contrebande; mais il l'est de la manière ordinaire, sans condition ni analogie, et sans qu'il y ait lieu de modifier à cause de lui la notion générale de la contrebande de guerre. Par contre, ni les militaires ni les dépêches ne peuvent être caractérisés contrebande sans renverser la notion même de celle-ci, théoriquement et pratiquement. Théoriquement, en effet, cette notion a de tout temps renfermé celle de marchandise, et selon le principe moderne elle est de plus limitée aux armes et aux munitions. Encore sous d'autres rapports, l'analogie n'existe guère. La confiscation, répression distinctive de la

1 Bynkershoek, cap. IX; Hübner, t. I, 2me ptio, ch. I, § 5; Heffter, § 161 a; Bluntschli, §§ 803, 815; Field, §§ 852-853, 861-862; Creasy, §§ 569-570, 591-592, 595; Gessner, p. 111.

2 Par exemple, les décrets publiés sur la matière lors de l'ouverture de la guerre de Crimée (v. suprà, p. 454, n. 1).

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