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L'État neutre ne doit permettre à aucun des belligérants d'occuper par des forces militaires quelque place ou point sur son territoire, ou de faire stationner des bâtiments de guerre dans ses eaux.

La validité de cette règle, si évidente, est de nos jours rarement contestée. On ne regarderait plus comme neutre l'État qui souffrirait qu'un seul soldat d'un belligérant mît le pied sur son sol, moins encore celui qui permettrait, soit que quelque troupe relevant d'une armée belligérante s'y fixât, y prît possession de quelque région ou district, y occupât quelque forteresse, port ou place, soit qu'une escadre ou des navires de guerre des belligérants s'arrêtassent dans les eaux territoriales. Autrefois, des actions semblables furent tolérées, et cela, pour des causes de nature diverse. Quelquefois un État neutre, dont la tranquillité ou la liberté d'action étaient menacées par l'une des parties belligérantes, pouvait convenir avec l'autre partie que celle-ci occuperait éventuellement telle place ou province sur le territoire neutre, afin de prévenir sa violation par l'adversaire ou pour pouvoir s'opposer plus facilement à ses prétentions arbitraires. En ces occasions, l'acte de l'occupant était ordinairement motivé par le but d'empêcher que le neutre, peutêtre trop faible pour résister, ne fût entraîné dans la sphère d'action de l'ennemi; ou bien, l'occupation devenait le dernier moyen pour retenir de force dans sa dépendance un neutre suspect ou chancelant, ou pour l'empêcher de prendre fait et cause pour l'adver

saire 1.

D

1 Encore chez Vattel (§ 122) se rencontre l'opinion, aussi dangereuse qu'arbitraire, qu'en cas d'extrême nécessité un belligérant peut être autorisé « à se saisir pour un temps d'une place neutre, à y mettre garnison pour se couvrir contre l'ennemi, ou » pour le prévenir dans les desseins qu'il a sur cette même place, quand le maître n'est » pas en état de la garder; et Vattel trouve que la violation est réparée par le paye

Toutefois, avant la réglementation définitive du devoir des neutres de s'opposer aux tentatives d'occupation des belligérants, du moins leur droit à cet égard fût-il reconnu, et cela, plus tôt et avec moins de difficultés que la plupart des autres droits inhérents à la souveraineté territoriale, déjà au temps où furent tolérés les passages violents des belligérants, la poursuite de troupes ennemies sur le sol neutre, etc. C'est que l'occupation d'une place, étant une action plus permanente et plus systématique, constituait une violation. bien plus frappante qu'un passage à travers le pays, acte transitoire et qui laissait plus de latitude aux prétextes de la « nécessité ». Encore à l'époque où les belligérants étaient accoutumés à exiger les passages comme un droit, il leur fallait recourir aux instances et aux pourparlers pour obtenir la faveur d'une occupation, bien qu'aux persuasions et aux pressions pouvaient se joindre des menaces d'hostilités en cas de refus. Et toujours est-il que la neutralité était considérée comme plus ou moins limitée par suite d'une occupation tolérée.

Aujourd'hui, non seulement le droit des neutres contre toute tentative d'occuper quelque point que ce soit sous leur souveraineté est clair, mais encore on exige d'eux comme un devoir de ne pas le souffrir. Des causes nombreuses, qui sous ce rapport exposaient jadis les neutres aux tentations et aux dangers, n'existent plus. Ainsi, la politique plus nettement tracée et le contrôle public plus sévère de notre époque ne feraient plus dépendre la neutralité d'événements incalculables, de la nature que présuppose l'opportunité de mesures telles que l'admission de l'une des parties belligérantes au territoire pour pouvoir tenir ferme contre les prétentions de l'autre partie, ou pour éloigner les soupçons, retenir l'amitié d'un gouvernement chancelant, et autres marchandages semblables, plus ou moins arbitraires, entre des gouvernements autocratiques. Des mesures pareilles sont exclues déjà par les constitutions et représentations modernes. Aucune nation, consciente de sa souveraineté, ne laisserait influencer sa neutralité par des pressions

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ment des frais et dommages-intérêts, et excusée par la limitation de l'occupation à la durée du danger. Les prétextes allégués sont d'autant moins valides que personne n'est juge, ni d'un tel danger, ni des desseins d'un adversaire qui n'est pas le sien, et qu'un neutre, qui aurait besoin de garder ses propres places contre un ennemi, cesserait par cela même d'être neutre, tandis que, tant qu'il resterait tel, personne sur son territoire n'aurait besoin de se couvrir contre un ennemi.

violentes de l'espèce de celles qui trouveraient leur expression dans les invasions; et elle ne permettrait l'occupation d'aucun point sur son territoire par des troupes étrangères belligérantes sans une alliance régulière, qui ferait du reste, comme telle, cesser la neutralité. La seule raison qui puisse entraîner un gouvernement contemporain à laisser occuper par un belligérant des places sous sa souveraineté, consisterait donc dans le motif d'ouvrir à ce même belligérant un refuge ou un point d'appui ou de départ pour ses opérations. Un acte pareil, absolument inconciliable avec une neutralité honnête, serait considéré comme une participation à la guerre, qui délierait la partie belligérante adverse de l'obligation de respecter le territoire ainsi livré à son ennemi, et lui donnerait le droit d'y attaquer celui-ci tout comme chez lui'.

Si un belligérant s'avise d'occuper de violence quelque point sur un territoire neutre, le souverain de celui-ci doit s'y opposer, en ayant recours à toutes ses forces militaires s'il le faut, supposé qu'il veuille jouir des avantages de la neutralité. Lors même qu'il fût trop faible pour empêcher l'entrée des forces du belligérant contrevenant sur son sol ou dans ses eaux, toujours est-il qu'il se trouverait en état de guerre avec lui par suite de la violation, et pourrait faire cause commune avec son ennemi. Autrement, cet ennemi ne saurait être tenu au respect de la neutralité ainsi supprimée de fait; il serait autorisé à entreprendre lui-même l'expulsion de son adversaire.

Le stationnement fixe de navires de guerre d'un belligérant dans les eaux neutres équivaut à une occupation. Sans doute, la violation du territoire est moins saillante. En principe, elle est la même, en tant que la souveraineté soit la même partout où elle règne. Et quant à la neutralité, elle est également rompue n'im

1 Cp. Klüber, § 285; Saalfeld, § 119, p. 277; Hautefeuille, t. I, tit. V, ch. I, pp. 442 et suiv.; Bulmerincq, § 92, p. 358. Heffter comprend d'une manière très imparfaite le devoir du neutre dans cette partie, quand il exprime la défense des occupations par les belligérants en ces termes : Le neutre ne peut céder à l'une des parties aucune ⚫ place fortifiée ni aucun port de guerre,... non plus permettre que ses ports, ses rades » ou ses mers territoriales servent de station aux bâtiments des puissances belligérantes (§ 147) ». Le droit international contemporain ne se contente pas d'interdire aux belligérants l'occupation de ces parties, les plus importantes, du territoire neutre il leur défend d'en occuper quelque point que ce soit. - Klüber estime que cela pourrait être permis, si le neutre pouvait alléguer un traité conclu à cette fin avant la guerre (§ 281). Comme nous l'avons déjà dit (v. suprà, § 112, pp. 483-486), convenir avec un belligérant de telles faveurs, ce serait convenir de rompre la neutralité.

porte où s'arrête une force belligérante sous la domination d'un État neutre 1.

ARTICLE III

PASSAGE

Aperçu historique

Autrefois, on était peu exact quant à l'accomplissement du devoir de fermer le territoire neutre aux passages des troupes des belligérants. Il fut toléré, non seulement que les États neutres accordaient le droit de passage tout en maintenant la neutralité, mais encore que les belligérants le prenaient. A cet égard, même le droit souverain de l'État à l'interdiction était de beaucoup moins respecté que quand il s'agissait d'occupations: il fut davantage contesté et plus souvent violé. Surtout au temps où les questions de neutralité furent réglées du point de vue exclusif des belligérants, un État qui, en faisant son entrée en campagne, trouvait avantageux de passer par un pays neutre pour arriver à son ennemi, demandait le passage d'un ton menaçant, et, en cas de refus, faisait simplement passer ses troupes par les provinces, en usant de violence. Quelquefois, on ne prenait pas même la peine de présenter la demande. On passait, surtout si l'ennemi ne pouvait être atteint par d'autres voies, ou que, en tout cas, le territoire neutre se trouvait sur le chemin de la marche à sa rencontre. Aux protestations des neutres dans des occasions semblables fut cyniquement opposé ce principe : « Celui qui m'empêche de forcer » mon ennemi ă la reconnaissance de mon droit, est mon ennemi, dont je » n'ai pas besoin de respecter la souveraineté ». Ainsi, en partant du point de vue unilatéral que chacune des parties belligérantes considérait

1 Les occupations traitées dans cet article ne doivent pas être confondues avec celles des neutres en pays belligérant. Comme les territoires des belligérants font partie du théâtre de la guerre, l'État neutre qui en occuperait quelque point ou partie, abandonnerait par cela même sa neutralité; et cet abandon revêtirait particulièrement le caractère hostile du moment que les points occupés auraient quelque signification pratique pour les opérations. La partie adverse, qui y porterait ses armes, serait autorisée à traiter en ennemi toute force armée qu'elle y rencontrerait, par conséquent aussi l'État dont celle-ci porterait les couleurs. D'ailleurs cet État, en jetant une partie de ses forces militaires sur le théâtre de la guerre, se serait ingéré dans les hostilités. Mais l'acte y relatif ne rentre pas dans la catégorie des délits de neutralité ici en question et par lesquels le territoire neutre est l'objet de l'abus. Il appartient à la catégorie traitée plus bas, ch. III, art. II (§ 141).

sa cause comme juste, celle de la partie adverse comme injuste, on en déduisait ce principe soi-disant international, que la justice présumée en propre intérêt de côté et d'autre créait pour tous les belligérants un droit qui conférait la prétention d'une exécution violente. Le fondement adopté de cette prétention, à savoir la supposition que tout peut être juste pour celui qui le fait mais non pour son ennemi, était donc aussi illogique que subjectif. Et, une fois que les passages violents étaient tolérés sur cette base, comme un « droit » pour le belligérant, ils furent bientôt tolérés par son ennemi comme une concession par le neutre, de sorte que, jusqu'au XIXe siècle, les États étaient censés pouvoir accorder des droits de passage sans rupture de leur neutralité.

Furent surtout exposés aux passages des troupes belligérantes les petits pays qui, par leur situation géographique enclavée entre d'autres États plus grands, étaient croisés par les principales routes militaires, et qui manquaient des forces requises pour s'opposer à l'entrée sur leurs territoires de corps d'armée puissants. Par contre, quand exceptionnellement l'État enclavé n'était pas si faible, le passage pouvait bien rencontrer de la résistance. Il en résultait des controverses, qui conduisaient peu à peu à la concentration de la question juridique dans le prétendu droit du neutre d'accorder le passage. Un État donc, qui désirait s'assurer d'avance de ce que celui-ci lui serait concédé, ou du moins refusé à son ennemi, tâchait d'en conclure à temps une convention avec l'État neutre1.

Les grandes guerres de la Révolution française firent époque dans ces questions. Alors, du moins reconnut-on au neutre le droit de refuser le passage. Seulement, l'application de ce droit ne fut pas encore considérée comme un devoir. Même pour les armées de Napoléon, la permission du gouvernement neutre fut demandée d'avance, chaque fois qu'il s'agissait de passer par une province neutre. Ce qui semble prouver, que la décision de la question du droit dépendait du bon vouloir de l'État souverain du territoire, et que, d'autre part, un belligérant n'était pas censé avoir le droit de se plaindre d'une faveur de passage accordée à son ennemi, à

1 Ces conventions de passage se rencontrent en grand nombre, surtout entre la France et la Suisse, depuis la fin du moyen àge jusqu'au Premier Empire. La Suisse s'obligeait à ne point accorder de droit de passage aux ennemis de la France. Lors de la Paix de Westphalie, les souverains allemands convinrent de s'accorder mutuellement ce droit entre eux, mais non pas à des souverains étrangers. Un accord analogue fut conclu plus tard entre les États de la Confédération du Rhin. Dans l'intervalle, l'on trouve entre diverses puissances des traités avec la clause de ne pas accorder des passages aux ennemis les unes des autres. Vers la fin du XVIIIe siècle, des traités contiennent l'obligation des parties de ne faire passer leurs troupes par aucun pays neutre sans le consentement préalable de celui-ci. De là, peu à peu se fit jour la règle selon laquelle les passages devaient être interdits absolument. (Cp. Martens, Recueil, t. V, p. 349; t. VI, p. 525.)

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