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LIVRE PREMIER

PRINCIPES FONDAMENTAUX

CHAPITRE PREMIER

NOTION DE LA NEUTRALITÉ

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§ 1 - Définition

La neutralité est la situation juridique dans laquelle un État pacifique est, autant que possible, laissé en dehors des hostilités qui ont lieu entre des États belligérants, et s'abstient lui-même de toute participation ou ingérence dans leur différend, en observant vis-à-vis d'eux une stricte impartialité.

Chaque État qui, dans une semblable situation, reste en dehors d'un état de guerre, est neutre.

Dans la définition de la neutralité, il faut particulièrement relever que le neutre ne reste qu'autant que possible en dehors des hostilités qui ont lieu entre des belligérants.

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Certes, à mesure que la neutralité sera rendue plus complète et plus parfaite, le neutre sera de moins en moins touché par la guerre, de sorte que l'influence de celle-ci sur lui — à savoir une souffrance en général non méritée sera peu à peu réduite à un minimum. Mais cette influence ne pourra jamais entièrement disparaître. Aucun État neutre ne peut se soustraire absolument aux effets d'une guerre, pas même celui qui s'en tiendrait de la manière la plus stricte à l'application des droits et des devoirs de la neutralité. Déjà la dépendance mutuelle des nations les unes vis-à-vis des autres les liens qui les unissent et que rend plus étroits le développement des échanges internationaux, qui les font souffrir des souffrances des autres et éprouver des pertes par suite des pertes des autres rend impossible à un État pacifique quelconque du monde civilisé d'échapper au contre-coup d'une guerre qui se

poursuit entre deux ou plusieurs autres États civilisés, avec lesquels il pouvait entretenir jusque-là, librement et sans obstacles, un trafic régulier, des relations d'amitié et de commerce. Il y a plus. Le respect du droit des neutres fût-il encore plus grand qu'il n'est; le droit international positif fût-il capable de libérer successivement les neutres d'un certain nombre de prétentions plus ou moins exagérées concédées aux belligérants et qui sont actuellement autant de violations de la liberté naturelle et de la souveraineté des neutres, comme le droit de visite, la prohibition de la contrebande de guerre en pleine mer, la compétence des tribunaux de prises nationaux des belligérants, etc., les neutres ne pourraient cependant point éviter complètement d'être affectés par les événements de la guerre, pas même en ce sens qu'ils jouiraient sans restriction des mêmes droits et immunités dans leurs relations avec les belligérants, et obtiendraient la même satisfaction pour leurs prétentions au libre échange avec eux, que durant la paix. Comme les possessions et territoires des belligérants sont souvent en partie investis ou cernés par suite de blocus, de sièges ou d'autres opérations militaires, avec le droit pour l'assaillant d'empêcher qui que ce soit de communiquer et de commercer avec l'ennemi, et comme le neutre ne pourrait en pareil cas pénétrer chez celui-ci qu'en commettant une infraction au droit des gens, il ne jouit plus alors du même droit et de la même liberté que dans l'état non troublé. Son droit est limité; et on lui impose des devoirs inconnus en temps de paix. Il pouvait alors, par exemple, transporter en tous lieux toutes sortes de marchandises, sans enfreindre le droit international; maintenant, il ne le peut plus.

Une guerre intéresse donc toujours les neutres, en tant que les nations sont incapables de s'isoler, et cela doublement: 1° directement, à cause de l'état exceptionnel de la guerre, qui ferme aux neutres des débouchés jusque-là ouverts, qui vient modifier leur droit naturel et reconnu en temps de paix de trafiquer librement avec les belligérants, et qui leur impose par conséquent de nouveaux devoirs; 2 indirectement, par suite des souffrances et des pertes que se causent mutuellement les belligérants, et qui, en suite de la solidarité du commerce universel, se communiquent par voie médiate aux pays neutres.

C'est donc une erreur de représenter, ainsi qu'on le fait quel

fois, la neutralité comme un état identique à celui de la paix. Celui-ci ne continue à régner sans modification qu'en tant qu'il n'est point limité par le droit et le but de la guerre. Et la neutralité elle-même, qui ne peut être que relative mais jamais absolue, n'implique nullement une simple prolongation de l'état de paix. Elle constitue un état juridique nouveau, qui se distingue de l'état de paix ordinaire, tant par l'influence des événements de la guerre sur les rapports de droit, que par les devoirs, de nature toute spéciale, que la guerre impose aux neutres.

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1. Rester neutre pendant une guerre, est un droit incontestable et inaliénable, appartenant à tout État libre et indépendant, qui n'intervient pas volontairement dans une guerre et qui n'y prend aucune part.

Tout État, qui veut forcer un autre État à renoncer à la neutralité, porte atteinte à sa souveraineté et viole son indépendance.

2. A ce droit des neutres correspond le droit des belligérants d'exiger d'eux qu'ils ne prennent aucune part aux hostilités et qu'ils ne favorisent aucune des parties en guerre.

1. Le droit d'un État indépendant de rester en paix est un droit primordial, parce qu'il fait partie de la souveraineté, qui rentre dans la notion même de l'État dont elle est un attribut. Il suit de cette souveraineté, que le gouvernement qui, par des raisons qu'il appartient à lui seul d'apprécier, ne trouve pas convenable de prendre part à une guerre, peut rester en dehors d'elle, sans jouer aucun rôle dans les hostilités qui ont lieu entre les belligérants. Il peut continuer à entretenir des relations amicales avec ceux-ci, comme avec tous les États, qu'ils soient en guerre ou en paix. Le maintien de la position de neutre, lorsqu'une guerre éclate, n'exige donc pas même une déclaration formelle de la neutralité: il est présumé, tant que l'abandon de la neutralité ne résulte pas d'un acte quelconque. Nul État n'est autorisé à se livrer à 1 V. Hautefeuille, t. I, p. 366.

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