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de chauffer lesdites étuves; on craignait évidemment le rapprochement entre les gens sains et les gens contaminés.

Tout manant, tout mendiant sera impitoyablement rejeté de l'intérieur des églises. Les ladres ou lépreux, habitants de Paris, se retireront en leurs maladreries. Les chirurgiens et barbiers seront tenus de ne point jeter dans la partie de la Seine comprise dans l'enceinte de Paris le sang des saignées qu'ils auront pratiquées, mais de le porter au delà de cette enceinte, au-dessous de l'écorcherie aux chevaux. Ces mêmes chirurgiens, s'ils ont été convaincus d'avoir saigné des lépreux, devront s'abstenir de pratiquer leur métier pendant un temps déterminé par la justice. Les mêmes prohibitions s'appliquent aux maréchaux, qui recevront dans un vase le sang provenant de la saignée des chevaux et qui iront jeter ce sang aux voiries, hors la ville et les faubourgs. On leur défend aussi d'entretenir leurs forges avec du charbon de terre; on s'imagine que les vapeurs bitumineuses répandues par ce combustible, alors nouveau, peuvent aider le fléau dans ses manifestations. Excellente mesure: le pavé devant les maisons sera réparé s'il est mauvais; soir et matin, « mesmement dans le ruisseau »>, on arrosera; on empêchera l'engorgement des égouts, on laissera l'eau du ciel tomber en toute liberté sans balayer, ni nettoyer durant cette pluie.

A la même époque on créa des Prévôts de la santé qui, aidés d'un certain nombre d'archers, devaient s'enquérir des maisons infectées. Les prévôts devaient marquer d'une croix blanche les maisons abritant des pestiférés, et veiller à ce que les domestiques de ces mêmes maisons ne sortissent qu'avec une verge blanche à la main. Ceux

qui osaient effacer ces croix blanches avaient le poing coupé. Les officiers sanitaires, leurs aides et archers, ne marchaient dans les rues que portant une casaque d'étoffe noire avec une croix blanche.

Dans la peste qui ravagea Marseille en 1720, on prit

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une mesure encore plus extravagante. Les médecins chargés de soigner les pestiférés portaient une robe en maroquin du Levant, parce que, disait-on, cette étoffe, par son odeur et son poil, est le plus capable de résister au venin pestilentiel; la tête était complètement fourrée dans un capuchon fait du même maroquin; ce capuchon était percé au niveau des yeux d'ouvertures pour permettre la vue, mais ces ouvertures étaient soigneusement

PROUST. Peste.

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bouchées par un cristal. Le nez en forme de bec était rempli de parfums et de matières balsamiques.

Déjà Charles de l'Orme, médecin de Louis XIII, raconte en quel singulier costume il soignait les pestiférés : « Je me fis faire un habit de maroquin que je ne quittai plus, et je pris l'habitude de ne jamais sortir sans avoir dans la bouche de l'ail, dans le nez de la rue, dans les oreilles de l'encens, sur les yeux des bésicles. Plus tard même je fis faire un masque du même maroquin que l'habit, où j'avais fait attacher un nez long d'un demipied, afin de détourner la malignité de l'air. »>

Une figure du Traité de la peste de Manget (1721) représente une variante de cet habit carnavalesque qui, d'après l'auteur, aurait été importé d'Italie. C'est dans le même accoutrement que nous voyons un médecin de Marseille, pendant la grande épidémie de 1720, figuré sur une curieuse gravure de Melchior Fuesslinus, signalée par M. B. Reber (Janus, 3 livr., p. 299). La légende dit en allemand: « Image de l'habit en cuir de Cordoue d'un médecin de Marseille, pendant la peste, portant dans l'enveloppe du nez des fumigations et tenant la baguette avec laquelle il doit tâter le pouls » (1).

Ambroise Paré nous a laissé un tableau émouvant des misères de toutes sortes dans ces temps de calamités publiques où le malheureux pestiféré, traqué comme une bête venimeuse, était arraché à son foyer domestique, séquestré dans des lieux infects, et souvent victime des voleurs et des assassins. Il ajoutait : « Lorsqu'on apercevait seulement ès rues les médecins, chirurgiens et barbiers, esleurs pour panser les malades, chascun courait après eux, ά coups de pierres pour les tuer comme chiens

(1) Voir Henry Meige (La Nature, 10 avril 1897),

enragés, disant qu'il fallait qu'ils n'allassent que de nuict, de peur d'infecter les sains. »

L'épidémie de peste de 1606 inspira une très grande terreur. On vit alors les gouverneurs de l'Hôtel-Dieu trembler pour leur propre compte, s'éloigner du foyer pestilentiel de ce grand établissement hospitalier, et décider, dans une assemblée tenue le 8 juillet 1606, que leur bureau se tiendrait dorénavant au logis de l'un d'eux, M. d'Aubray (1). Les chanoines de Notre-Dame ne cherchent pas moins à sauvegarder leur santé ; ils s'arrangent de manière à ce que les chapelains qui desservaient l'Hôtel-Dieu n'entrent plus dans l'église métropolitaine; il y avait une porte qui faisait communiquer le chapitre avec une cour basse de l'hôpital, cette porte fut assurée ; il y en avait une autre qui servait de passage aux viandes de boucherie, ou y mit un cadenas et la clef en fut confiée au dépensier (2).

Dans le milieu de l'année 1623, Paris est encore visité par une épidémie. Cette fois on a recours aux lumières de la Faculté de médecine. Le 2 août une grande assemblée a lieu au Châtelet, dans la chambre des causes civiles; le lieutenant civil Le Bailleul y a convoqué tous les officiers de police générale, et invité le doyen des docteurs (André Duchemin) à s'y rendre, accompagné de Claude Gervais, censeur, et de Jean Martin, l'un des médecins de Henri IV.

L'on n'a pas oublié non plus les chirurgiens jurés, les barbiers et les pharmaciens. Hélas! cette séance qui devait être tout entière consacrée au salut public devient une scène sur laquelle se maltraitent ces quatre corps.

(1) Archives de l'Assistance publique, reg. de délibér. de l'Hôtel-Dieu,

n° 6392.

(2) Ibid.

Le premier échevin. Je voudrais que la Faculté désignat dix de ses docteurs qui auraient pour mission d'étudier les causes des maladies régnantes, et d'indiquer les moyens propres à les combattre.

-

Le plus ancien des chirurgiens. — J'appuie fortement la motion de M. le premier échevin; mais il faudrait que les chirurgiens fussent aussi consultés.

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Du Puys, l'un des barbiers. Moi, je possède des formules et des remèdes contre la peste, pourquoi ne les emploie-t-on pas?

Le doyen de la Faculté. - En vérité, c'est par trop d'audace voir un barbier se mêler de choses qui ne le regardent pas.

Un pharmacien juré. Moi je promets de fournir les médicaments nécessaires et l'antidote que dans une autre circonstance la Faculté de médecine a conseillé contre la peste. Que messieurs les médecins veuillent bien me donner leur formule.

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L'assemblée, se levant comme un seul homme. quoi donc, s'il vous plaît?

Et pour

Le doyen. Nous n'avons pas mis la dernière main à la confection de cet opiat, lequel n'a même pas été approuvé par toute la Faculté; nous en donnerons la formule dans l'antidotaire qui sera bientôt livré au public.

Les pharmaciens et les gens de la police en chœur. Soyez donc alors pharmaciens, messieurs les médecins! Nous avons Le doyen gravement et solennellement.

été, nous sommes et nous serons pharmaciens, toutes les fois que cela nous plaira. A vous de vendre les médica

ments.

En 1628, un arrêt de la cour d'Aix enjoignit à tous

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