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D'une bonne action verser la récompense;
Que jamais le mérite avec lui ne perd rien;

Et que,

mieux que du mal, il se souvient du bien.

Que le ciel soit loué!

DORINE.

MADAME PERNELLE.

Maintenant je respire.

ELMIRE.

Favorable succès!

MARIANE.

Qui l'auroit osé dire?

ORGON, à Tartuffe que l'exempt emmène.

Hé bien! te voilà, traître!...

SCÈNE VIII.

MADAME PERNELLE, ORGON, ELMIRE, MARIANE, CLÉANTE, VALÈRE, DAMIS,

DORINE.

CLÉANTE.

AH! mon frère, arrêtez,

Et ne descendez point à des indignités.

A son mauvais destin laissez un misérable,

Et ne vous joignez point au remords qui l'accable.
Souhaitez bien plutôt que son cœur, en ce jour,
Au sein de la vertu fasse un heureux retour; .
Qu'il corrige sa vie en détestant son vice,
Et puisse du grand prince adoucir la justice;

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LE TARTUFFE. ACTE V, SCÈNE VIII. Tandis qu'à sa bonté vous irez, à genoux, Rendre ce que demande un traitement si doux.

ORGON.

Oui, c'est bien dit. Allons à ses pieds avec joie
Nous louer des bontés que son cœur nous déploie :
Puis, acquittés un peu de ce premier devoir,
Aux justes soins d'un autre il nous faudra pourvoir,
par un doux hymen couronner en Valère
La flamme d'un amant généreux et sincère.

Et

FIN DU TARTUFF E.

SUR

LE TARTUFFE.

UN caractère entièrement odieux est rarement propre à la comédie; Aristote l'en exclut même, sans indiquer aucune exception: La comédie, dit-il, est une imitation du mauvais, non du mauvais pris dans toute son étendue, mais seulement de celui qui cause la honte et produit le ridicule. Cet arrêt, prononcé par le plus grand maître de l'art, doit avoir son application dans tous les temps: il est fondé sur la nature de l'esprit humain, qui ne peut trouver une distraction agréable dans la peinture d'un scélérat. Il n'y avoit qu'une exception à cette règle, et Molière l'a devinée. Aristote ne prévoyoit pas que, sous le règne d'une religion qui prescrit une pureté de mœurs inconnue à l'antiquité, on verroit des hypocrites affecter cette vertu, n'avoir dans la bouche que des paroles pieuses, et cependant se livrer en secret aux vices les plus condamnables. Ce contraste entre leurs discours et leur conduite devoit avoir un effet comique: mais quelle difficulté n'offroit pas un pareil sujet ? Si l'on réfléchit au temps où Molière composa ce chef-d'œuvre, à l'ascendant qu'avoient pris tous ceux qui montroient une apparence de dévotion, on voit que les obstacles et les dangers l'environnoient de toutes parts, et qu'on auroit pu lui dire comme Horace à Pollion: Incedis per ignes. J. B. Rousseau l'un de ses plus grands admirateurs, condamne en général tous les caractères odieux; et ce n'est qu'avec beaucoup de

Lettres à Brossette.

I

précaution qu'il propose une exception en faveur du Tartuffe. M de La Harpe, plus éclairé et plus hardi, explique avec autant de précision que de clarté les raisons qui durent décider Molière à traiter ce sujet épineux; c'est le propre du génie d'apprendre de l'art même à franchir ses limites; les esprits médiocres s'assujettissent servilement aux règles; les esprits supérieurs les respectent, les suivent, mais les plient quelquefois à leurs grandes conceptions. «Le Tartuffe, dit M. de « La Harpe, est ingrat, et l'est d'une manière horrible; mais « les grimaces de son hypocrisie et ses expressions dévotes, « mêlées à ses entreprises amoureusés, donnent à son rôle une « tournure comique qui en tempère l'atrocité et la bassesse; « et c'est le chef-d'œuvre de l'art de l'avoir rendu théâtral. ».

L'exposition du TARTUFFE est la plus belle qu'il y ait au théâtre. Madame Pernelle, en grondant alternativement tous ies personnages, les fait connoître : ayant les préjugés des personnes âgées, se passionnant contre ce qui est nouveau, et se livrant à une volubilité de paroles naturelle à son âge et à son sexe, cette femme peint à grands traits les caractères des différents acteurs, de manière que le spectateur peut ôter de chacun d'eux ce qu'elle y met du sien, c'est-à-dire, l'austérité ridicule du temps passé, et connoître ainsi tous ces gens-là mieux qu'elle-même.

Ce caractère de madame Pernelle, qui produit une scène si comique dans le cinquième acte, ne pouvoit être placé convenablement que dans la fable du TARTUFFE. Il en est ainsi de tous les autres, et c'est une preuve frappante de la justesse des combinaisons de ce chef-d'œuvre.

Orgon, dans la guerre de la Fronde, s'est déclaré pour le roi : il a montré de l'activité et du courage; c'est un honnête homme, qui n'a d'autre défaut que la foiblesse et la crédulité.

Parvenu à un âge mûr, il s'est jeté dans la dévotion; et, jouissant d'une grande aisance, il ne cherche plus que la paix et la retraite. Une jeune femme, dont il est aimé, augmente encore cette nonchalance à laquelle il est porté naturellement. Un tel homme n'auroit rien de ridicule ni de théâtral, s'il ne s'étoit pas engoué du Tartuffe. Il montre jusqu'où la bonhomie est entraînée quelquefois lorsqu'elle a mal placé sa confiance.

Elmire, l'un des plus charmants caractères que Molière ait tracés, ne pouvoit trouver place que dans cette pièce. Mariée à un homme plus âgé qu'elle, et qui a des enfants d'une première femme, elle ne montre aucun travers, aucune foiblesse : sa beauté ne lui donne point de coquetterie ; elle est vertueuse. sans être prude; et elle a pour les enfants de son époux des sentiments de tendresse bien rares dans une belle-mère. Ces caractères, qui approchent de la perfection, sont ordinairement aussi peu propres à la comédie que ceux qui ont unc. scélératesse déterminée ce sujet seul pouvoit présenter le vice sans excuse et la vertu sans foiblesse, sous les traits de Tartuffe et d'Elmire.

Damis, jeune étourdi, croyant que la violence suffit pour chasser Tartuffe, fait dans le cours de la pièce des imprudences qui augmentent l'ascendant de l'hypocrite, et qui provoquent même la malédiction paternelle. Dans tout autre sujet, ce personnage seroit mal placé; mais ici on excuse ses emportements, quand on pense au scélérat qui en est l'objet. D'ailleurs rien de plus naturel que le caractère de Damis: la dévotion outrée est tellement contraire à l'esprit des jeunes gens, qu'on voit sans étonnement sa prévention contre Tartuffe avant qu'il soit instruit de sa perfidie.

Il falloit dans cette pièce un homme sage, et d'une véritable piété, qui non-seulement prévînt les conséquences qu'on pou

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