Images de page
PDF
ePub

cette réponse; et Louis XIV voulut savoir pourquoi. Alors on lui raconta en détail comment se nourrissoit habituellement cet évêque, qui n'étoit rien moins que sobre. A chaque plat excellent qu'on nommoit, le roi s'écrioit : Le pauvre homme! Molière, qui étoit du voyage, fut témoin de cette scène, et en tira parti.

On vient de voir que Molière n'a emprunté à quelques auteurs qu'un petit nombre de détails, et qu'il a su parfaitement se les approprier. L'ensemble de ce bel ouvrage lui appartient, ainsi que la conception de tous les caractères, et la manière dont ils sont mis en jeu. Cette comédie est la mieux intriguée, la plus habilement conduite, et peut-être la mieux écrite de toutes ses pièces. La curiosité est excitée dès les premières scènes, et l'intérêt est porté très-loin à la fin du quatrième acte. Le dénoûment a été mal à propos critiqué : c'étoit le seul praticable; il étoit indiqué par le sujet; et la surprise qu'il cause contribue à l'effet, loin de l'affoiblir. Je ne parlerai ici ni de l'espèce de gens que Molière a voulu peindre dans ce chef-d'œuvre, ni des rapports qu'il peut avoir avec les mœurs du temps. Ces détails se trouvent dans le Discours préliminaire.

AMPHITRYON,

COMÉDIE

EN TROIS ACTES ET EN VERS LIBRES,

Représentée à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 12 janvier 1668.

MOLIÈRE. 4.

16

MONSEIGNEUR

LE PRINCE.

MONSEIGNEUR,

N'EN déplaise à nos beaux esprits, je ne vois rien de plus ennuyeux que les épîtres dédicatoires; et votre altesse sérénissime trouvera bon, s'il lui plaît, que je ne suive point ici le style de ces messieurs-là, et refuse de me servir de deux ou trois misérables pensées qui ont été tournées et retournées tant de fois, qu'elles sont usées de tous les côtés. Le nom du grand Condé est un nom trop glorieux pour le traiter comme on fait tous les autres noms. Il ne faut l'appliquer, ce nom illustre, qu'à des emplois qui soient dignes de lui; et, pour dire de belles choses, je voudrois parler de le mettre à la tête d'une armée plutôt qu'à la tête d'un livre; et je conçois bien mieux ce qu'il est capable de faire en l'opposant aux forces des ennemis de cet État, qu'en l'opposant à la critique des ennemis

d'une comédie.

Ce n'est pas, Monseigneur, que la glorieuse approbation de V. A. S. ne fût une puissante protection pour toutes ces sortes d'ouvrages, et qu'on ne soit persuadé des lumières de votre esprit autant que de l'intrépidité de votre cœur et de la grandeur de votre âme. On sait par toute la terre que l'éclat de votre mérite n'est point renfermé dans les bornes de cette valeur indomtable qui se fait des adorateurs chez ceux mêmes qu'elle surmonte; qu'il s'étend, ce mérite, jusqu'aux connoissances les plus fines et les plus relevées; et que les décisions de votre jugement sur tous les ouvrages d'esprit ne manquent point d'être suivies par le sentiment des plus délicats. Mais on sait aussi, Monseigneur, que toutes ces glorieuses approbations dont nous nous vantons au public ne nous coûtent rien à faire imprimer, et que ce sont des choses dont nous disposons comme nous voulons. On sait, dis-je, qu'une épître dédicatoire dit tout ce qu'il lui plaît, et qu'un auteur est en pouvoir d'aller saisir les personnes les plus augustes, et de parer de leurs grands noms les premiers feuillets de son livre; qu'il a la liberté de s'y donner, autant qu'il le veut, l'honneur de leur estime, et se faire des protecteurs qui n'ont jamais songé à l'être.

Je n'abuserai jamais, Monseigneur, ni de votre nom, ni de vos bontés, pour combattre les censeurs de l'Amphitryon, et m'attribuer une gloire que je n'ai peut-être pas

« PrécédentContinuer »