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faire de la République? Il ne le sait pas, et ne peut pas le savoir; et l'abstention d'hommes éminents qui n'ont pas voulu en faire partie, n'a pas d'autre cause. Si, comme on le pense généralement, le personnel de l'administration doit être en grande partie renouvelé par M. de Maleville, il n'y a que des fous furieux qui puissent vouloir, sans nécessité, recommencer l'épreuve du gouvernement provisoire, quand il y a là une assemblée qui a donné tant de gages de probité, de courage et de droiture. Quand le gouvernement aura marqué sa voie et pris des engagements, quand l'ébranlement de l'élection sera apaisé, quand les lois organiques les plus importantes seront faites, nous serons les premiers à conjurer l'assemblée d'appeler l'assemblée législative. Nous avons pour garant de son empressement à le faire, la résolution qu'elle a prise et exécutée de donner promptement un président à la France, malgré les instances de M. Molé, qui voulait retarder la nomination du président jusqu'après le vote des lois organiques.

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Il ne faut pas se le dissimuler néanmoins; la position de l'assemblée va devenir de plus en plus difficile. On ne manquera pas de crier à la versatilité quand on la verra appuyer M. Bonaparte, quoique rien ne soit au contraire plus conséquent. Les impatients, qui n'ont élevé M. Bonaparte que pour renverser par lui l'assemblée, constituante et pour le renverser lui-même par l'assemblée législative, vont commencer contre les neuf cents le système de dénigrement et de calomnies qui leur a si bien réussi contre M. Cavaignac. Les pouvoirs n'ont guère de flatteurs en France, à moins qu'ils ne les payent. En revanche, les ingrats y abondent comme partout; et si on en doutait, qu'on se souvienne des cris d'enthousiasme qui accueillaient M. Cavaignac en juillet dernier, et qu'on voie ce qui se passse aujourd'hui! L'assemblée peut compter au même point sur la justice des partis. Eh, grands dieux! n'avons-nous pas en France des hommes et des journaux dont l'unique force est de calomnier şans cesse, effrontément, impudemment? Tout se croit, même l'invraisemblable et l'impossible. Le jour où l'assemblée nationale se sera dissoute,, on se souviendra du 15 mai et du 23 juin; de cette assiduité, de tout ce travail, de ces instincts honnêtes qui nulle part, dans aucune assemblée, ne se sont manifestés avec plus de force.

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Jusque-là, les haines de parti, les rancunes d'amour-propre,

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l'impatience des candidats évincés et qui veulent revenir vont ameuter toutes les colères contre ce dernier rempart de la liberté et de la sécurité publiques. Qui sait, si moitié fatigue et dégoût, moitié fierté légitime, l'assemblée ne sera pas tentée de déserter son poste avant le temps? C'est aux bons citoyens à l'encourager contre les anarchistes de toutes les couleurs. Nous n'y faillirons pas. Quand personne n'oserait plus dire la vérité, nous la dirions ici pleine, entière, à nos amis, à nos ennemis. Nous avons au moins, dans toutes ces questions, le mérite d'un désintéressement absolu et d'une sincérité sans réserve.

Puisque je parle de dire la vérité, et que c'est le plus souvent un triste devoir, laissez-moi la dire aussi sur un homme que personne ne flattera plus, et dont je ne vous parlais qu'avec réserve dans votre dernier numéro, parce qu'il était encore puissant; sur le général EUGÈNE CAVAIGNAC.

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Vous, monsieur, qui avez connu son frère et vécu au milieu de ses amis, vous le connaissiez peut-être avant la révolution de février. Pour moi, je ne connaissais de lui que son nom et sa bravoure. Je savais qu'on devait le compter au nombre de nos plus braves officiers, avec les Lamoricière, les Bedeau, les Changarnier, et que les opinions bien connues de sa famille nuisaient seules à son avancement. Je le vis avec plaisir entrer au ministère de la guerre. Je le remarquai à peine pendant les quelques semaines qui séparèrent son arrivée de la catastrophe de juin. Vers le milieu du mois de juin, j'entendis parler, comme beaucoup d'autres, du projet de lui confier le pouvoir et de renverser la commission exécutive. Ces bruits ne me parurent point sérieux, et l'on ne disait pas que le général eût donné son assentiment. Il se manifestait peu alors dans l'assemblée; il parut quelquefois à la tribune, et parla sans distinction, avec enbarras, comme un homme entièrement étranger aux habitudes parlementaires. Beaucoup de représentants le trouvaient froid, réservé à l'excès, un peu hautain. Tout en reconnaissant l'utilité de concentrer le pouvoir et de lui donner de l'unité, on ne se souciait pas de résigner une partie notable des droits de l'assemblée dans les mains d'un soldat. Quand le 23 juin eut éclairé tout le monde sur les difficultés de la situation, tous les scrupules disparurent devant la nécessité. Je ne recommencerai pas l'histoire de ces trois fatales journées. Vous savez maintenant, heure par heure, l'emploi du temps de M, Cavaignac, Je

ne rappelle ici que les impressions générales, qu'il est bon de se remettre en mémoire. L'insurrection parut formidable dès le premier jour. On vient nous dire, au bout de cinq mois, que l'insurrection n'était rien dans le commencement, que des patrouilles de cent cinquante hommes auraient renversé du pied les premières barricades. Quoi? Pas même la mémoire de la peur? Quoi? ceux qui parlent ainsi ont déjà oublié l'aspect de Paris le vendredi soir, et ces mots qui couraient de tous côtés dans les couloirs de l'assemblée avant une heure, les insurgés seront ici? Le lendemain, vers midi (mais comment de pareilles choses restent - elles ignorées, cela me passe), une réunion nombreuse de représentants eut lieu dans l'ancienne salle des séances, et là, des membres de l'assemblée que je pourrais désigner par leur nom, déclarèrent qu'il fallait, à l'instant, quitter Paris, transporter ailleurs le siége du gouvernement, donner un blanc-seing au président, et le charger de désigner ensuite, une fois tous les représentants sortis de Paris, la ville où l'assemblée se réunirait. La majorité ne répondit à ces propositions insensées qu'en envoyant deux de ses membres à la tête de chaque légion, et en déployant sur tous les points un courage que tout le monde admira. Il fallait mourir, en effet, sous les décombres de Paris, plutôt que de déshonorer l'assemblée.

Il serait trop lâche en vérité, quand on ne peut plus nier que la victoire est due au sang-froid, à la bravoure, à l'habileté de M. Cavaignac d'amoindrir les proportions du danger pour se débarrasser plus aisément de la reconnaissance.

Ce n'est que tard dans la journée du dimanche que l'on commença à compter sur une victoire. On ne vit éclater dans le premier moment qu'un sentiment profond de délivrance; de la joie nulle part. On ne se rendait pas bien compte encore de la manière dont la lutte avait été soutenue et dirigée; et d'ailleurs pensait-on à quelque chose? Chacun avait remué des cadavres ; on ne voyait autour de soi que des sujets de deuil. Avec la réflexion, la reconnaissance se fit jour. Il n'y eut qu'un cri dans la garde nationale, dans la population, dans l'armée pour saluer celui qui venait de se montrer alors ce qu'il a été durant cinq mois : habile, dévoué, énergique, sans ostentation et sans faste. Il fut unanimement salué du nom de sauveur de la patrie. L'assemblée se leva par trois fois tout entière pour l'honorer, quand il rentra dans son sein; elle déclara à l'unanimité et, s'il faut le dire

cette unanimité était l'unanimité de la France, que le général Cavaignac avait bien mérité de la patrie. Pour lui, il ne prit la parole que pour demander à l'assemblée de comprendre indivisiblement avec lui dans ce vote tous ceux qui venaient de combattre à ses côtés. Pendant la lutte il avait fait publier dans Paris deux proclamations parties du cœur. Je ne pus les lire alors sans une émotion profonde, et je retrouve encore cette émotion en me les rappelant. Qui m'aurait dit, quand j'assistais aux défilés des gardes nationales de la province criant avec un égal enthousiasme Vive la République! et vive Cavaignac! que la France oublierait sitôt tous ces services et toute cette gloire? Qui m'eût dit qu'on accuserait Cavaignac à la tribune nationale d'avoir fomenté cette insurrection redoutable dont lui-même avait triomphé? Qui m'eût dit qu'on traiterait d'ambitieux et de traître celui qui, trois jours après la victoire, vint déposer son autorité dans le sein de l'assemblée, et ne la reprit qu'après le vote unanime de ses collègues? que non-seulement on lui disputerait son honneur de citoyen, mais qu'on mettrait en question son courage de soldat? qu'on lui ferait un crime d'avoir sommeillé quelques heures après avoir passé près de dix heures à cheval au milieu des balles? que des hommes absolument étrangers à l'art militaire viendraient discuter les plans d'un général victorieux et lui faire en quelque sorte un opprobre de leur propre incurie et de leur propre incapacité?

Ce n'est pas Lamartine, ce n'est pas Arago qui eussent donné le spectacle de cette calomnie, eux qui n'avaient pas besoin pour être illustres parmi les illustres, de venir se mêler à nos révolutions, et de déployer, comme ils l'ont fait, à un degré héroïque, le courage du citoyen et celui du soldat; non, non, de telles âmes ne connaissent ni l'intrigue ni la calomnie. Arago et Lamartine ont voté l'un et l'autre l'ordre du jour proposé par M. Dupont (de l'Eure), et M. Cavaignac a remporté dans cette séance une victoire plus difficile peut-être, et pour le moins aussi complète que celle du 25 juin. J'avoue que je me trompai alors; je crus impossible que la France ne fût pas électrisée tout entière par cette éloquence de l'honneur, qui avait fait courir dans toute l'assemblée un souffle d'enthousiasme. Je me demandais quel homme aurait mieux agi, à la tête du pouvoir, que Cavaignac; je ne dis pas plus habilement, je dis avec un sentiment plus profond d'honneur et de probité politique. Toutes les mesures

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qui ont servi à ramener l'ordre dans la place publique et dans les esprits, Cavaignac les a proposées ou s'y est associé avec empressement. Il n'a pas comblé le déficit des finances, il n'a pas ranimé complétement le crédit et les affaires; non, je l'avoue, il n'a pas fait l'impossible. Qu'il ait fait même des fautes en politique, je ne le nie pas. Je ne connais guère dans l'histoire, de gouvernement qui ne se soit jamais trompé. D'ailleurs, en quelles circonstances Cavaignac a-t-il gouverné? On dirait, mon Dieu, que le 15 mai 1848 et le 25 juin 1848 sont séparés de nous par des siècles! Si on oublie l'état de la France, qu'on regarde celui de l'Europe. N'est-ce rien pour un soldat, d'avoir si énergiquement voulu et maintenu la paix? Mais surtout, ce que j'admire, c'est un homme, armé de ce pouvoir, faisant sa candidature avec noblesse dont nous avons été témoins, et poussant la probité jusqu'au scrupule. On le niera peut-être aujourd'hui, parce qu' y a, pour ainsi dire, dans l'air des calomnies encore récentes mais l'avenir, un avenir prochain fera éclater la vérité. Déjà la justice commence. Les mêmes feuilles qui ont traîné le nom de Cavaignac dans la boue, rendent à présent hommage à son talent, à son caractère. Je ne le rappelle ici que pour montrer combien la vérité a de force à Dieu ne plaise que je yeuille invoquer en sa faveur un tel témoignage!

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Au moment où je vous écris, Paris est tranquille, grâce au dévouement de l'administration qui se retire. M. Lamoricière fidèle jusqu'au bout à son noble rôle, publie aujourd'hui même un Ordre propre à dissiper toutes les inquiétudes. Je ne loue pas M. Cavaignac et M. Lamoricière de faire leur devoir, et de donner les premiers l'exemple de la soumission. Je pourrais peut-être les louer d'avoir assuré tous les services pour trois mois, d'avoir repoussé les moyens faciles qui s'offraient à eux de se rendre populaires par leurs derniers actes, de n'avoir pas imité les précédentes administrations, qui ne se retiraient qu'après avoir pourvu tous leurs amis. Ils tombent avec dignité, après avoir usé du pouvoir avec fermeté et modération. L'avenir leur en tiendra compte. Adieu.

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