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légitimité, et c'est ce que veut le parti de l'ordre. C'est par ce moyen que l'ordre s'établira infailliblement dans la rue et dans les esprits.

Il y a surtout un discours qui s'est fait chaque jour pendant près d'un mois, et toujours avec un succès égal; c'est la réponse du ministère aux interpellations dont il est, dit-il, assailli, et qui toutes cependant, vu la gravité de quelques-unes, ont dans la forme un caractère de modération extrême. On dit quelques mots en souriant sur le fond même de l'interpellation, et tout d'un coup on se redresse: « Je demande à l'assemblée si cette interpellation est digne d'elle. Je demande à l'assemblée si son temps est bien occupé par ces interpellations, si le pays n'a pas le droit de se plaindre. Que l'assemblée veuille bien remarquer qu'on nous fait beaucoup d'interpellations: il serait grand temps que l'assemblée se retirât pour nous laisser en paix. >> Ou bien encore on s'écrie, à propos des questions les plus simples « Je suis persuadé que l'assemblée ne nous fait pas d'opposition systématique. » Il est évident qu'elle n'en fait pas, et il est évident aussi qu'on voudrait bien la pousser à en faire. Tout cela est affligeant et misérable. Si l'histoire n'en juge pas comme moi, c'est qu'il n'y a pas de vérité en ce monde.

Mais il y en a une; elle plane au-dessus des partis : ce sont nos intérêts et nos colères qui nous la cachent. Heureux qui dans ces luttes incessantes a toujours obéi à sa conscience! Elle seule peut guider un homme politique dans ce va-et-vient de l'opinion qui passe sans transition et sans raison d'un extrême à l'autre. Pour moi, monsieur, plus je vois de près les hommes qui mènent le monde, plus j'admire la faiblesse de ces hercules, la petitesse de ces géants. Un peu de talent, beaucoup d'intrigue, une morale relâchée, voilà l'étoffe de la plupart de nos hommes d'État. Dans cette grande comédie, mieux vaut l'obscurité et l'impuissance, qu'un pouvoir acheté au prix de l'honneur. Entre les trompeurs et les trompés, mon choix est bientôt fait. Je veux et je prétends être dupe toute ma vie.

Adieu.

Paris, le 11 janvier 1849.

***

P.S. Ce soir même, après un discours de M. Odillon Barrot, où les griefs inventés par la rue de Poitiers contre l'assemblée

nationale ont été reproduits et exagérés, la prise en considération a été votée par 404 voix contre 401. Ce résultat ne peut guère être attribué qu'à la faiblesse de quelques représentants, avertis par leurs électeurs qu'un autre vote eût compromis leur prochaine élection. Ou, peut-être, la prise en considération a-t-elle été votée par certains membres de la chambre pour arriver à la proposition de MM. Garnier-Pagès et Bixio, qui fixent au 4 mai prochain la convocation de l'assemblée législative. Nous voudrions ne pas y voir un nouveau triomphe des éternels ennemis du peuple et des principes libéraux de 89 et de 1830; nous voudrions ignorer que la France est aujourd'hui livrée en proie aux mêmes hommes qui tant de fois l'ont trahie et tant de fois exploitée. Il y a en nous un sentiment dont nous ne pouvons déguiser l'amertume. Ne désespérons pas pourtant de la liberté : ce serait outrager Dieu lui-même!

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La fatale affaire d'Avignon, toute locale qu'elle paraît, eut sur la Révolution en général, on va le voir, une très-grave influence. Il faut bien s'arrêter ici.

Avignon fut le point où les deux principes, le vieux, le nouveau, se trouvant tout d'abord face à face et violemment contrastés, montrèrent, dès le commencement, l'horreur d'une lutte furieuse. Elle produisit d'avance, en petit, comme en un miroir magique, l'image des scènes sanglantes que la France allait présenter. Septembre était en ce miroir, la Vendée et la Terreur.

Et non-seulement Avignon, sur son étroit théâtre, montra et prédit ces horreurs, mais ce qui est terrible à dire, c'est qu'elle les autorisa d'avance, en quelque sorte, les conseilla de son exemple, donna, pour une grande partie des actes les plus barbares, un modèle que le crime inepte imita servilement. Avignon elle-même avait imité, et elle le fut à son tour. Nous expliquerons tout à l'heure cette génération du mal, sa hideuse fécondité.

Mais, avant de raconter les crimes de ce peuple infortuné, qui furent en partie ceux de sa situation, de la triste fatalité de ses précédents, il est bien juste de dire aussi tout ce que lui dut la France.

On se rappelle que les premières tentatives de la contre-révo-.

(1) Extrait, communiqué par l'auteur, du Tome III (seconde partie) de l'Histoire de la Révolution française de M. Michelet. Cette seconde partie paraîtra dans huit jours, chez Chamerot, éditeur, rue du Jardinet, 13.

lution furent faites en Languedoc, sur la trace, brûlante encore, des vieilles guerres religieuses. Des millions de catholiques se trouvant là en présence de quelque cent mille protestants, si l'on pouvait identifier la Révolution et le protestantisme, la Révolution, comme protestante, risquait fort d'être égorgée. Cette combinaison ingénieuse échoua par l'attitude des catholiques du Rhône, spécialement d'Avignon, qui, se montrant aussi révolutionnaires que les protestants du Languedoc, démentirent ce beau système ; la guerre resta toute politique, elle ne devint point une guerre religieuse; elle fut violente et sanglante, mais sans pouvoir entièrement se greffer sur les vieilles racines maudites, qui se sont l'une sur l'autre enfouies dans la terre, des Albigeois à la SaintBarthélemi, aux massacres des Cévennes. Si l'épilepsie fanatique, cette maladie éminemment contagieuse, qui, dans la guerre des Cévennes, frappa tout un peuple, le fit délirer et prophétiser, si par malheur elle eût repris, nous aurions eu un spectacle étrange, horriblement fantastique, telle que la Terreur elle-même n'en a pas offert.

En deux mots: La question s'embrouillait en Languedoc d'un élément très-obscur, infiniment dangereux. Le jour se fit sur le Rhône, un jour terrible, qui pourtant diminuait le péril.

Le parti français d'Avignon se fit français, il faut le dire, sans la France et malgré la France. Il lui rendit, en dépit d'elle, un service signalé. Il avait contre lui, généralement, les autorités royalistes, fayettistes, constitutionnelles. Il trouva en lui toutes ses ressources, naquit de lui-même, vécut de lui-même. Renié cruellement de la France, sans se rebuter, il se jetait dans les bras de cette mère, si peu sensible, qui le rejetait toujours. Il ne l'en servit pas moins d'un dévouement obstiné. Que seraitil arrivé, en juin 1790, si l'homme de Nîmes, Froment, qui avait semé partout sa traînée de poudre, qui, par Avignon et les Alpes, se rattachait aux émigrés, que serait-il advenu s'il eût pu choisir son heure? Avignon ne le permit pas. La contremine, allumée, éclata le long du Rhône. Froment fut obligé d'agir trop tôt, et à contre-temps; tout le Midi fut sauvé.

Ce fut cet infortuné Lescuyer qui, dans ce jour mémorable, arracha des murs d'Avignon les décrets pontificaux. Lescuyer était un Français, un Picard, ardent, et avec cela réfléchi, plus capable d'idées suivies que ses furieux associés. Il n'était pas jeune Établi depuis longtemps à Avignon en qualité de notaire,

il n'avait aucun préjugé contre le gouvernement pontifical; il adressa, dans une occasion publique, des vers spirituels au légat (1774). Mais, quand il connut l'horreur de ce gouvernement vénal, de la tyrannie des prêtres et des maîtresses des prêtres, de leurs agents italiens, de leurs courtiers de justice, qui vendaient aux débiteurs le droit de ne pas payer, qui même, à un prix convenu, s'engageaient à faire rendre telle ordonnance pour faire gagner tel procès, quand il vit l'absence absolue de garantie, les procédures d'inquisition, la torture et l'estrapade, etc., alors il retourna les yeux vers sa patrie, la France, it appela le jour où la France, affranchie, affranchirait Avignon.

Cent fois le parlement d'Aix'avait rappelé à nos rois la nullité du titre des papes. Ce malheureux pays avait été, non vendu, mais donné par Jeanne de Naples, une toute jeune femme mineure, pour l'absolution d'un assassinat qu'avaient commis ses amants. Devenue majeure, elle réclama contre la cession, affirma qu'elle avait été involontaire, arrachée à sa faiblesse.

et

Qu'importait, d'ailleurs, cette vieille histoire? Ce droit eût-il été bon, le pape devait encore le perdre, pour cause d'indignité. » Dans quel état de corruption et de barbarie avait-il laissé ce peuple? L'abominable guerre civile, dont l'expulsion du pape fut l'occasion, est elle-même une accusation contre lui. Cette Provence, jadis policée, cette terre adorée de Pétrarque, autrefois l'une des grandes écoles de la civilisation, qu'étaitelle devenue dans les mains des prêtres ?

Depuis longtemps Avignon avait la guerre en elle-même, avant qu'elle n'éclatât. Dans son peuple de trente mille âmes, il y avait deux Avignon, celle des prêtres, celle des commerçants. La première, avec ses cent églises, son palais du pape, ses cloches innombrables, la ville carillonnante, pour l'appeler comme Rabelais; la seconde, avec son Rhône, ses ouvriers en soieries, son transit considérable; double passage, de Lyon à Marseille, de Nîmes à Turin.

La ville commerçante, en rapport avec le commerce protestant du Languedoc, avec Marseille et la mer, l'Italie, la France et le monde, recevait de tous les côtés un grand souffle qu'on lui défendait d'aspirer. Elle gisait, étouffée, asphyxiée, mourante. Ile infortunée au sein de la France, comme les morts de Virgile, elle regardait à l'autre bord, brûlant de désir et d'envie.

La pire torture qu'ils éprouvaient, ces pauvres Français d'A

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