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légitimes; nous comprenons même la partialité historiqué; les hasards de la naissance l'expliquent sans la justifier; mais nous comprenons moins qu'à trente ans, quand les illusions généreuses doivent être vitaces encore, on écrive la satire de sa patrie. La sensibilité pour une noble infortune, dégénérant en injustice pour le peuple; l'esprit de pârti s'étalant sans contre-poids ni mesure, le sentiment patriotique osant à peine se faire jour, tels sont les principaux caractères de cet ouvrage. Si un talent réel, un style plus ferme et plus coloré que dans l'histoire de Pic V, peuvent paraître une compensation suffisante à ces défauts, M. de Falloux est absous d'avance.

La Russie en présence de la crise européenne, pár TOURGUENEFF.

Les graves événements qui nous agitent depuis février empêchent l'attention publique d'être préoccupée comme elle devrait l'être dés affaires extérieures, dont l'importance cependant est telle que, suivant la solution définitive qui interviendra, la France restera puissance de premier ordre ou descendra au second rang. Puis, faut-il le dire, le public ignore généralement le sens et la portée des complications du dehors; il est mal informé par nos journaux, presque toujours mal renseignés ou assez peu soucieux de la prépondérance de la France pour chereher à égarer l'opinion au profit de leur parti et souvent ainsi au détriment du pays. On ne saurait donc accueillir avec trop de bienveillance ni recommander avec trop d'empressement les écrits des hommes consciencieux qui sont à même d'apprécier les événements et d'en parler en connaissance de cause. Au nombre de ces écrits figure avec honneur eelui que vient de publier M. Tourgueneff, dans le but d'expliquer le rôle de la Russie en présence de la crise européenne et principalement en présence de la révolution d'Autriche.

M. Tourgueneff a eu le bonheur ou le malheur d'exercer en Russie de hautes fonctions. Imbu des idées libérales, travaillé du désir d'ameliorer la condition des Russes, il a fini par inquiéter le despotisme du ezar. Compris, malgré son absence, dans la conspiration de 1825, il a été frappé de proscription. Mais, comme tous les hommes de cœur et vigoureusement trempés, M. Tourgueneff ne s'est pas laissé abattre par l'infortune. Le regard toujours fixé sur son pays, il n'a cessé d'en suivre les destinées. « Dans quelque position; dans quelque lieu que nous nous » trouvions, le souvenir de la patrie nous y accompagne, et ses destinées ont une large place dans nos préoccupations, dit-il. Ce senti» ment, si naturel dans tous les temps, acquiert une nouvelle force » dans un moment de crise comme celui qui pèse aujourd'hui sur l'Europe, quand tout, jusqu'à l'existence des États les mieux assis, semble » mis en question. C'est ainsi que, l'oeil fixé sur les terribles évêne»ments qui bouleversent le monde, j'ai été amené naturellement, à

imon insu, pour ainsi dire, à conjecturer quelles pourraient en etre les conséquences pour la Russie, le pays où j'ai reçu le jour, et que, » hélas! il ne me sera jamais donné de revoir. »

M. Tourgueneff précise d'abord la position dans laquelle la Russie se trouve par elle-même, puis en raison de ses rapports avec les nombreuses populations extérieures qui ont avec elle des affinités de race du de religioni.

Le temps est passé où la Russie comptait à peine en Europe. Aujourd'hui tout le monde admet qu'elle est une puissance formidable. Cependant il est toujours bon de se pénétrer des causes qui expliquent le secret de cette puissance et la démontrent, car rien n'est plus propre à faire tomber dans l'erreur que de croire sans savoir. Plus on connaît, mieux on se rend compté et moins on se laisse surprendre par les événements. A ce point de vue déjà, l'écrit de M. Tourgueneff est plein d'intérêt.

Mais ce qui doit surtout attirer l'attention, c'est toute la partie qui traite de l'influence russe sur le peuple gréco-slave. On comprend alors quel profit la Russie peut tirer des événements qui s'accomplissent en Autriche.

L'auteur trace rapidement l'historique de la politique des czars vis-àvis des peuples dont l'origine est semblable ou a des affinités de race ou de religion avec les populations de leur vaste empire. Or il ne s'agit de rien moins que d'une partie des États de l'Autriche, de la Turquie et de la Grèce. Il montre le gouvernement russe, depuis Catherine II surtout, favorable à ces populations; il rappelle différents faits curieux qui prouvent l'énorme influence qu'exercent dans ces pays la race où la religion; il reconnaît qu'après 1815 l'empereur Alexandre, entraîné par Metternich et abandonnant les voies libérales, entreprit de combattre plus ou moins ouvertement tout ce qu'il avait encouragé jusqu'alors parmi les Slaves et ses coreligionnaires, politique dont le résultat a été d'altérer les sympathies qui les rapprochaient de la Russie. « Cependant, dit M. Tourgueneff, quels qu'aient été les torts de la Russie, nous n'hésitons pas à le répéter, ils seraient bien vite oublié pour peu qu'elle le voulût, pour peu qu'elle changeât de politique, ne ferait-elle que revenir à la politique de Catherine II. Alors on verrait renaître, plus fort que jamais, ce sentiment naturel qui pousse instinctivement vers elle les masses gréco-slaves, en même temps qu'il les éloigne des musulmans, et même, quoique à un degré moindre, des autres peuples de race ou de religion différentes; alors elle trouverait dans ces braves populations des auxiliaires toujours prêts qui, dans une circonstance donnée, doubleraient sa puissance d'action. » Extérieurement, telle est la question capitale du moment; la Russie, exerçant son influence sur les populations gréco-slaves, fait descendre l'Autriche au rang des puissances secondaires. Supposons que l'Angleterre, pressée par l'Amérique, dans l'impossibilité d'empêcher la réalisation des desseins ambitieux de la Russie, dédommagée d'ailleurs comme cela se peut, reconnaisse la nécessité d'une entente cordiale avec le czar, la supposition n'est pas

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inadmissible, — la France, l'Italie, l'Allemagne incessamment agitées, ruinées par cette agitation même, étoufferont sous les étreintes de ces deux puissances et risquent de tomber dans cet état déplorable où nous voyons aujourd'hui l'Italie. Autre hypothèse : la Russie craindra-t-elle le contact des idées libérales? l'Angleterre se rappellera-t-elle ces paroles d'un de ses hommes d'État les plus éminents : « Avec ceux qui ne voient pas que l'intérêt de l'Angleterre est que la Russie n'aille pas à Constantinople je ne discute pas? » pratiquera-t-elle sa constante maxime de soutenir l'Autriche, jusqu'à présent sa meilleure amie comme sa plus constante alliée sur le continent; dans ce cas encore, nous risquons fort d'être compromis.

Et cependant quel beau rôle la France serait appelée à jouer! De quel poids son épée, aidée d'une politique grande et nationale, ne serait-elle pas dans la balance! Réfléchissons-y bien, les circonstances sont critiques, et nous nous trouvons peut-être dans un de ces moments où vont se décider les destinées de notre pays. Nous entendons bien ceux qui disent que le génie européen finira par triompher et que l'industrie, le commerce, les sciences et les arts reprendront leur cours. Prenonsy garde. Prenons garde que, comprimés dans nos frontières, l'on ne veuille nous imposer des lois. Une fois notre ascendant perdu, notre génie initiateur se perdrait également, et pour combien de siècles! Nous le disons à regret il semble que notre honneur national ne nous importe plus autant; il semble que nos cœurs ne battent plus au grand nom de la France et, comme les Grecs du Bas-Empire, que nous ne sachions plus que nous user dans des querelles de partis, dans l'intrigue, dans des idées misérables.

Nous le répétons, l'écrit de M. Tourgueneff est l'œuvre d'un homme de cœur, d'un esprit élevé et parfaitement au courant des questions qu'il traite. Il n'a pas oublié sa patrie et ses sympathies sont pour la cause russe; mais nous n'avons pas moins à profiter de ce qu'il nous apprend. M. Tourgueneff n'en est pas du reste à son début et déjà il avait publié sur la Russie plusieurs volumes qui ont mérité de fixer l'attention des hommes les plus éminents.

A. JACQUES.

A M. LE DIRECTEUR DE LA LIBERTÉ DE PENSER.

MONSIEUR,

L'assemblée nationale ne vit plus, et pourtant elle n'est pas morte. Il est bien tard pour en faire la chronique, il est un peu trop tôt pour en faire l'oraison funèbre. Que vous dirais-je de la proposition Rateau? Ou de la journée du 29 janvier, la journée des dupes par excellence? Je suis si dégoûté de tant de haines, de tant de mensonges, si affligé pour mon pays, si inquiet pour l'avenir, que je ne me sens plus d'énergie pour écrire ou pour parler: s'il fallait agir, à la bonne heure!

Il faut distinguer le parti Rateau en deux classes: les meneurs et les menés. Quant aux menés, ils sont nombreux, comme tous les partisans du changement quand la misère est générale; voilà tout ce que j'ai à en dire. Les meneurs sont aussi de deux espèces le ministère et les monarchistes. Vous direz peut-être que c'est tout un; mais moi, je ne le crois pas. J'ai une foi aveugle dans la parole de M. Barrot, dans celle de M. Lacrosse. Je crois, hélas! qu'il est possible de les tromper; je ne crois pas qu'il soit possible à personne d'en faire des trompeurs.

Au surplus, que le ministère soit, on non, hostile à la République, il est certainement du parti Rateau; et par conséquent, si les ininistres sont républicains, ce que je veux croire, ils sont les seuls républicains de leur parti. Cela vous explique pourquoi au lieu de lui commander, ils lui obéissent.

Que cherche le parti Rateau? Une restauration. Sans cela, n'aurait pas besoin de détruire l'assemblée.

il

Or il y a trois restaurations. Unies contre l'assemblée, elles l'ont emporté par le nombre. Elles vont se séparer après la victoire ; nous allons avoir quatre partis au lieu de deux. Aussitôt, le parti républicain, aujourd'hui vaincu, va se trouver le plus nombreux et le plus fort. Voilà du moins ce que je prévois. La victoire du parti Rateau, comme toutes les victoires remportées par des coalitions, n'est que le commencement de sa défaite.

III.

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On a fait, comme de coutume, beaucoup de discours sur la proposition Rateau, et c'était peine perdue. Tout le monde avait le sentiment intime du vrai caractère de la lutte. Elle était entre les républicains et les ennemis de la République, Je me trompe, parmi ceux que j'appelle les républicains, il y en a beaucoup qui se souciaient peu de la République, qui ne l'ont pas souhaitée, qui n'ont pas contribué à la fonder, mais qui, maintenant, par patriotisme, par esprit de modération, la préfèrent à quelque éphémère restauration, achetée au prix de la guerre civile et de la ruine entière du pays, Disons donc que la lutte était entre les amis, les vrais amis de l'ordre, combattant sous le nom de républicains, et les promoteurs de l'anarchie intellectuelle aujourd'hui, de la guerre civile demain, combattant sous le nom usurpé de parti de l'ordre, J'en demande pardon aux hommes sincères et faibles que la coalition a entraînés.

La droite serait bien forte, s'il n'y en avait pas trois. Il est vrai qu'on peut me répondre que la gauche serait bien forte, s'il n'y en avait pas deux.

Puisqu'il paraît que le pays a besoin, à toute force, d'être gouverné par un parti, la faiblesse et les fautes des partis deviennent presque des malheurs publics. On dirait, à voir cette horreur des concessions, cette obstination dans l'isolement et l'impuissance, qu'il y a toujours, sous toute question de principe, une question de personnes.

Après l'élection du 10 décembre, on pouvait espérer la formation d'un grand parti de gouvernement. Dieu sait qu'on l'avait assez promis. Mon principal grief contre le ministère est de ne l'avoir pas même essayé. Il est bien coupable ou bien à plaindre d'avoir manqué l'occasion de créer une majorité. L'assemblée se donnait. Aucun homine de bonne foi ne peut le nier. Le pays aurait suivi. Nous ne verrions pas ce morcellement des partis, qui rendra la guerre civile interminable, si jamais elle commence.

Si vous cherchez maintenant comment l'assemblée, qui, le 27, paraissait décidée à vivre, s'est suicidée le 29, je vais vous le dire,

Il y avait d'abord le parti Rateau, c'est-à-dire les trois restaurations; mais ce parti, qui avait la majorité au dehors, était en minorité dans l'assemblée. Il fallait gagner quarante ou cinquante VOIX à quels expédients a-t-on eu recours?

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