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Voici les pétitions, les clubs, Lherminier, Proudhon, la garde mobile et la conspiration du 29 janvier.

Tout cela était très-fort isolément. Accumulé, c'était irrésistible. Une chose m'étonne,. c'est la faiblesse numérique de la majorité obtenue,

Voyez d'abord les pétitions. Je sais tout ce que l'on peut dire sur les signatures extorquées; mais au fond il est évident qu'elles attestent un mouvement assez général de l'opinion contre l'assemblée nationale. Aussitôt voilà quelques consciences alarmées sur la légitimité de leur mandat; voilà des amours-propres révoltés; voilà surtout des ambitieux inquiets sur leur réélection. Ce dernier motif est si puissant, que la gauche a été obligée de demander le scrutin secret. C'est une vertu d'avoir pitié des faibles.

Le sens de la loi sur les clubs est fort clair. Le gouvernement pouvait les fermer. Il l'a prouvé surabondamment, puisqu'il en a fermé six sur onze. S'il ne se trouvait pas assez fort, il pouvait demander à l'assemblée une nouvelle loi répressive; il l'aurait eue sans difficulté. Non, il demande la fermeture absolue des clubs; il la demande d'urgence. Cette urgence n'était évidente pour personne; le ministère ne trouve pas un mot pour la démontrer. Ce qui était urgent, pour lui, je le crains, c'était de rendre l'assemblée impopulaire à Paris si elle votait le décret, ou dans les départements si elle ne le votait pas,

Je ne veux pas donner trop d'importance à la réouverture du cours de M. Lherminier, Si je disais qu'on y a trouvé l'avantage d'avoir, le 27, une petite émeute d'étudiants à réprimer, et en même temps, comme par un coup du ciel, l'avantage de mettre sur le compte de l'assemblée la réintégration d'un professeur qui n'est plus populaire dans aucun parti, cela paraîtrait sans doute un peu forcé. Eh! j'en conviens. Je ne crois pas qu'il ait été arrangé entre M. Lherminier et le ministère, que son cours s'ouvrirait précisément pendant cette même semaine. Je n'impute pas au ministère tous les bonheurs qui lui arrivent. Je crois qu'il peut avoir eu de l'habileté sans le savoir. Je n'aurais certainement pas signé l'acte d'accusation si mal à propos présenté par M. LedruRollin, Les plus coupables ne sont pas toujours les plus responsables. Ce ministère-ci, après tout, n'est qu'un ministère protégé.

Je ne dirai pas non plus que le ministère avait espéré secrè

tement qu'on lui refuserait l'autorisation de poursuivre M. Proudhon, coupable d'avoir fait une proposition-Rateau contre le président de la République. Je lui imputerai encore bien moins d'avoir fait coïncider avec tout cela la dissolution de la garde mobile, puisque cette dissolution devait fatalement avoir lieu le 1er février; il faut être juste avant tout. Qu'on ait été un peu dur pour cette jeune garde, à laquelle on doit en grande partie la victoire de juin, je suis porté à le croire. Mais il faut convenir qu'elle avait voté pour Cavaignac.

Enfin que ferons-nous de l'échauffourée du 29?

Quoique nous ayons vu ensemble, monsieur, je ne sais combien de révolutions, avouez que vous n'aviez jamais vu tant de troupes réunies. Cette conspiration, qui n'avait pu tromper la vigilance du pouvoir, avait été bien habilement menée. Aucun bruit, aucune rumeur ne l'avait annoncée. Aucune trace ne s'en est trouvée nulle part. Il n'y a pas même eu, ce qui ne manque jamais en pareil cas, de conspirateur obstiné ou mal renseigné, qui tire en l'air un coup de pistolet et se fait empoigner par deux agents de police. Les rebelles ont été invisibles toute la journée, et les Parisiens n'ont pu voir que les vainqueurs, en grand uniforme.

Certes, je n'ai pas plus de goût qu'un autre pour jouer avec le feu. Si M. Léon Faucher nous a réellement remporté une seconde victoire de juin, je lui saurai un gré infini de nous avoir épargné la bataille. On ne me fera jamais croire à une comédie; et pour une erreur, je la pardonnerais volontiers en pareil cas, surtout si elle avait eu lieu le lendemain. Tout ce que je dis, c'est que l'assemblée a délibéré derrière les baïonnettes; et que plusieurs membres ont hésité à renverser le ministère un jour d'émeute.

Que sais-je? il y en a peut-être aussi qu'a pu ébranler la perspective d'une seconde bataille de juin. Le 24 juin et le 15 mai, il faisait plus beau à Carpentras que dans l'assemblée nationale ou dans le faubourg Saint-Antoine. L'arrestation du colonel Forestier, arrestation qu'on a crue légitime puisqu'on se l'est permise, ne contribuait pas à rassurer les représentants; on disait dans l'assemblée qu'il était arrêté pour s'être montré trop ardent à la défendre, et je ne me souviens pas qu'on ait allégué depuis un autre prétexte, ou un autre motif.

Enfin, quoi qu'il en soit des causes qui ont amené la dissolu

tion de l'assemblée constituante, la proposition Rateau et le déplacement de la majorité, disons une seconde fois avec M. de Lamartine le sort en est jeté. Le sort! voilà le mot de la situation, depuis que les hommes abdiquent. J'aimais mieux l'ancienne devise: aide-toi, le ciel t'aidera!

A présent, monsieur, vous me dispenserez bien de vous dire comment M. Rateau a été détrôné par M. Lanjuinais, et comment a été enfin rompu l'incognito de M. Dufaure. La chronique n'aura plus que des miettes à glaner, jusqu'à l'arrivée de l'assemblée législative; car il va sans dire que pour le moment la politique sommeille. M. Odilon-Barrot a parfaitement démontré qu'il n'y avait plus de questions ministérielles; il n'y a plus que des questions de dissolution. L'assemblée, comme c'est son devoir, se retire devant le ministère; et tout est dit.

Voilà l'anniversaire de la révolution de février qui arrive. Je me rappelle encore cette voiture escortée de gardes nationaux, qui passait devant ma porte le 24 février, conduisant M. OdilonBarrot au ministère. M. Odilon-Barrot a mis un an à faire le chemin. Pendant ce temps, nous avons fait de notre côté une constitution, pour que les ministres de la minorité aient le droit et le plaisir de fermer la porte de l'ancien palais Bourbon, derrière une majorité gênante et mal apprise.

Où en sommes-nous donc, pour qu'on se fasse presque gloire d'être les ministres de la minorité? Pour que l'on favorise, étant au pouvoir, une émeute d'opinion contre le pouvoir suprême de l'État? Pour qu'on mette toute son habileté à démontrer que les élus du suffrage universel ont cessé, avant un an écoulé, de représenter la volonté du pays? Sauver son parti aux dépens de l'autorité, n'est-ce pas, dans une guerre civile, empoisonner les fontaines? C'est pourtant la peur de la République qui fait tout cela. Tant il est facile d'oublier qu'on en a voté l'établissement et juré le maintien!

Je propose que, le dernier jour de l'assemblée nationale, l'assemblée descende sur les marches du palais, que le peuple soit convoqué, que l'armée soit présente, et qu'on crie tout d'une voix, comme le 5 mai 1848: Vive la République!

Si vous allez quelquefois à l'assemblée, vous avez dû remarquer comme moi l'aspect de la salle depuis le 29. Les représentants ne sont plus que des ombres. M. Rateau, M. Lanjuinais

passent au milieu d'eux sans que personne tourne la tête pour les contempler.

La procession des pétitions pour et contre la dissolution continue de se produire au commencement de la séance, comme si M. Lanjuinais n'avait pas passé par là. Les membres les plus purs de la droite ont seuls un air affairé. Depuis qu'ils ont chassé la montagne et la plaine, chacune de leurs paroles, chacun de leurs gestes, signifient: Nous voilà chez nous!

Les bancs de la montagne sont presque déserts. Il y a plus de représentants dans les couloirs que dans la salle. Il n'y a que la correspondance qui ne se ralentit pas. Le moment est venu pour chacun de se rappeler au zèle des électeurs, et de confier chaque jour à la poste deux ou trois éditions de son propre panégyrique. Avant peu, nous verrons les propositions les plus libérales se produire. Elles ne seront pas discutées à l'assemblée, mais elles seront admirées à cent lieues de là. Nous entendons déjà des discours qui sentent les hustings. Les orateurs les plus inhabiles passent une nuit blanche, écrivent un discours, le mettent en poche, et arrivent à l'assemblée le lendemain en même temps que les huissiers. A peine a-t-on lu le procès-verbal en présence d'une vingtaine de membres, qu'ils escaladent la tribune et lisent leur discours aux sténographes. Par ce moyen, ils passent orateurs dans leur département. C'est une réclame électorale innocente et peu coûteuse.

Les électeurs de leur côté (c'est-à-dire à présent tout le monde), se hâtent de mettre à profit la bonne volonté de leurs élus, qui ne peuvent plus rien refuser à la veille d'une élection. Il est vrai aussi qu'ils ne peuvent plus rien obtenir; et cela se compense. J'entendais soutenir l'autre jour, par un représentant, cette thèse passablement offensante pour la majorité de nos concitoyens que les mauvais députés sont les seuls qui aient la chance d'être réélus. Je crois que c'est un paradoxe, mais il donnait quelques bonnes raisons. Apparemment que, pour sa part, il trouvait le raisin trop vert.

Un bon député, disait-il, à la fois laborieux et capable, est assidu à la chambre, aux comités et dans les bureaux. Il est toujours membre d'une commission, souvent de deux. Par conséquent, il n'a pas un moment à lui. S'il monte souvent à la tribune, cela flatte la vanité des électeurs et le protége auprès d'eux; mais s'il n'a pas la parole en main, et qu'il soit simple

ment utile, plus il acquiert de considération dans la chambre, et plus ses électeurs l'oublient. Il passe sa journée à discuter, sa nuit à travailler. Pendant ce temps-là sa santé s'altère, ses affaires personnelles s'embrouillent, les lettres des solliciteurs s'accumulent, et il arrive à la fin de la session, épuisé, ruiné et impossible.

Il n'en est pas ainsi du député ignorant et incapable. Il ne va pas dans les bureaux. A quoi bon? Il y serait aussi muet qu'à l'assemblée, et les nominations de commissaires se font bien sans lui. Au lieu de commencer, comme l'autre, sa journée à neuf heures du matin, il se soigne chez lui, et arrive dans la salle sur les deux heures. A vrai dire, il n'y reste pas oisif: il a la spécialité des interruptions. C'est lui qui crie, par cinq cents gosiers: Parlez! continuez! la clôture! Si l'on vote, il consulte quelque voisin, ou bien il vote au hasard. Il trouve bien un moment pendant la séance pour aller à la tabagie se délasser de ses travaux législatifs. Il est libre comme l'air à six heures du soir. Celui-là est l'idole des électeurs. Rien ne l'empêche en effet d'écrire par jour quatre ou cinq lettres: autant de réclames électorales. Cela fait, par mois, si je compte bien, plus de cent lettres, qui, adressées avec discernement, entretiennent les bonnes dispositions de ses amis. Ceux qui ne connaissent que par lui ce qui se passe dans l'assemblée, sont persuadés qu'il y tient le haut du pavé. Qui est-ce qui lit le Moniteur? Lorsque, par hasard, il prononce deux ou trois phrases à la tribune pour déposer une pétition ou un rapport d'intérêt local, il le fait tirer à part, et en inonde son département.

Si avec tout cela il est obligeant, s'il se fait solliciteur en titre pour tous les quêteurs de place qui ont besoin de lui, que lui manque-t-il pour faire une longue carrière politique? Mais le moment où il triomphe, c'est quand M. Rateau fait une proposition. Il ne s'occupe guère au fond de savoir si elle est bonne ou mauvaise, il écrit à tous les électeurs influents, et se détermine par leurs réponses. Il appelle cela consulter le vœu du pays. Combien seront réélus, dans deux mois, précisément pour avoir sacrifié leur conscience au désir d'être réélus !

Mais, Monsieur, je vous demande pardon de tout ce que je vous écris là. C'est le style des pétitions Rateau qui m'a entraîné. J'ai voulu railler un peu à mon tour l'assemblée nationale. J'ai tant à expier en ce genre! N'ai-je pas soutenu, ici

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