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jamais, que je sache, déployé comme on l'a fait au 29 janvier dernier une armée de soixante-dix mille hommes pour dissiper des attroupements qui n'existaient pas et déjouer un complot dont la trace ne s'est retrouvée nulle part. Nous pourrions, au besoin, laisser dans chaque ville assez de troupes pour appuyer la garde nationale et faire passer les Alpes à cette armée que commande M. Bugeaud, qui était, selon nous, une protection pour l'Italie, et une menace pour l'Autriche, et qu'on devrait bien plutôt, maintenant que le discours de M. Thiers nous a révélé sa véritable destination, appeler l'armée de Paris. Singulière politique que d'étaler ainsi en pleine tribune à la France sa faiblesse, et au monde la faiblesse de la France! Heureusement que chacune des nations ennemies qui ont dû accueillir la parole de M. Thiers comme une promesse d'impunité, a aussi pour l'avertir sa plaie secrète, aussi terrible et mille fois plus hideuse que la nôtre! Le communisme, dont on nous menace sans cesse, s'il fait la faiblesse de nos armées, fait l'unique force de notre ministère, et on nous le peindrait sans doute sous des couleurs plus vraies et moins terribles, si l'on ne régnait pas par la peur. Pour moi, j'ai vu de mes yeux l'agonie du monstre; je le sais vaincu et expirant; c'est cela, et non la présence de M. Léon Faucher, qui me rassure. L'Autriche est-elle donc sur un lit de roses, avecl'Italie révoltée, la Hongrie attachée à ses flancs, et ce cri de guerre poussé au nom de la liberté jusque dans la capitale du vieil État despotique? L'Europe entière a vu les fautes des révolutionnaires allemands; mais si vous oubliez si tôt le triomphe, même éphémère, des Républiques d'outre-Rhin, je vous garantis qu'il n'y a pas un prince qui ne s'en souvienne encore sur son trône dans un demi-siècle. Plus le trône était puissant, plus l'esclavage était consacré, plus cette première secousse, malgré l'apparente tranquillité qui la suit, aura de profondes et durables conséquences.

Quant à cette autre allégation, qu'on ne fait pas la guerre pour une question d'influence, je me demande alors pourquoi on la fait. Est-ce seulement pour la conquête? Ou peut-être pour repousser une violation du territoire? J'aurais cru, je l'avoue, que renoncer ainsi à faire jamais la guerre pour une question d'influence, c'était renoncer, en peu de temps, à toute influence? Belle situation pour la France, et dont ne se contenterait pas un État de sixième ordre!

Une question d'influence. Pauvre Italie! voilà ce que te répond, par la voix de M. Thiers, la République française, l'espoir du monde! Voilà, après six mois, le commentaire de l'ordre du jour du 23 mai! Allons, maintenant, tout cela n'est qu'une affaire de diplomatie. Que les agents de M. Drouyn de l'Huys protégent à eux seuls l'honneur de la France et la liberté italienne. Surtout, qu'à chacune de leurs notes diplomatiques ils joignent, pour les appuyer, un exemplaire du discours de M. Thiers et de l'ordre du jour qui l'a suivi!

Je voulais pourtant, avant de finir ma lettre, monsieur, vous dire un mot de ces dix-huit préfets retraités avant le temps pour infirmités incurables, et dont trois ont été replacés quinze jours après; dont quatre autres sollicitent en ce moment la députation, supposant, à ce qu'il paraît, que l'assemblée législative peut être assimilée à un hôpital.

L'opposition a fait le plus de bruit qu'elle a pu, et en tout autre temps le scandale aurait été immense. Il était trop évident que des certificats faux avaient été fournis, et qu'à quinze jours de distance la même main avait signé une ordonnance de retraite portant qu'un certain préfet était désormais incapable de rendre des services, et une ordonnance de nomination portant que ce même préfet était éminemment capable de rendre des services. La vieille probité de M. Barrot s'en est émue; il a plaidé les circonstances atténuantes; il a demandé et obtenu un ajournement. Il était aisé de voir qu'en plaidant cette mauvaise cause, il sentait bien qu'il y a quinze mois, il aurait été l'avocat de la partie adverse; et alors, quel beau discours il nous aurait fait! M. Léon Faucher, qui a pris aussi la parole, a un peu déplacé la question. Il n'y a aucun mal à utiliser, si faire se peut, un fonctionnaire retraité; mais pourvu que la retraite ait été gagnée par l'accomplissement du temps de service exigé par les règlements. Le mal est ailleurs; il est dans un certificat faux, dans une allégation inexacte dont le mensonge devenait flagrant dès que le même homme qui s'était déclaré infirme devant le conseil d'État, sollicitait ou acceptait une position d'ac tivité. En regrettant beaucoup que de pareils faits aient eu lieu, je ne m'associe pas aux reproches d'immoralité, d'improbité qui ont été lancés contre l'administration. Je tiens M. Léon Faucher pour un homme très-courageux, pour un très-habile économiste, et pour un parfait honnête homme, en tout ce qui touche

à l'honnêteté privée. Après ce jugement indulgent sur la personne, on me permettra bien de dire qu'un des fléaux de notre pays, une des hontes de nos mœurs, c'est cette facilité à mentir dans son propre intérêt, quand on n'a que l'État pour partie adverse. Il semble à d'anciens magistrats qu'alléguer des infirmités qu'ils n'ont pas, pour se faire donner des pensions auxquelles ils n'ont pas droit, ce n'est pas voler. Si les débats de l'Assemblée servent, à cet égard, à avertir les consciences, ce ne sera pas un des moindres services que l'assemblée nationale aura rendus à notre pays (1).

(1) Permettez-moi, monsieur, de vous apprendre que je reçois fréquemment des lettres de personnes qui me supposent, évidemment, dans la direction de la Liberté de penser, une influence que je n'ai pas. On m'envoie quelquefois des articles; et alors, j'en suis quitte pour payer le commissionnaire qui vous les porte. Mais on m'adresse aussi des compliments ou des critiques sur la manière dont le recueil est rédigé. J'accepterais volontiers avec vous la solidarité de toutes les critiques; mais je ne puis me laisser louer à vos dépens. Je déclare donc ici à nos amis et à nos ennemis inconnus, dont la correspondance est si active, qu'ayant, depuis un an, d'assez grosses affaires sur les bras, je n'ai eu que tout juste le temps d'écrire en courant ces lettres, pour la négligence desquelles je demande grâce à vous et à vos lecteurs. Je me propose, à mon premier loisir, de lire ce qui a été publié dans la Revue depuis un an.

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« Les savants sauront transmettre à la postérité les noms de ceux qui, dans la crise qu'ils viennent d'éprouvér, ont constamment lutte contre la barbarie, et celui de Lakanal sera l'un des plus distingués.» LAPLACE, Lettre.

Les savants, les artistes, les gens de lettres étaient proscrits comme des grandeurs déchues... ; un citoyen courageux se dévoua à leur cause avec un zèle persévérant supérieur à tous les obstacles, devint pour eux une providence, en sauvant les personnes, et en prenant la part la plus active à l'organisation de l'Institut et à celle de tous les établissements scientifiques et littéraires de cette époque. Payons donc à M. Lakanal un tribut de reconnaissance! »

Le PRÉSIDENT DE L'INSTITUT (Chevreul), Discours d'ouverture de la séance publique de 1839.

I.

Parmi les personnages que la Révolution fit surgir de 1789 à 1795, le conventionnel illustre dont nous allons essayer de retracer la vie, se présente avec des titres qui lui assignent une place à part dans l'histoire. Par plusieurs traits de sa physionomie, il est bien de la famille de ces hommes austères, énergiques, ardents, qui firent de la Convention nationale la plus terrible, mais aussi la plus grande de nos assemblées. Lakanal est probe, désintéressé, vertus presque communes à cette époque; il est généreux et humain jusqu'à l'oubli de lui-même; sa fer

(1) Cette notice a été composée en décembre 1848 et janvier 1849. Aux nombreux documents inédits qu'il possédait depuis plusieurs années sur Lakanal, l'auteur a pu joindre tout récemment d'autres matériaux non moins précieux. Le moment est donc venu où il peut rendre à la mémoire du président du Comité d'instruction publique à la Convention, l'hommage qu'il lui doit à bien des titres, comme héritier de la reconnaissance de son père (Voy. Vie et travaux de Geoffroy Saint-Hilaire, p. 24 et 417), comme honoré lui-même durant plusieurs années de l'amitié de Lakanal, et comme membre de deux corps qui reconnaissent en lui l'un de leurs illustres fondateurs.

meté, son attachement à ce qui est ou à ce qu'il croit son devoir, est inébranlable; son dévouement à la patrie est sans bornes, et quand vient le moment de lui payer sa dette, il fait, général improvisé, des prodiges impossibles en d'autres temps. Mais la gloire de Lakanal n'est pas là. A côté de ceux qui sauvent la France, il est, avec Condorcet, avec Daunou, celui qui l'éclaire; à côté de ceux qui lui donnent dans le présent la supériorité militaire, celui qui veut assurer dans l'avenir sa suprématie intellectuelle. Et quand la République, ensanglantée par les proscriptions, déchirée par deux guerres civiles, envahie par l'Europe coalisée, voit partout au dedans et au dehors des ennemis armés ou secrets; quand les âmes vulgaires se prennent à douter qu'il y ait pour elle un lendemain, Lakanal, calme et méditant, comme au sein de la paix, sur les progrès futurs de l'esprit humain, fonde, pour les siècles suivants, d'impérissables institutions scientifiques.

Tel est Lakanal. Quand Jourdan, Hoche, Kellermann, à la tête de nos armées; quand l'immortel Carnot, au sein du Comité de salut public, couvrent du moins des lauriers de la victoire les plaies saignantes de la patrie, son collègue prépare déjà pour l'avenir les palmes fécondes de la paix!

Comment rendre ces pages dignes de l'homme qui, en trois années (et quelles années!), fit peut-être autant pour les lettres et fit plus pour les sciences qu'aucun roi de France durant tout son règne; du second fondateur du Muséum d'histoire naturelle; du créateur de l'École normale, du Bureau des longitudes et de l'École des langues orientales; de l'organisateur de l'Institut; du bienfaiteur et du sauveur des savants et des gens de lettres; de l'auteur de la loi sur la propriété littéraire, de l'établissement de la télégraphie et de tant d'autres institutions dont nous recueillons aujourd'hui le fruit; de celui, enfin, qui eut l'hon→ neur d'ouvrir les écoles centrales et de rouvrir les écoles primaires? De tels services ne se louent pas; ils se racontent. Cet article ne sera donc qu'un récit en termes simples, et par là seulement nous pouvons espérer rendre cet hommage moins indigne de l'austère républicain. Lui-même, d'ailleurs, ne semble-t-il pas avoir pris soin de nous apprendre comment on doit honorer une telle mémoire, lui qui nous a donné à la fois l'exemple et le précepte; lui que nous entendons, que nous voyons encore, debout, à quatre-vingt-deux ans, sur la tombe d'un ami d'un

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