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pas recommencé? Il y a neuf mois le succès du parti républicain était réputé impossible, et cette opinion surtout faisait sa faiblesse. Vous ne nierez pas qu'aujourd'hui la possibilité d'une victoire républicaine ne soit démontrée.

Il y a neuf mois, les républicains n'étaient que des exaltés, j'ai presque dit des extravagants; aujourd'hui leurs rangs se sont élargis; ils voient parmi eux des hommes connus par leur modération, par leur dévouement; vous pouvez les compter d'ailleurs; c'est à cela surtout que l'élection universelle est propre. Vous avez pour M. Bonaparte les trois quarts des suffrages exprimés; mais sur ce nombre combien y en a-t-il que vous puissiez légitimement vous attribuer? Nous serons modérés en disant qu'une moitié au moins des électeurs de toute la France est contre vous; et soyons francs, la moitié qui n'est pas pour vous est celle qui se bat. Le nierez-vous? Est-ce la population agricole qui fait des révolutions? Elle n'en fait pas, et je l'en honore. Mais enfin, je discute ici les chances d'un défi porté à la révolution par l'esprit contre-révolutionnaire, et j'ai bien le droit de vous dire que la majorité des électeurs n'est pas du même côté que la majorité des combattants. Serait-ce par hasard que vous compteriez plus sur l'armée qu'on n'avait lieu de le faire il y a neuf mois, après dixhuit ans de monarchie? ou que l'habileté de M. Louis Bonaparte vous paraîtrait supérieure à celle de Louis-Philippe? Je ne fais qu'indiquer, mais tout le monde comprend assez que j'ai mille fois raison; que, si je voulais insister, je le prouverais jusqu'à la dernière évidence. Quoi! vous vous dites les hommes de l'ordre, le parti de l'ordre, et neuf mois après février vous voulez jouer, avec des forces moindres, contre un ennemi cent fois plus fort, la même partie que vous avez déjà perdue? Non, vous qui rêvez ainsi, ne vous dites plus des amis de l'ordre; vous êtes des factieux de la pire espèce. Les factieux que vous détestez, et que je déteste avec vous, que j'ai combattus avec vous, que je combattrai encore s'ils reparaissent, risquent au moins leur vie, et ils la risquent pour une idée; tandis que vous vous embusquez lâchement derrière un article de la constitution que vous tournez par vos manœuvres contre la constitution même, sans autre but que d'usurper une seconde fois le pouvoir, sans autre danger que de compromettre une fois de plus votre honneur.

Plus j'y pense, plus j'admire la folie de cette réaction rêvée par quelques ambitions déçues. La France n'a-t-elle pas assez

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souffert par la démagogie, et faut-il qu'elle soit à présent jetée dans de nouvelles révolutions par ce parti prétendu de la modération et de l'ordre?

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Savez-vous quelle est la réaction légitime? celle que veut le pays? C'est la réaction effectuée depuis huit mois sans danger et sans effusion de sang, par cette même assemblée nationale dont l'existence vous irrite. L'assemblée est-elle socialiste? a-t-elle admis le papier hypothécaire? a-t-elle voté l'impôt progressif, l'abolition du remplacement? Non; dans l'ordre social, l'as semblée n'a fait que raffermir; dans l'ordre politique, elle n'a détruit que deux priviléges : l'hérédité monarchique et le cens électoral. Voilà la réaction sage, qui ne fait la guerre qu'aux abus, et ne désole que les mauvais citoyens. Vous voulez bien autre chose. Vous voulez recommencer 1847. Vous suivrez fatalement la pente de toute les réactions. Vous reculerez jusqu'à 1834, jusqu'à 1829, et peut-être jusqu'à 1815. Arriverezvous ainsi à dompter le génie des révolutions? Est-ce que la restauration même a pu recommencer, Louis XV? Est-ce que Louis-Philippe aurait osé recommencer la restauration? Il serait le premier à vous désavouer s'il revenait. Il sait l'histoire. Il a appris à ses dépens qu'on ne joue pas avec la toute-puissance populaire.

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Qu'on ne me reproche pas de parler avec amertume de notre défaite, et de ceux qui nous ont battus dans la lutte électorale. Je ne puis m'empêcher de voir qu'à Paris un nombre assez considérable de socialistes et de républicains rouges ont voté pour M. Bonaparte; que, par toute la France, le parti légitimiste, sauf d'honorables exceptions, a protégé cette candidature; et qu'enfin, le parti qui, depuis quelque temps, essaye de s'attribuer par privilége le nom de parti modéré, a dirigé lui-même l'entreprise par ses journaux et par tous ses moyens d'influence, Pourquoi ne dirais-je pas aujourd'hui encore, sans faire appel à la haine, mais pour constater les faits, pour me rendre compte de la situation, que le parti légitimiste et le parti orléaniste, en patronant M. Bonaparte, manifestent des intentions hostiles à la République? Car enfin, quand on vient nous dire qu'on se donne à cette candidature en haine de la république exaltée, de la Montagne, je me demande involontairement si ceux qui parlent ainsi confondent M. Ledru-Rollin avec M. Cavaignac. Quoi? c'est M, Cavaignac que vous combattez, et vous ne citez

contre lui que les théories qu'il a répudiées, que les projets de loi qu'il a retirés, que les fautes qu'il a réparées, que les hommes qui l'ont attaqué à main armée lui et son gouvernement? Quoi! vous vous dites par privilége le parti modéré; et quand vous faites votre programme, il devient évident à tous les yeux, que ce programme est le programme même de la majorité de l'assemblée, celui du général Cavaignac? Il ne faut pas équivoquer, il ne faut pas recourir à des subtilités; si l'on ôte les mensonges de votre polémique, il reste que vous n'avez pas émis une seule idée qui séparât votre parti du nôtre. Qu'avez-vous donc repoussé dans M. Cavaignac? c'est l'homme, et voilà tout. Et pourquoi repousser l'homme? parce que vous le saviez fort et capable. Avec lui, la société prenait amplement sa revanche; mais vous, vous, dis-je, vous ne preniez pas la vôtre. Vous avez pensé, les uns, que vous gouverneriez par M. Bonaparte, que vous en feriez votre instrument; les autres qu'il ne serait pas assez fort pour résister aux émeutes, et que les républicains rouges se chargeraient de le renverser à votre profit. Voilà pourquoi nous avons eu raison de le combattre quand vous étiez derrière lui pour le soutenir; et voilà pourquoi encore, aujourd'hui que vous n'êtes plus derrière lui que pour le renverser, nous avons raison de le soutenir à notre tour. Nous sommes le parti de la constitution, nous voulions la défendre avec M. Cavaignac; il est vaincu; nous la défendrons avec M. Bonaparte, tant qu'il lui sera fidèle. C'est son intérêt, et c'est notre espoir.

Sur qui s'appuierait M. Bonaparte, si ce n'est sur ceux-là mêmes qui ont combattu son élection? S'appuiera-t-il sur les socialistes, après avoir dans ces derniers temps, avec une sincérité que je ne veux pas contester, répudié toutes leurs doctrines? ou sur les légitimistes, qui l'ont pris évidemment comme une transition, et qui ont intérêt à l'user le plus vite possible? ou sur ceux que M. Dupin de la Nièvre, appelle avec énergie les fossoyeurs de l'ancienne monarchie? Qu'il y songe bien; ceux qui s'imposent à lui aujourd'hui sont les mêmes hommes qui l'ont condamné lui-même à la détention perpétuelle; ce sont eux qui ont poursuivi Louis-Philippe de leurs rancunes, parce qu'il ne prenait pas à la lettre la grande maxime du droit constitutionnel le roi règne et ne gouverne pas; ce sont eux qui veulent pousser M. Bonaparte à exagérer la réaction, coming

ils avaient poussé naguère le roi Louis-Philippe à exagérer l'absolutisme.

Le parti de la constitution, au contraire, s'offre à M. Bonaparte sans enthousiasme sans doute, et même avec une certaine tristesse; mais aussi sans arrière-pensée, loyalement, prêt à l'aider de tout son concours, tant que M. Bonaparte restera dans les voies de la constitution. On dit, à l'honneur de M. Bonaparte, que depuis que son élection est connue, son âme est pleine du sentiment de sa responsabilité. La majorité de l'assemblée éprouve le même sentiment. Elle s'applaudit de n'avoir pas été appelée à exercer le droit électoral que la constitution confère à l'assemblée; elle regarde comme un bien l'immense majorité obtenue par le candidat élu, parce que cette majorité fortifie le pouvoir; elle-même veut contribuer à rendre le pouvoir fort et vraiment respectable. En donnant son concours à l'élu du suffrage universel, elle montre qu'elle a confiance dans sa loyauté; elle fait un appel à la conciliation.

Je sens bien que ce mot de conciliation peut paraître étrange dans ma bouche après la rude franchise des réflexions qui précèdent. Et pourtant, c'est précisément parce que je désire la conciliation, que je ne dissimule rien. Il est bien évident que quand je parle d'intrigue légitimiste ou orléaniste, je parle de ceux qui, par leur conduite dans ces derniers temps, ont donné à tout le monde le droit de parler ainsi. Je sais mieux que personne qu'il y a, en grand nombre, dans ces deux partis des hommes qui ne connaissent que la ligne droite, et qui ne marchent à leur but que le front levé. Je voudrais qu'il me fût permis de nommer d'anciens ministres de Louis-Philippe, et parmi mes plus chers amis, des députés attachés de cœur et de conviction à la cause légitimiste, et qui, voulant avant tout voter pour la paix, pour la sécurité publique, ont donné leurs voix au général Cavaignac. Je puis au moins citer la lettre d'un homme que je ne connais pas, mais dont tout le monde a admiré la loyauté chevaleresque, M. de Fitz-James. Il y a, dans la société française, les éléments d'une grande fusion de tous les partis, au nom de la paix et de la morale. Travaillons énergiquement à ce résultat, dussions-nous y travailler sans espoir!

Au reste, quand je parle de conciliation, quand je dis que M. Bonaparte doit s'appuyer sur le parti même qui a combattu son élection, il est bien entendu que je ne conseille pas au prési

dent de choisir les ministres parmi ses anciens adversaires, ni à ceux-ci d'accepter des places ou des faveurs sous la nouvelle administration. Il y a, parmi les amis de M. Bonaparte, ou parmi ceux qui pendant la lutte n'ont pas avoué hautement leurs préférences, assez d'hommes capables de composer un ministère. Il est de la dignité de la majorité de se tenir éloignée du pouvoir, et de donner, au besoin, l'exemple de l'abnégation personnelle : on n'est un grand parti qu'à ce prix. La défaite de son candidat oblige sous ce rapport la majorité de l'assemblée à une réserve absolue. Elle ne peut ni faire une opposition systématique à l'élu du suffrage universel, sans manquer à son devoir, ni oublier le rôle qu'elle a joué dans la lutte qui vient de finir, sans ternir son honneur. Les courtisans trouveront cette situation difficile; les gens de cœur ne la trouveront que simple et naturelle. Quand le devoir est bien tracé, quand l'honneur parle, il n'y a jamais, pour un homme de cœur, de difficulté réelle.

Tous les amis de l'ordre ont appris avec satisfaction qu'aussitôt le résultat de l'élection connu, la majorité de l'assemblée avait formé une association en dehors des réunions de représentants existantes, et destinée à rallier tous les amis de la constitution, sans distinction de partis, sans autre programme que la constitution elle-même. Cette réunion a décidé à l'unanimité qu'elle ne ferait aucune concession de principes et aucune opposition systématique. M. Bonaparte n'ayant avoué jusqu'ici que les principes mêmes qui animent la majorité de l'assemblée, rien n'empêche d'espérer un accord complet entre l'assemblée souveraine et le pouvoir exécutif.

On se plaît à répandre que l'assemblée, en votant le décret sur les lois organiques, a voté pour elle-même une prolongation indéfinie de pouvoirs. Il n'en est rien. L'assemblée est pressée elle-même de résigner son mandat. Seulement, elle verrait, à se retirer dans le moment actuel, un triple danger; d'abord, celui de remettre la constitution en question, car, sur plusieurs points, elle peut être transformée de fond en comble par les lois organiques; d'imposer coup sur coup au pays la crise de l'élection présidentielle et la crise de l'élection parlementaire; enfin le danger beaucoup plus grave encore de laisser un pouvoir incertain de lui-même en face de la nation, sans contre-poids, sans modérateur. En supposant hors de discussion la droiture et la capacité du président, le ministère nouveau sait-il lui-même ce qu'il veut

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